• Aucun résultat trouvé

Chapitre 6 | Nos études empiriques

6. Sur quels objets ?

Si l’on considère l’ensemble des épreuves de sélection en Fédération Wallonie-Bruxelles, on constate que plusieurs objets, très différents les uns des autres, se trouvent évalués. Le plus souvent, il s’agit de prérequis cognitifs, du type « savoirs enseignés » dans le secondaire (TOSS, matière scientifique de l’examen de médecine, examen en polytechnique) ou lors de la première année à l’université (concours vétérinaire, concours médecine). Les construits sous-jacents à ces tests sont clairement définis puisqu’il s’agit des savoirs et compétences visés par les programmes concernés, même si ces programmes varient d’un réseau d’enseignement à l’autre. La littérature scientifique nous indique qu’ils ont la plus grande valeur prédictive, au moins sur les premières années du cursus.

Parfois, ce sont des aptitudes qui sont évaluées. C’est le cas dans certaines filières des ESA (maîtrise d’un instrument, capacité à jouer un rôle…). Ici, le construit sous-jacent est parfois vague et implicite, dépendant du jury et des membres qui le composent. La qualité de ce genre de filtre est questionnable, si l’on considère en tout cas qu’un filtre de qualité doit être sans équivoque sur la manière dont il fonctionne et sur la justification de ce choix.

En médecine, nous notons aussi que des compétences professionnelles ou des qualités individuelles censées y contribuer sont évaluées à l’entrée des études. C’est le cas pour les volets empathie, éthique et communication des examens d’entrée organisés dans les deux communautés (mais avec quelques différences notables). Quelques réserves pourraient être émises quant à ce type de construits évalués, du point de vue en tout cas des exigences psychométriques minimales habituellement requises.

197

Conclusion

À travers cette carte conceptuelle, notre intention était de rassembler en quelques pages l’essentiel des éléments à prendre en considération pour tenter d’appréhender et d’équilibrer raisonnablement la prise de décision complexe en matière d’installation de filtres à l’entrée des études supérieures. Nous pensons ainsi avoir montré que derrière le vocable « filtre à l’entrée des études supérieures » se cachent une multitude de réalités différentes et contrastées.

Néanmoins, nos analyses empiriques basées sur quelques études de cas nous permettent d’avancer deux pistes de réflexion, ainsi que quelques recommandations.

Premièrement, l’analyse des données du projet « Passeport pour le Bac » (voir p. 151) où les étudiants sont invités à présenter des tests évaluant des prérequis disciplinaires ou transversaux en début d’année, montre que la grande majorité des étudiants ne réussissant pas ces tests n’attendront pas l’acquisition des 60 crédits (ou même 45 crédits) en fin de première année. En effet, les taux associés aux « faux négatifs », c’est-à-dire aux étudiants échouant aux tests de prérequis qui parviennent néanmoins à acquérir les 60 crédits du bloc 1 de la première année, sont systématiquement très faibles. Des tests à l’entrée bien calibrés constituent donc des informations précieuses concernant l’échec pour la suite du cursus. Et l’analyse empirique sur différents cursus révèle qu’on pourrait accompagner, éventuellement vers une réorientation rapide (en début d’année), environ un tiers des étudiants qui n’ont peut-être pas réalisé un choix judicieux au regard des compétences et connaissances qu’ils possèdent et qui, malheureusement, en conservant leur choix de départ, risquent d’entrer dans une spirale d’échec, sans au final obtenir de diplôme. Le pattern constaté pour le « Passeport pour le bac » n’est pas observé pour le TOSS ni, dans une moindre mesure, pour le concours de médecine. Là, des étudiants qui échouent à un test visant pourtant, eux aussi, des prérequis sont tout à fait susceptibles de réussir leur année d’étude. Les données analysées à la sélection en école polytechnique sont éclairante : tout dépend du calibrage de l’épreuve. La notion de filtre « bien calibré » est donc essentielle.

Par contre, la réussite des tests de prérequis ne prédit pas systématiquement de manière fiable la réussite (l’acquisition de 60 crédits, ou même 45 crédits), les taux des « faux positifs » étant relativement élevés. Et le niveau de fiabilité est variable de cursus en cursus. Il est effectivement plus difficile de prédire la réussite lorsque les tests ne sont pas disciplinaires, et également lorsqu’il y a peu de continuité de la discipline entre le secondaire et l’enseignement supérieur. Ainsi, les tests seront plus prédictifs pour des études en sciences que pour des études en sciences juridiques.

198 Plusieurs limites de cette analyse doivent néanmoins être prises en compte. D’une part, les analyses ont été réalisées sur un échantillon de cursus et d’universités, ce qui implique qu’il faudrait vérifier la généralisation des résultats sur l’ensemble de l’enseignement supérieur. D’autre part, l’analyse s’est concentrée sur les résultats des étudiants après la première année dans l’enseignement supérieur. Il serait intéressant de vérifier la progression des étudiants sur l’ensemble de leur parcours jusqu’à l’obtention du diplôme, l’abandon, ou la réorientation.

La continuation de cette réflexion sur les « Passeports pour le Bac », qui a comme objectif de promouvoir et démocratiser la réussite en première année universitaire, est dès lors intéressante. Il est néanmoins évident que, pour qu’un élargissement soit efficace, des ressources supplémentaires pour créer ces tests, mais surtout pour ensuite accompagner les étudiants dans une remédiation ou une réorientation sont nécessaires. En outre, il faudrait également que les résultats aux tests et leur signification sur les éventuelles conséquences soient perçus clairement et sans ambiguïté par les étudiants.

Dans une autre de nos études empiriques (voir p. 168), des étudiants issus d’une même cohorte ont été suivis tout au long de leur parcours universitaire et de leur évolution dans différents types de cursus. La question centrale dans cette étude est la question d’équité, l’objectif étant d’essayer d’atteindre une équité en termes de résultats (en termes de diplomation) et pas seulement en termes d’accès à l’enseignement supérieur. Malheureusement, les inégalités de choix dans les études supérieures ainsi que les inégalités de résultat restent encore et toujours bien présentes malgré l’accès non contraint par des filtres. On observe encore des taux d’abandon dans les deux premières années proche de 50 %. Néanmoins, une constatation nous interpelle : dans cette analyse de cohorte, il est mis en évidence que dans le cursus où un examen d’entrée est obligatoire, le nombre d’étudiants boursiers n’est pas significativement moindre, mais surtout que leur parcours est bien plus proche de celui des non-boursiers par rapport aux autres cursus, ce qui au final permet aux établissements d’enseignement supérieur de jouer leur rôle d’ascenseur social. Il est évidemment aussi important de garder en tête que cette analyse est également soumise à certaines limites dont la plus grande est le manque de données transversales au niveau de l’ensemble de l’enseignement supérieur.

Les difficultés pratiques que nous avons rencontrées pour réaliser ce rapport amènent également à une recommandation concernant les données disponibles et la qualité de celles-ci au niveau de l’enseignement supérieur. Constituer une base de données interconnectée pour l’ensemble de ce niveau d’enseignement serait une étape importante pour pouvoir réaliser ce type d’analyse ainsi qu’un observatoire de l’enseignement supérieur. Néanmoins, il ne faut pas sous-estimer cette tâche car l’enseignement supérieur est complexe, international et en pleine évolution. Et mettre en place

199 des bases de données où la qualité des données ne serait pas vérifiée, et/ou sans comité d’éthique afin d’en vérifier l’utilisation serait encore plus dommageable que l’existant. En outre, cette tâche importante nécessite, d’une part, des experts pour analyser les informations et variables importantes qui seraient nécessaires afin de mieux comprendre les mécanismes de choix et de réussite dans l’enseignement supérieur et, d’autre part, des acteurs de terrain afin de vérifier que l’implémentation est réaliste au niveau local. Et nous espérons que le projet « E-paysage » mis en place récemment prendra en compte l’ensemble de ces éléments.

Ce rapport ne pourrait pas être clôturé sans mettre en évidence l’ampleur et la diversité des aides à la réussite mises en place par les différents acteurs de l’enseignement supérieur pour aider les étudiants à réussir certains filtres à l’entrée, mais aussi faciliter la transition entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur. Un organe de partage de bonnes pratiques en ces matières serait intéressant, même si l’on sait qu’il est extrêmement difficile de mesurer l’efficacité de ces actions. Néanmoins, il faut malheureusement constater que le sous-financement chronique ne contribue ni à améliorer, ni partager les différentes pratiques. Ce sous-financement aboutit d’ailleurs actuellement à l’éclosion d’organismes privés utilisant le matériel et les ressources des enseignants, tout en revendant des services d’aide non contrôlés aux étudiants.

200

Références

Littérature scientifique

Agresti, A. (2002). Categorical data analysis. Wiley-Interscience.

Albanese, M. A., Snow, M. H., Skochelak, S. E., Huggett, K. N., & Farrell, P. M. (2003). Assessing personal qualities in medical school admissions. Academic Medicine : Journal of the Association of American Medical Colleges, 78(3), 313–21.

Arias, E., & Dehon, C. (2013). Roads to Success in the Belgian French Community's Higher Education System: Predictors of Dropout and Degree Completion at the Université libre de Bruxelles. Research in Higher Education, 54 (6), 693-723.

Arias, E., & Dehon, C. (2013). Roads to Success in the Belgian French Community's Higher Education System: Predictors of Dropout and Degree Completion at the Université libre de Bruxelles, Research in Higher Education, 54(6), 693-723.

Belhoste B. (2002). Anatomie d'un concours : L'organisation de l'examen d'admission à l'École polytechnique de la révolution à nos jours. Histoire de l'éducation, 92, 141-175.

Bergeron, L., Saint-Onge, C., Martel, S. & Hanna, D. (2011). Evaluation édumétrique d’un dispositif d’entrevues structurées multiples pour la sélection de candidats dans un programme postgradué de dermatologie. Pédagogie médicale, 12(1), 17-27.

Bureau des Etudiants de Polytechnique (2013). L'examen d'entrée en polytechnique, quelle réalité ? Rapport en Sciences de l’ingénieur, Université libre de Bruxelles, Belgique.

Chenot, J.-F. (2009). Undergraduate medical education in Germany. German Medical Science, 7, 1-11 Cleland, J., Dowell, J., Mclachlan, J., Nicholson, S., & Patterson, F. (2012). Identifying best practice in

the selection of medical students (literature review and interview survey). Retrieved from http://www.gmc-

uk.org/Identifying_best_practice_in_the_selection_of_medical_students.pdf_51119804.pdf Cohen-Schotanus, J., Muijtjens, A. M. M., Reinders, J. J., Agsteribbe, J., van Rossum, H. J. M., & van der

Vleuten, C. P. M. (2006). The predictive validity of grade point average scores in a partial lottery medical school admission system. Medical Education, 40(10), 1012–1019.

Conseil des Recteurs des Universités francophones de Belgique, Memorandum, Avril 2014, 14 p. http://www.cref.be/Memorandum_Avril2014.pdf (13 avril 2014).

Danhier, J. & Jacobs D. (2017). Aller au-delà de la ségrégation scolaire . Analyse des résultats à l’enquête PISA 2015 en Flandre et en Fédération Wallonie-Bruxelles. Étude réalisée à la demande de la Fondation Roi Baudouin par le Groupe de recherche sur les Relations Ethniques, les Migrations et l’Égalité (GERME), Institut de Sociologie, Université libre de Bruxelles

Davis, D., Dorsey, J. K., Franks, R. D., Sackett, P. R., Searcy, C. A., & Zhao, X. (2013). Do Racial and Ethnic Group Differences in Performance on the MCAT Exam Reflect Test Bias? Academic Medicine, 88(5), 593–602. https://doi.org/10.1097/ACM.0b013e318286803a

Documents relatifs