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Objets connectés et algorithmes : nouveaux enjeux et nouveaux risques

Dans les premiers temps du développement de l’Internet auprès du grand public, les données qui étaient échangées étaient souvent décrites comme celles d’un réseau distinct du monde physique créant une forme de réalité parallèle ou virtuelle. Désormais, les données qui transitent sur le réseau sont intégrées (ou issues) de l’ensemble des activités quotidiennes des citoyens. L’évolution prochaine vers ce que l’on nomme désormais l’Internet des objets devrait amplifier ce phénomène d’indistinction entre le réseau et les activités humaines.

69 Exemples de finalités des réutilisations actuellement observables : nosdeputes.fr ; dentistedegarde.net (site récemment fermé pour cause d’interruption de la source) ; ameli.fr ; etc. Autre exemple : en 2012, nombre de services publics d’archives ont largement diffusé sur Internet les images et données des actes de l’état civil devenus « librement communicables ».

70 C’est ce second volet de la loi qui devra être modifié pour le rendre conforme à la nouvelle directive de 2013/37/UE du 26 juin 2013 modifiant la directive 2003/98/CE concernant la réutilisation d’informations détenues par le secteur public. La nouvelle directive ne remet pas en cause ce principe, bien au contraire. Elle écarte en effet explicitement du droit à réutilisation les documents dont l’accès est exclu ou limité pour des motifs de protection des données à caractère personnel ou dont la réutilisation a été définie par la loi interne de l’Etat membre comme incompatible avec la législation protégeant les données à caractère personnel. Les Etats membres de l’Union Européenne disposent d’un délai de deux ans pour transposer cette directive.

52 – AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

ٰHyper-connexion et banalisation de la captation des données

La distinction qui existe encore aujourd’hui entre connexion et déconnexion vis-à-vis de l’Internet devrait tendre à disparaître à mesure que les capteurs et objets connectés transmettront des informations en permanence dans notre environnement. C’est déjà le cas de nombreux services issus des capteurs présents dans les terminaux mobiles (smartphones et tablettes) qui analysent les activités de leurs utilisateurs71. Cette évolution vers un usage massif des données issues des capteurs sera encore plus visible avec la montée en puissance des objets connectés qui seront pour la plupart dotés de capteurs. En effet, une fois équipés de capteurs et de dispositifs de transmission, les objets deviennent à leur tour des vecteurs de nouveaux services à valeur ajoutée72. La prise en compte de la dynamique de fonctionnement de ces objets connectés (depuis leur conception jusqu’à leur destruction) constituera l’une des nouvelles frontières de l’éducation numérique. Cette révolution numérique se traduit par une banalisation de la captation automatique de données personnelles. C’est ainsi le concept de ville intelligente, où le domaine des transports repose sur une géolocalisation permanente des individus, afin de répondre aux besoins de chacun et conduire une politique de développement durable au profit du bien commun.

La numérisation de nos activités humaines n’a dès lors plus de limites. Elle peut concerner notre voiture, nos appareils électroménagers mais également notre corps et ce que nous en faisons.

Cartographie mondiale des objets connectés réalisée par le moteur Shodan73

71 Les mouvements des smartphones pourraient révéler aux automobilistes les emplacements disponibles (MIT Technology Review, 15 septembre 2014).

http://www.technologyreview.com/news/530671/smartphone-movements-could-reveal-empty-parking-spots/

72 20 % des grandes entreprises investissent dans l’Internet des objets (Proxima Mobile - 21 août 2014)

http://www.proximamobile.fr/article/20-des-grandes-entreprises-investissent-dans-l’Internet-des-objets

73 http://www.proximamobile.fr/article/une-cartographie-mondiale-de-l’Internet-des-objets

ٰDu quantified self au système de santé74

L’un des champs les plus complexes et les plus prometteurs mais parfois aussi les plus inquiétants dans l’utilisation des données personnelles concerne la santé et la prévention.

Ce mouvement qui repose sur une utilisation croissante de capteurs corporels connectés – bracelets, podomètres, balances, tensiomètres, etc. – et d’applications sur mobiles, s’accompagnent de pratiques volontaires d’auto-quantification qui se caractérisent par des modes de captures de données de plus en plus automatisés, et par le partage et la circulation de volumes considérables de données personnelles. Un phénomène qui se développe à l’initiative des individus eux-mêmes et aussi, en raison des modèles économiques des acteurs investissant ce marché.

Ainsi, la montée en puissance de nouveaux dispositifs de suivi et de diagnostic pourrait transformer l’ensemble du système de santé. La chute des coûts des capteurs et l’articulation des objets connectés avec les terminaux mobiles (smartphones, tablettes, voire bientôt les lunettes et les montres connectées) permettent la mise en place de capteurs permanents auprès des patients afin de suivre leurs activités et détecter les premiers signes de certaines pathologies. Selon une étude de Bloomberg de 2013, les capteurs intégrés devraient passer de 100 millions d’unités en 2014 à 2800 milliards en 2020.

Cette évolution vers l’acquisition de données médicales au détour des activités quotidiennes constitue l’un des marchés clés pour les technologies mobiles. Selon les études de marché sur la santé mobile, l’ensemble de ces technologies pourrait ainsi représenter en 2017 un marché mondial de 26  milliards de dollars, dont plus du quart proviendrait de l’Europe75. Au-delà des innovations qui seront mises en place auprès des patients, les technologies de la santé mobile devraient transformer l’ensemble des infrastructures de santé. Ainsi au niveau des centres de soin elles permettront de transformer les missions de ces structures à la fois pour orienter celles-ci vers la prévention des pathologies. La gestion des données pourrait ainsi devenir le cœur de métier des structures de santé. Ainsi, Éric Topol, professeur de génomique au Scripps Research Institute déclare  : « Excepté pour certaines fonctions clés comme les soins intensifs et la chirurgie, les hôpitaux seront entièrement transformés en centres de surveillance des données. Les gens souriront en repensant aux visites chez leur médecin avec le légendaire stéthoscope ainsi que l’ensemble des pratiques qui existaient avant l’ère numérique76 ».

Pour accompagner ces évolutions, il conviendra de permettre aux citoyens de s’approprier les nouvelles formes que prendront les institutions sanitaires et le système de santé. Leur permettre aussi de mieux comprendre les évolutions de nos sociétés face à ces évolutions.

Les acteurs du secteur prudentiel sont aussi directement impliqués dans l’équation économique de la santé mobile77. En effet l’articulation entre les acteurs des technologies de la santé mobile et les sociétés d’assurances a d’autant plus de sens que ces nouveaux

74 « Aujourd’hui nous appelons ces technologies “mesure de soi” (quantified self) demain nous les appellerons

“système de santé” » « The Body-Data Craze » (Newsweek, 26 juin 2013).

75 http://research2guidance.com/the-market-for-mhealth-app-services-will-reach-26-billion-by-2017/

76 Eric Topol, « On the Future of Medicine » – Wall Street Journal 7 juillet 2014.

http://online.wsj.com/articles/eric-topol-on-the-future-of-medicine-1404765024, voir aussi son ouvrage The Creative Destruction of Medicine (Ed. Basic Books - janvier 2012).

77 Wearable Tech Is Plugging Into Health Insurance (Forbes, 19 juin 2014).

http://www.forbes.com/sites/parmyolson/2014/06/19/wearable-tech-health-insurance/

54 – AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

capteurs pourraient permettre la détection précoce des pathologies et ainsi repousser dans le temps la nécessité pour les assureurs d’avoir à prendre en charge dans la durée des pathologies lourdes et coûteuses.

Le traitement à distance des données des patients n’est pas encore intégré dans l’équation économique de la santé en France à l’inverse de nos voisins britanniques où les médecins peuvent prescrire des applications mobiles ou des objets connectés dédiés à la santé78. Cette évolution n’est que le premier pas vers des transformations beaucoup plus radicales de l’économie de la santé. Le Nouvel Économiste résumait ainsi les raisons qui ont jusqu’ici prévalu pour expliquer les enjeux liés à aux évolutions de la médecine numérique ainsi qu’aux difficultés à faire évoluer le système de santé en France : « Blocages défensifs, crispations corporatistes, carence de compétences, – de management surtout –, se conjuguent pour contrarier ces mutations majeures, plus certainement que l’argument traditionnel du manque de ressources financières. Et l’absence d’impulsion politique au plus haut niveau ne fait que rajouter à la difficulté79… »

Les débats sur la nécessité pour les citoyens de maîtriser l’usage qui est fait de leurs données personnelles ont conduit certains acteurs à envisager un «  droit de propriété  » sur ces données. Cela conduirait par voie de conséquence à envisager la cessibilité de ces données, en particulier pour des raisons économiques80. Cette perspective a été à juste titre considérée par le Conseil d’État81 comme un risque pour les citoyens. En effet, la multiplication des opportunités offertes par les acteurs économiques en particulier dans le domaine de la santé de valoriser ces données pourrait mener à des situations de risques accrus pour les libertés individuelles. La publication des données relatives à la forme et à la santé (par exemple sur les réseaux sociaux) peut aussi devenir un outil de contrôle économique et social voire de «  profilage  » des risques associés à un individu. Les craintes concernant l’utilisation des données personnelles médicales sont d’autant plus légitimes que des données personnelles en apparence anodines peuvent être intégrées dans des algorithmes d’évaluation des risques de santé. Ainsi, l’achat d’une friteuse ou la consommation de substances riches en graisse pourraient participer à l’élévation des risques cardio-vasculaires d’un usager bien avant qu’il soit besoin de vérifier qu’une personne participe à un groupe de discussion sur une pathologie particulière sur les réseaux sociaux82. Lorsque les dispositifs de captation d’information de santé seront intégrés dans l’ensemble des terminaux mobiles et objets connectés (comme les nouvelles générations de montres connectées) ou les vêtements ou accessoires sportifs, le recueil de ces informations pourrait devenir encore plus sensible en termes d’évaluation précise du profil des risques associés à une personne.

Ainsi, la transmission non contrôlée de ces informations à des annonceurs pourrait avoir

78 Le ministre de la Santé britannique incite médecins et patients à utiliser des applications mobiles

http://www.proximamobile.fr/article/le-ministre-anglais-de-la-sante-demande-aux-medecins-d’inciter-leurs-patients-utiliser-des-a

79 e-Santé : les technologies sont là, les mentalités pas encore (Patrick Arnoux, Le Nouvel Économiste - 5 août 2014)

http://www.lenouveleconomiste.fr/e-sante-les-technologies-les-mentalites-pas-encore-23635/

80 How Much Is Your Privacy Worth ? (MIT Technology Review, 26 août 2014).

http://www.technologyreview.com/news/529686/how-much-is-your-privacy-worth

81 « Le droit sur les données personnelles, un droit à l’autodétermination plutôt qu’un droit de propriété », étude annuelle 2014 du Conseil d’État : Le numérique et les droits fondamentaux (p264)

http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/144000541-etude-annuelle-2014-du-conseil-d-État-le-numerique-et-les-droits-fondamentaux 

82 The creepy side of data mining: Selling “sick” lists (CBS Moneywatch 11 septembre 2014) http://www.cbsnews.

com/news/the-creepy-side-of-data-mining-selling-sick-lists/

des conséquences imprévisibles. Ces préoccupations de maîtrise des données de santé liées aux objets connectés sont telles que la société Apple vient d’annoncer que les données qui transiteront via son système de centralisation des données de santé ne devraient pas être transmises (ou revendues) à des annonceurs publicitaires83.