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Première'partie!:"Introduction!

3. Apprentissage phonétique

3.1 Objets de l’apprentissage phonétique

Selon Wachs (2011), l’apprentissage phonétique requiert la capacité à oublier les motifs phonétiques utilisés en LM. Ainsi, l’apprenant doit acquérir la prosodie de la L2, c’est-à-dire son rythme, intonation et accentuation. Il doit également apprendre les nouveaux phonèmes, leur combinaison possible au sein de la syllabe ainsi que tous les allophones qui les réalisent.

Les difficultés des apprenants se situent alors aux niveaux suprasegmental et segmental (Anderson-Hsieh et al., 1992; Moulton, 1962).

1. Le niveau suprasegmental nécessite la maîtrise de l’intonation, du rythme, de l’accentuation et de la qualité de la voix (Anderson-Hsieh et al., 1992; Freland-Ricard, 1996; McCarthy, 1991; Métral, 1967). L’intonation est le mouvement mélodique de la parole, caractérisé par des variations de la hauteur (Delattre, 1960) et l’accent peut être défini comme la mise en valeur d’une syllabe au sein de l’unité accentuelle (Fonagy, 1980). Alors que l’intonation fait partie de toutes les langues du monde (aucune langue n’est monotone), il existe des langues sans accent (les langues mono-syllabiques comme le thaï) (Garde, 1968). Le rythme est ensuite défini comme toute répétition à intervalles suffisamment réguliers pour être perçus (Delattre, 1960).

Enfin, la base articulatoire correspond selon (Vaissière, 2001, p. 18) à « la façon ‘moyenne’ de positionner ses organes vocaux, articulatoires et phonatoires : une posture générale et une dynamique des mouvements. ». Elle varie selon les langues et même selon les dialectes (Esling, 1987). Sur cette base, (Delattre, 1953; Delattre, 1964) oppose le français, avec un caractère antérieur à l’anglais, ayant un caractère postérieur.

Concernant les difficultés que peuvent rencontrer les apprenants tchèques de FLE à ce niveau, nous pouvons citer le travail de Dubeda (2009, 2012). L’auteur s’est intéressé à la réalisation de l’accent initial, fortement présent dans le français actuel, par des apprenants tchécophones. Du fait de la position initiale de l’accent en tchèque mais des réalisations tonales différentes et de l’absence de l’arc mélodique qui englobe plusieurs mots formant une unité syntaxico-prosodique, le transfert observé de la LM en LE est positif mais aussi négatif. Ainsi, Dubeda (2012, p. 86) définit l’accent initial français comme une « arme à double tranchant » pour les apprenants tchécophones de FLE.

2. Le niveau segmental nécessite la maîtrise de l’inventaire phonético-phonologique d’une langue donnée, c’est-à-dire des phonèmes qui sont les plus petites unités (abstraites) distinctives de la langue (Duchet, 1981) et de leurs allophones, de la phonotactique de la langue (combinaisons possibles des segments au sein de la syllabe) et de la stratégie de coarticulation.

Il est admis que le système phonologique possède un nombre d’unités plus petit que le système phonétique (MacKain, 1982; MacKain et al., 1981) et que, de cette manière, les langues se distinguent par leur systèmes phonologiques et phonétiques : alors que dans une langue, deux sons peuvent contraster au niveau phonologique, dans une autre langue, ces mêmes sons ne sont que des allophones d’un même phonème (MacKain et al., 1981) voire n’apparaissent pas.

Confronté à la relation qui existe entre un phonème et ses allophones, l’apprenant se trouve face à une alternative. Soit le système de sa LM possède deux phonèmes (comme par exemple le /u/ et le /ɔ/ du néerlandais) là où la LE n’en a qu’un (/u/ en espagnol), soit il possède un phonème (par exemple /ɾ/ en japonais) là où la LE en a deux (/l/ et /ɹ/ en anglais). La Figure 25 montre les deux types de relation.

Figure 24 : Relation entre les phonèmes de la LM et de la LE: 2 catégories néerlandaises natives /u, ɔ/ correspondant à une catégorie espagnole non native /u/ (à gauche) ou une catégorie japonaise native /ɾ/ correspondant à 2 catégories anglaises non-natives /l, ɹ/ (split – scission - allophonique, à droite), selon (Escudero and Boersma, 2001)

Dans le premier cas de figure, l’apprenant peut percevoir les différents allophones de la L2 comme étant des phonèmes différents (Trofimovich et al., 2001) et il doit réaliser que ces différents allophones correspondent à un seul phonème dans la L2 (Levy and Strange, 2008). Le deuxième cas de figure est appelé traditionnellement la « difficulté maximale » (Lado, 1957) ou plus récemment le

« split allophonique »8 (Eckman et al., 2001; Eckman et al., 2003; Eckman and Iverson, 2013) car l’apprenant doit réaliser que les différents allophones d’un seul phonèmes de sa LM correspondent en effet à deux phonèmes distincts dans la LE. On évoquera à ce propos également le cas des Coréens qui apprennent les consonnes /s/ et /ʃ/ de l’anglais. En anglais, /s/ et /ʃ/ sont deux phonèmes distincts alors qu’en coréen, il s’agit de deux allophones du même phonème /s/. Les apprenants coréens doivent par conséquent réussir à scinder leur catégorie native en deux catégories non-natives.

Puisque l’apprenant doit faire face à ces nombreuses variantes, exprimant la même catégorie phonologique, les chercheurs (Flege, 1989; Flege, 1997; Levy, 2009) avancent que l’apprentissage phonétique se fait d’abord au niveau allophonique. Une fois que toutes les variations allophoniques sont maîtrisées, l’apprenant peut alors créer une nouvelle catégorie phonologique qui leur correspond.

L’exemple des apprenants japonais ou chinois confirme le fait que l’apprentissage d’un son peut varier selon sa distribution. En effet, en chinois, les consonnes [t, d] peuvent contraster en position initiale mais jamais en position finale. Cette distribution a des conséquences pour les apprenants chinois de l’anglais qui n’arrivent pas à percevoir ce contraste en syllabe finale (Flege, 1989; Trofimovich et al., 2001). Suivant la position, le contraste entre les consonnes provient d’indices acoustiques différents.

Alors qu’en positions initiale et intervocalique, l’anglais se sert essentiellement du Voice Onset Time (VOT) pour différencier les consonnes occlusives sourdes et sonores, en position finale, c’est la durée de la voyelle précédente qui compte (MacKain, 1982). De même, les Japonais présentent de grosses difficultés à distinguer les consonnes /l/ et /r/ de l’anglais en position initiale alors qu’en position finale la discrimination semble plus facile (Flege, 1995; Strange et al., 2001; Trofimovich et al., 2001).

De nombreux chercheurs s’accordent à dire que les personnes bilingues possèdent un espace phonologique commun pour les sons des deux langues qu’ils parlent (Best and Tyler, 2007) et afin de maintenir le contraste entre tous les sons au sein du système commun, les caractéristiques physiques de ces sons peuvent être modifiées par rapport à celles des locuteurs monolingues (Caramazza et al., 1973). Fowler et al. (2008) examinent le VOT dans la production des consonnes occlusives [p, t, k] par des francophones et anglophones monolingues et bilingues de naissance et reportent qu’en français, les bilingues produisent des VOT significativement plus longs que les francophones monolingues et

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inversement, en anglais, les bilingues produisent des VOT significativement plus courts que les anglophones monolingues.

Concernant la combinaison des phonèmes, Hallé et al. (a paraître) reportent que la perception non-native est influencée par les règles phonotactiques de la LM. Ainsi, les Espagnols apprenant le français entendent et produisent le mot spécial en tant que [espesial] car la suite *sp est non attestée en espagnol. De même, les Français corrigent perceptivement la suite *tl, prononcée en début de mot en /kl/ selon les règles phonotactiques de leur LM (Hallé et al., 1998).

Enfin, les stratégies de coarticulation diffèrent également selon les langues. Il s’agit d’une coordination de mouvements articulatoires résultant d’un long apprentissage qui est spécifique à chaque langue. Nous pouvons citer Grammont (1933, p. 21) à ce propos :

Cette coordination n’a été obtenue qu’après un long apprentissage. C’est à la suite de bien des essais plus ou moins heureux et de bien des tâtonnements que l’enfant arrive à prononcer exactement les sons de sa langue maternelle. Une fois qu’il a réussi et qu’il en a pris l’habitude, la coordination se fait d’elle même et inconsciemment.

3.1.1 Objectifs phonétiques en FLE (inspiré par les travaux de Pierre Delattre)

Cette section est inspirée par une série d’articles de P. Delattre, publiés dans la revue The French Review (Delattre, 1944; Delattre, 1945; Delattre, 1948; Delattre, 1960) et par son livret « An Introduction to French Speech Habits » (Delattre, 1947). Ces derniers sont consacrés à l’apprentissage phonétique d’une LE et notamment aux traits phoniques et prosodiques uniques au français. Pierre Delattre, qui a vécu entre 1903 - 1969, a effectué un travail d’époque dans le domaine de la phonétique instrumentale et expérimentale mais par dessus tout, comme le décrit son collègue de l’université d’Oklahoma Eddy (1974, p. 517) « the full measure of the man : Pierre Delattre, teacher of French ».

Selon Delattre (1948), trois habitudes articulatoires de base doivent être acquises lorsqu’on apprend le français : l’habitude de tension, d’antériorité et de croissance. Ces habitudes correspondent aux modes tendu, antérieur et croissant plus largement détaillés dans l’article de Delattre (1953).

D’abord, par l’habitude de tension des articulateurs et de croissance, l’apprenant doit aboutir à la maîtrise de :

1. Syllabation ouverte (prédominance de syllabes de type CV) 2. Egalité syllabique qui détermine en partie le rythme du français

3. Distribution d’intensité égale dans toutes les syllabes (pas de syllabes plus intenses que d’autres, mis à part en présence de l’accent emphatique)

4. Voyelles monophtongues (pas de diphtongaison) 5. Attaque vocalique douce, absence de coup de glotte

6. Non aspiration des occlusives sourdes (absence de surpression)

7. Non-affrication consonantique (mouvements des transitions formantiques pointus)

8. Détente des consonnes finales (avec l’ouverture de la bouche)

Ensuite, par l’habitude d’antériorité l’apprenant du FLE doit aboutir à la maîtrise de : 1. Série de voyelles antérieures arrondies [y, ø, œ]

2. Consonnes [t̪, d̪, n̪, l̪, s̪, z̪] réalisées dentales

3. Arrondissement des lèvres (y compris pour les consonnes suivies de voyelles labiales, par des phénomènes d’anticipation)

Notons que d’autres particularités du français doivent faire l’objet de l’apprentissage phonétique, selon P. Delattre. Il s’agit de la :

1. Nasalité vocalique

2. Prévalence de l’intonation montante

3. Nature durative de l’accent primaire placé sur la syllabe finale 4. Loi de position pour la distribution des voyelles moyennes

5. Loi de trois consonnes pour déterminer l’emploi des voyelles ou semi-voyelles Un cours de phonétique devrait s’appuyer sur des matériaux méticuleusement construits, privilégiant la qualité à la quantité. Il devrait présenter les difficultés phonétiques graduellement, c’est-à-dire aborder d’abord la prosodie et les principes généraux d’articulation (antériorité, position de la langue, des lèvres, la loi de position), puis les sons individuels, mais toujours intégrés dans des unités de sens.