abordées en savoirs réutilisables, l’absence dans la classe de certains ostensifs langagiers empêche les
élèves d’effectuer les recherches attendues. Les élèves étant incapables de réaliser la tâche proposée en
autonomie, l’enseignant s’est senti contraint de prendre en charge une grande part du travail qui leur était
théoriquement dévolue, les privant ainsi d’une confrontation supposée bénéfique avec la problématique.
En outre, dans ces conditions, la classe (élèves et professeur) ne disposait pas des outils langagiers
nécessaires à un discours sur l’action effectuée : si l’on considère la praxéologie associée à la tâche
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proposée (Chevallard, 1998), on dira que l’enseignant cantonne l’activité de la classe au niveau ‘praxis’
de la praxéologie, sans pouvoir aborder le niveau ‘logos’ qui permettrait de comprendre et de justifier les
pratiques. L’enseignant espère que ses élèves vont assimiler les techniques visées sans avoir besoin de
leur donner les éléments technologiques (voire théoriques) sur lesquels elles reposent. Les apprentissages
ne peuvent alors s’effectuer que par mimétisme et répétition, ce qui compromet leur mémorisation et leur
possible réinvestissement dans une autre situation. Ce recul devant l’introduction de ces ostensifs
langagiers peut également avoir des répercussions dans les séances suivantes et risque de compromettre
les apprentissages ultérieurs : la langue commune à cette classe d’accueil s’enrichit beaucoup moins vite
que celle des classes ordinaires de même niveau, ce qui rendra de plus en plus difficile un éventuel
discours sur les prochaines techniques abordées et poussera à nouveau l’enseignant à se cantonner au bloc
praxis, amplifiant encore le phénomène.
Cette résistance de l’enseignant à l’introduction de nouveaux termes ne peut être assimilée à de la
réticence didactique (Brousseau, 1998). En effet, on parle de réticence didactique lorsque l’enseignant
s’interdit d’introduire certains savoirs afin de laisser les élèves rencontrer la problématique sous-jacente et
construire eux-mêmes ces connaissances. Mais dans la séance observée, l’enseignant n’attend pas de ses
élèves qu’ils introduisent la notion de solide et ses spécificités par rapport aux figures planes : lorsque les
élèves se trouvent confrontés aux répercussions de l’assimilation ‘figures planes’-‘solides’, loin
d’encourager leur discours, il évite cette discussion et écourte ses explications lorsqu’il est finalement
contraint de les donner. Il ne s’agit pas non plus de lacunes dans le ‘Professional Knowledge Package’,
décrit par Liping Ma (1999) où l’enseignant ne transmet pas à ses élèves certains savoirs mathématiques
parce qu’il en ignore l’intérêt pour la suite de leurs apprentissages. Ici, l’enseignant introduit le terme
‘solide’ dans la classe ordinaire, ce qui montre qu’il considère cette connaissance utile pour la séquence
abordée. Son refus d’agir de même dans la classe d’accueil traduit donc une adaptation de son discours au
type de public auquel il s’adresse : il restreint la diversité du lexique utilisé en pensant favoriser ainsi
l’assimilation des quelques termes introduits. Nous parlerons alors de refoulement didactique pour
qualifier ce type d’adaptations du discours de l’enseignant aux spécificités de ses élèves, qu’il s’agisse
d’adaptations conscientes ou inconscientes.
On retrouve dans des recherches antérieures des traces de refoulements didactiques, y compris dans des
classes ordinaires. Ainsi, Bosch et Perrin-Glorian (2011) décrivent l’attitude d’un professeur qui lors
d’une ingénierie portant sur les programmes de calculs refuse d’introduire cette expression, en dépit de
son intérêt manifeste lors de la mise en œuvre de ces activités. En effet, cette expression ne faisant pas
explicitement partie des attendus institutionnels, l’enseignant préfère ne pas alourdir les apprentissages
visés dans sa leçon. Au cours de cette analyse, Bosch et Perrin Glorian soulignent elles aussi l’enjeu que
représente le choix des références langagières utilisées par l’enseignant. L’étude de nouvelles
praxéologies mathématiques va nécessiter un discours qui risque de faire appel à de nouveaux ostensifs,
notamment langagiers. Or le choix de l’ostensif utilisé sera lourd de conséquences : le recours à un terme
de la langue usuelle risque de leurrer les élèves en raison des non-ostensifs qui sont habituellement liés à
ce terme mais l’introduction d’un nouveau terme qui n’appartiendrait qu’à la langue spécifique aux
maths, risque de ne pas être compris par la classe et de compromettre la communication entre professeur
et élèves… L’enseignant hésitera donc à utiliser les ostensifs langagiers de la langue spécifique aux
mathématiques alors que ces derniers sont les plus adaptés pour la manipulation du non-ostensif visé.
Peut-on éviter ou tout au moins minimiser ce refoulement didactique dont nous avons pu observer les
dangers ? Notre dernière observation permet d’entrevoir certaines alternatives. Une sensibilisation à cette
problématique ainsi que la donnée explicite des outils langagiers indispensables à la réalisation de cette
activité ont notablement modifié le discours de l’enseignant et par suite le déroulement de cette activité :
même s’il faut reconnaître que les aménagements effectués ont ralenti la séance, ils ont permis la mise en
œuvre d’une réelle activité mathématique des élèves et d’une institutionnalisation plus riche.
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Conclusions
L’objectif de cet article était double : d’une part illustrer comment certaines activités mathématiques
nécessitent la manipulation d’outils langagiers; d’autre part, souligner le fait que l’enseignant ne permet
pas toujours (voire évite) l’introduction de ces outils. Dans les séances analysées, il semble que cette
réticence de l’enseignant à introduire des termes spécifiques aux mathématiques constitue une adaptation
aux difficultés de ses élèves, ce que nous avons appelé refoulement didactique. Nous avons également
observé comment cette attitude de l’enseignant, supposée faciliter les apprentissages des élèves, pouvait
compromettre l’activité mathématique de la classe.
Pour percevoir l’ampleur de ce phénomène, il conviendrait de procéder à de nouvelles observations dans
des classes d’accueil encadrées par d’autres professeurs afin de déterminer s’il s’agit là d’une adaptation
fréquente des enseignants. Il serait également intéressant de chercher des manifestations de refoulement
didactique dans des classes accueillant des élèves ayant d’autres types de difficultés, voire même dans des
classes ordinaires. L’enseignant s’interdit-il également l’usage de certains ostensifs langagiers en dépit de
leur intérêt pour la leçon abordée en pensant favoriser ainsi les apprentissages de ses élèves ? Quelles sont
les conséquences de ce refoulement ? Si ce phénomène apparaît massivement dans le discours des
enseignants, notamment en présence d’élèves ayant de grandes difficultés, il convient de s’interroger sur
les possibilités d’enrichir les pratiques afin de préserver l’activité mathématique des classes. Lors de la
dernière séance, en discutant avec l’enseignant ayant participé à notre expérimentation, nous avons pu
atténuer ce phénomène. Il paraît donc possible de sensibiliser les enseignants à cette problématique et
d’influer sur leurs pratiques. Il faudrait pour cela leur proposer une formation permettant l’anticipation
des outils langagiers indispensables à la réalisation d’une activité donnée ainsi que les moyens pour
introduire ces outils au lieu de chercher à les éviter. Ceci nécessiterait une sensibilisation des enseignants
à l’intérêt des analyses a priori et a posteriori comme cela a déjà été proposée dans certaines ressources
pour la formation (Robert, Pennincks et Lattuati, 2012). Par ailleurs, on pourrait également créer pour
certains élèves des dispositifs qui viendraient s’ajouter aux cours de mathématiques ordinaires et qui
viseraient l’accélération de l’apprentissage des compétences langagières indispensables à l’activité
mathématique (voir Millon-Fauré, 2013). Sans cela, les enseignants de mathématiques, confrontés à un
public en grande difficulté, continueront à actionner le seul levier sur lequel ils pensent pouvoir agir :
abaisser le niveau mathématique de l’activité demandée aux élèves.
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ANNEXE 1: Fiche de préparation commune des enseignants
OBJECTIFS :
- motiver l’utilisation des mots faces, arêtes, sommets à partir de la description de solides.
- dénombrement des faces, arêtes, sommets sur un solide, mais également sur un dessin en perspective cavalière.
DEROULEMENT :
1) Présentation des solides et de l’activité
Le professeur distribue 3 solides6 (un cube, un pavé droit et un prisme7 à base hexagonale) à chaque binôme. Les solides peuvent être désignés par un numéro collé dessus.
2) Recherche en binôme : description d’un des solides 3) Mise en commun : travail sur une ou deux descriptions
Un élève lit sa description et la classe essaie de deviner le solide ciblé.
Les élèves devraient utiliser certains termes (ou tout au moins certaines notions), parmi ceux visés.
Le professeur présentera alors le vocabulaire adéquat et l’expliquera aux élèves. 4) Recherche en binôme : reformulation de la description en fonction du vocabulaire appris
Les élèves doivent reprendre leur description en utilisant les termes ‘faces’, ‘arêtes’ et ‘sommets’.
5) Mise en commun : travail sur une ou deux descriptions
Un élève lit sa nouvelle description et la classe tente à nouveau de découvrir le solide concerné.
6) Recherche individuelle : fiche de synthèse
Les 3 solides sont représentés sur une feuille en perspective cavalière. Les élèves doivent dénombrer les faces, arêtes et sommets en s’aidant éventuellement des véritables solides.
7) Correction de la fiche
8) Recherche individuelle : fiche d’exercice
Une feuille contenant de nombreux solides en perspective cavalière est distribuée. Les élèves doivent dénombrer les faces, arêtes et sommets uniquement à partir des représentations.
9) Correction de l’exercice
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