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Accès aux données publiques : un nouveau regard citoyen

Les différents outils mis désormais à la disposition des citoyens ouvrent de nouvelles opportunités d’implication des citoyens dans les processus de décision des pouvoirs publics et des collectivités territoriales. Tout d’abord, le développement d’une société qui s’oriente davantage en fonction des faits statistiques (data-driven) peut avoir un effet positif sur la compréhension que les citoyens ont de ce qu’est l’État et de ce qu’il fait. Or, mettre à disposition des citoyens, que ce soit en ligne, dans des administrations, ou dans des tiers-lieux, des données publiques et d’outils, présente différentes limites. D’une part, l’appropriation de ces moyens est inégale, si bien que certains citoyens peuvent être exclus ou certains peuvent être plus ou moins écartés de ces processus. D’autre part, les administrations peuvent être rétives à partager des données, à confier des outils, et à accompagner ces expériences, qui peuvent être perçues comme inutiles, ou porteuses de dysfonctionnements ou de ralentissements.

ٰL’Open Data et transparence de la décision publique

Du partage des résultats de recherche scientifique, l’Open Data renvoie aujourd’hui plus largement à la publication des données des administrations pour les rendre accessibles à la société. Ce mouvement dont nous avons vu précédemment qu’il se diffuse dès les années 70, participe de la construction de la transparence de la décision publique et favorise la participation citoyenne. Les Etats-Unis, le Canada, le Royaume-Uni et les Pays-Bas font notamment office de figures de proue de ce mouvement né en Europe de libération des informations du secteur public. Une littérature spécialisée se constitue d’ores et déjà

46 Pair-à-pair (peer to peer), c’est-à-dire échanger des fichiers sans passer par un serveur extérieur.

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(réflexions philosophiques et perspectives espérées par les acteurs concernés, relayées par la presse) et les premières modifications des cadres juridiques afférents interviennent depuis le début des années 200047. En France, ce concept a été initié depuis 2010 par les collectivités locales, avant que le gouvernement ne rejoigne le mouvement48. En effet, la mission Etalab a été créée en 2011 avec pour objectif la mise en place du portail gouvernemental data.gouv.fr49, pour réunir les différentes données produites par les départements ministériels et autres institutions publiques, et désormais destinées à une mise à disposition gratuite sur Internet. Résultat de la mobilisation de la puissance publique, la France vient de se hisser de la 16ième place en 2013 à la 3ième place de l’Open Data Index pour l’année 2014.

De ce point de vue, l’Open Data est donc un mouvement distinct du Big Data. Leurs origines historiques et intellectuelles sont différentes. On considère généralement que la source de l’Open Data est à chercher dans l’article 15 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 comme le rappelle Henri Verdier50qui stipule que la société a droit de demander compte à tout agent public de son administration. En un premier sens, l’Open Data est d’abord une aspiration démocratique à la transparence. En un second sens, ce mouvement s’est trouvé accéléré depuis une vingtaine d’années, sous le double effet du désir de participation des citoyens à l’administration et à la gestion quotidienne de leurs territoires, et de la possibilité de développer des projets collaboratifs en ligne. Enfin, en un dernier sens, l’Open Data peut se relier au Big Data car les données rendues publiques par l’Open Data peuvent nourrir des dispositifs Big Data.

L’Open Data permet aux services publics de publier des données publiques et à la société civile de les enrichir, modifier, interpréter, en vue de coproduire des informations d’intérêt général. L’histoire du mouvement multi-factoriel de l’Open Data montre qu’il est à la fois un signe de vitalité démocratique, un champ d’innovation économique et social et un outil pour affiner l’action publique.

A titre d’illustration, il est possible de récupérer des statistiques judiciaires sur une ou plusieurs fourchettes annuelles, les horaires de bus parcourant un territoire, la cartographie des forêts domaniales ou de toute autre zone protégée. Toutes ces données sont rendues accessibles, par accès direct depuis le portail Open Data ou par des liens pointant vers d’autres sites.

Les opérateurs privés comme publics ont déjà pris la mesure du potentiel économique lié aux exploitations innovantes des informations publiques, notamment sous l’impact de l’explosion du marché des applications pour smartphones. D’autres exemples comme les défricheurs que sont les réseaux citoyens ou les journalistes d’investigation permettent de mesurer la portée de la libération des données. Les développements de projets issus de l’Open Data séduisent par leur modernité, les capacités d’innovation qu’ils recèlent, et les promesses de croissance qui en découlent.

47 Par exemple : modification du Freedom of Information Act de 1996 pour les Etats-Unis, révision en cours de la directive européenne 2003/98/CE « Public Sector Information » dite PSI.

48 La mission interministerille « Etalab » a été créée par décret n°2001-194 du 21 février 2011 du Premier ministre, François Fillon. Cette mission désormais présidée par Henri Verdier, est actuellement intégrée au Secrétariat général à la modernisation de l’action publique (SGMAP).

49 Le portail « data.gouv.fr », a été créé par circulaire en date du 26 mai 2011 et a été mis en ligne le 4 décembre 2011.

50 Audition de M. Henri Verdier, Directeur d’EtaLab, devant la section de l’éducation, de la culture et de la communication du Conseil économique social et environnemental, le 28 mai 2014.

Connaître la qualité de l’eau dans sa ville, découvrir les sites d’écotourisme dans sa région, consulter la réglementation en vigueur sur l’énergie solaire. Autant d’informations vertes disponibles sur le portail toutsurlenvironnement.fr. Créé dans le sillage du Grenelle de l’environnement, en juillet 2009, ce site du ministère de l’Écologie rassemble près de 44 000 ressources sur l’environnement, mises à disposition par environ 170 administrations.

On y trouve aussi bien des cartes que des rapports, des bases de données ou encore des documents multimédias. « L’objectif est de rendre l’information publique environnementale accessible au plus grand nombre de citoyens, comme l’impose la convention d’Aarhus, ratifiée par la France en 2002 », explique Éric Bonmati, responsable du portail. Le site, qui est passé de 20 000 à 36 000 visites par mois, mène en outre depuis octobre une campagne pour inciter les collectivités à collaborer en ouvrant leurs bases de données. Une initiative qui s’inscrit dans la tendance à l’ouverture des données publiques, l’Open Data, lancée par l’État avec data.gouv.fr.

Malgré les progrès accomplis par l’administration en termes de transparence, la mission commune d’information du Sénat sur l’accès aux documents administratifs constate

«  l’inertie persistante  » des administrations sur l’ouverture des données publiques et la qualité inégale des informations publiées51. Les pratiques actuelles des principaux acteurs de l’Open Data ne permettent néanmoins pas de satisfaire pleinement les objectifs initiaux de ce mouvement de libération des données publiques. En effet, la multiplicité actuelle des portails Open Data ne facilite pas l’accès direct à l’information par les citoyens. Compte tenu du format brut des données mises à dispositions, l’intervention d’un intermédiaire semble en outre inévitable. Cette médiation, source d’activités économiques, tempère dès lors l’objectif de transparence « directe » à l’égard des administrés.

De même, la diversité des formats52 utilisés pour mettre à disposition les données et la nécessité induite par certains d’utiliser des logiciels spécifiques, voire payants, complexifient l’accessibilité aux données et tendent à faire perdre le caractère gratuit de cet accès. Enfin, la qualité des données mises à disposition peut-être altérée par l’absence d’explication sur les méthodes de production de la donnée (par exemple, en matière de statistiques, sur les sources utilisées, etc.). Ces déficits dans la cohérence des débuts de l’Open Data s’érigent en obstacles à l’accessibilité des informations du secteur public.

Par ailleurs, il convient d’intégrer dans la réflexion portée sur l’Open Data, l’accès aux données des entreprises mises à disposition des représentants des salariés dans le cadre des

« bases de données uniques ». Si ces données ne sont pas à considérer comme « ouvertes », elles contribuent cependant à donner aux représentants des salariés, des éléments d’analyses pour mieux connaître la situation de l’entreprise, et ainsi conforter le dialogue social, ainsi que la démocratie sociale.

51 Rapport au nom de la mission commune d’information sur l’accès aux documents administratifs et aux données publiques présidé par M. Jean-Jacques Hyest, sénateur, présenté par Mme Corinne Bouchoux, sénatrice, juin 2014.

52 Sur le site data.gouv.fr, 15 formats de données différents sont utilisés pour diffuser en Open Data. Parmi ces formats, la plupart nécessitent l’utilisation d’un logiciel pour consulter les données. La plupart des formats sont difficilement compréhensibles en l’état. C’est le cas notamment du format [.XML].

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La création d’un administrateur général des données (équivalent du chief data officer anglo-saxon) laisse espérer la définition d’une politique nationale de la donnée au-delà de la seule dimension de l’Open Data.

Cependant il convient de rester prudent : le croisement des fichiers d’Open Data peut permettre d’accéder à des données individuelles qui menaceraient la vie privée des citoyens.

Une transparence absolue ne peut être atteinte et n’est pas forcément toujours souhaitable ; notamment de la part des Etats, à condition que ce soit pour des raisons légitimes de protection des libertés individuelles (par exemple : secret défense, secret de l’instruction...).

Dès lors le dogme politique de l’Open Data avec l’ouverture des données risque fort bien de déplacer la médiation et l’expertise vers les détenteurs d’un capital technologique.

Si l’ouverture des données doit être encouragée, elle doit s’accompagner dans le même temps de toutes les garanties de respect de l’anonymat. Doivent également être exclues de ce mouvement d’Open Data les données relevant du secret industriel et commercial et de la sécurité publique.

ٰLa révolution numérique et l’administration électronique

La France a été désignée, par l’ONU, première en Europe et quatrième dans le monde pour l’administration numérique. La transformation numérique permet aux Français de simplifier leurs démarches administratives. À titre d’exemple, 53% des Français paient leur impôt sur Internet. 86% des agriculteurs effectuent des demandes d’aide au titre de la politique agricole commune. Le site Legifrance a reçu 100 millions de visites et service-public.fr plus de 200 millions en 201353.

Les technologies numériques permettent aux citoyens de faciliter leurs démarches quotidiennes. Les relations administration-citoyens sont de plus en plus dématérialisées grâce aux sites Internet ou aux applications mobiles des administrations. Un des enjeux du développement de l’administration numérique est de rendre ces services ergonomiques pour être utilisables par tous. En effet, une étude de l’Agence nationale des solidarités actives (ANSA) montre que l’ergonomie de ces services participe à la réduction de la fracture numérique qui concerne particulièrement les jeunes en difficulté, les personnes en recherche d’emploi et les seniors54.

Mais le défi de la transformation numérique de l’État réside aussi en la capacité des pouvoirs publics à permettre à tous de pouvoir être connecté, ce qui n’est pas le cas actuellement au vu du coût d’un abonnement ou d’une connexion ponctuelle. L’ANSA recommande ainsi de développer le WiFi55 public dans les lieux fréquentés par ces populations : foyers de jeunes travailleurs, missions locales, centres d’hébergement, centres sociaux…

53 Compte-rendu du Conseil des ministres du mercredi 17 septembre 2014.

54 Agence nationale des solidarités actives, L’accès aux télécommunications pour tous, la parole aux personnes en situation de précarité, avril 2012.

55 Le WiFi est un ensemble de règles de communication permettant de relier sans fil plusieurs appareils informatiques.

Les nouveaux enjeux sociaux et culturels