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Encadré 15 : Les travailleurs pairs

E. Les objectifs de « l’aller-vers »

Figure 48 : Les objectifs de « l’aller-vers » (inspiré de Blanc et al. 2018)

Les objectifs généraux des actions « d’aller-vers » à destination des personnes en situation de précarité sont de différentes sortes (Blanc et al. 2018) :

Tout d’abord, ces actions visent à amener le système de droit commun vers les individus. Pour cela, le système de droit commun doit être capable de s’adapter au(x) public(s) cible(s). En premier lieu, il faut donc identifier le public cible, puis créer un lien avec ces personnes (ou « tricoter » un lien, comme disent les acteurs de terrain).

« aller-vers » peuvent jouer un rôle d’interface, de facilitateur entre les publics précaires et les structures de droit commun. Ils n’ont pas vocation à se substituer au droit commun, ni à créer une voie parallèle de recours. Leurs actions visent à rétablir le lien entre le public cible et les structures de droit commun.

L’accompagnement passe d’abord par la formulation d’une demande. Ce qui interroge la responsabilité d’un intervenant à porter la demande d’une personne dans l’incapacité ou dans l’impossibilité de la formuler, tout en respectant le choix des personnes ne souhaitant pas d’accompagnement. L’accompagnement des personnes va pour certains intervenants au-delà de l’information et de l’orientation9. Les acteurs de « l’aller-vers » peuvent accompagner dans les démarches administratives, notamment pour s’assurer de l’ouverture des droits des personnes. Cet accompagnement en co-gestion avec la personne concernée peut se manifester par un soutien moral, un déplacement physique avec les personnes dans les structures, un rappel des rendez-vous, etc. De nombreuses stratégies sont mises en place pour renforcer la capacité des personnes à se rendre de façon autonome dans les structures de droit commun. Dans le domaine de la santé, l’accompagnement est déterminant pour améliorer la qualité des soins effectivement reçus et optimiser les trajectoires de soins dans une offre à la fois pléthorique et peu lisible (Chauvin 2012).

Le travail en équipe et en réseau sont indispensables à la bonne mise en œuvre des actions « d’aller-vers ». Certains partenariats seront formalisés par une convention, d’autres seront le fruit d’un accord tacite entre deux parties (qui peuvent être des individus, ou des structures). Les personnes rencontrées font souvent face à des difficultés qui touchent plusieurs domaines de leur vie. Il faut prendre en compte les personnes dans leur globalité pour mener à bien ces actions, rendant le travail en réseau indispensable. Ce travail exige des temps de coordination importants, trop souvent peu valorisés.

Enfin, pour parfaire leur mission, les acteurs de « l’aller-vers » doivent suivre et évaluer leurs actions. Pour cela, ils mettent en place des outils d’évaluation qui permettent en premier lieu de suivre l’évolution de la situation des personnes, mais aussi de produire des données quantitatives et/ou qualitatives sur les activités entreprises à des fins de retour d’expérience, d’échange de pratiques et de capitalisation des savoirs, de valorisation des actions auprès des instances de tutelles et des financeurs et d’adaptation des programmes mis en place. Penser les indicateurs d’impact et les outils qui permettront de les relever (sans entraver l’action mais en restant pertinent) est un réel enjeu pour

9 En médecine, information et orientation sont au cœur de la relation médecin-malade et constituent une responsabilité particulière de la médecine générale.

l’avenir de ces actions. Trop souvent, cette évaluation se limite à un rapport d’activité aux tutelles alors que celles-ci devraient soutenir et fournir les moyens d’une évaluation réellement utile et pertinente.

In fine, l’ensemble de ces actions visent à renforcer la capacité des personnes à se rendre de façon autonome dans les structures de droit commun et à renforcer leur pouvoir d’agir. L’autonomie n’est pas synonyme d’indépendance dans le sens où l’objectif serait que la personne n’ait besoin de personne d’autre. L’autonomie s’entend comme la capacité d’une personne à mobiliser les ressources autour d’elle pour faire face aux situations qu’elle rencontre. Cette autonomie suppose un travail sur l’estime de soi, la confiance dans les institutions de droit commun et une confiance dans l’avenir. Cela interroge sur les limites de l’accompagnement, non seulement dans le temps, mais aussi dans son contenu. Dans quelles conditions une conduite est jugée trop intrusive et ne respectant pas le libre arbitre de la personne ? A quel moment considère-t-on qu’une personne est autonome ? Quand doit-on mettre fin à un accompagnement ?

La juste distance dans le domaine de l’accompagnement entre l’intervenant et le public cible constitue un véritable enjeu : si cette distance est trop grande, alors l’action sera probablement un échec, les bénéficiaires de l’action retrouvant alors les processus habituels, froids et désobjectivants du système classique. Trop souvent, on apprend aux acteurs du soin à ne pas s’exposer personnellement pour se protéger de la relation. Or, Marcel Mauss dans son « Essai sur le don » évoquait la nécessité d’équilibrer le don par un « contre-don » (Mauss 1925). Si le soignant se protège de la relation, alors, le patient n’a pas de moyen de rendre car c’est dans le champ de la relation qu’il est le plus à même de se reconnaître également comme un être de don. Si la distance est trop proche, la sollicitude – dont les limites avec la pitié et/ou la condescendance sont parfois floues – risque alors de prendre le pas sur la relation et le risque projectif et fusionnel entre les deux acteurs de la relation peut devenir problématique. L’accompagnant devra veiller aussi à n’être ni moralisateur, ni paternaliste. La juste distance dans l’accompagnement se joue donc dans cette nécessaire et subtile tension entre attraction et distanciation (Chatel 2010).

ces jeunes peu populaires. Les Missions locales, dont les principes fondateurs étaient ancrés dans un idéal social très fort, ont dû petit à petit valoriser leur travail. Les missions les plus éloignées de l’insertion professionnelle ont peu à peu été mises de côté car plus difficilement valorisables. La pression du chômage a poussé les différents gouvernements à prioriser l’accès à l’emploi dans une culture du chiffre10, qui tend à favoriser l’accompagnement des jeunes les plus facilement « employables » au détriment des plus vulnérables. Très concrètement, de nombreuses Missions locales ont dû fermer ou diminuer drastiquement les accueils psychologiques. Les financements des ARS ont été réduits alors que les besoins sociaux et sanitaires persistent voire augmentent (Kergoat et al. 2013). Comment montrer que prendre en compte la santé des jeunes peut également avoir des effets sur leur insertion sociale et professionnelle ? Comment évaluer rigoureusement l’apport des points santé au sein des Missions locales ? Quelle méthode utiliser pour évaluer leur impact ? Il était nécessaire de trouver une méthode scientifique légitime auprès des décideurs publics afin que les résultats de l’étude puissent être pris au sérieux et que des actions soient entreprises11. Le choix de la méthode s’est donc naturellement portée vers l’essai contrôlé randomisé car elle apportait un niveau de preuve suffisant et était alors en plein essor en recherche interventionnelle en santé des populations – cette méthode étant alors considérée comme le gold-standard tant pour la communauté scientifique que pour les décideurs de la sphère publique. Bien que cette méthode présente des avantages certains, son développement ultra-rapide s’est accompagné de certains écueils. Nous illustrerons ces propos dans le prochain chapitre en nous inspirant d’un autre domaine – l’économie du développement – où ces méthodes (largement importées de la recherche en santé) ont connu un essor plus fulgurant encore. Elles ont valu un « prix Nobel d’économie » [prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel] à leurs promoteurs mais ont, en effet, été largement critiquées.

10 « La mise en place de la globalisation des crédits d’accompagnement des Missions locales doit s’inscrire dans une nouvelle approche de la performance. C’est pourquoi la nouvelle stratégie pluriannuelle de performance des Missions locales porte, pour la période 2019-2022, un nouveau cadre de performance avec l’instauration d’une part variable de 10% appliquée à toutes les Missions locales. Ainsi, en 2020, le montant de cette part sera déterminé au regard de l’atteinte des objectifs 2019 fixés lors des dialogues de gestion. » (réponse du Ministère du travail publiée au Journal Officiel du Sénat du 13/06/2019, p. 3108)

11 De fait, les résultats de cette recherche ont été cités et utilisés par l’ARS Ile-De-France dans sa stratégie d’amélioration de la santé des jeunes (ARS Ile-de-France 2018).

II. La mise en perspective des essais contrôlés randomisés en économie du

développement

Dans cette deuxième partie de la discussion, nous discuterons de la méthode employée dans Presaje, c’est-à-dire des essais contrôlés randomisés. Pour ce faire, nous nous appuierons sur les réflexions d’Agnès Labrousse dans son article intitulé « Nouvelle économie du développement et essais cliniques randomisés : une mise en perspective d’un outil de preuve et de gouvernement » (Labrousse 2010) et de Florent Bédécarrats, Isabelle Guérin et François Roubaud dans l’article intitulé « L’étalon-or des évaluations randomisées : économie politique des expérimentations aléatoires dans le domaine du développement » (Bédécarrats et al. 2017) à propos des essais contrôlés randomisés en économie du développement. Bien que les propos de ces derniers dans les deux articles sources soient à charge contre les « randomistas » (et en particulier contre Esther Duflo), leurs propos nous éclairent pour discuter de la pertinence des essais contrôlés randomisés dans notre contexte et donc, in fine, de nos résultats.

Les essais contrôlés randomisés, autrement appelés méthodes expérimentales d’évaluation d’impact par assignation aléatoire (en anglais Randomized Control Trial, RCT dans la suite du texte), sont utilisés dans le domaine de la recherche médicale depuis les années 1940 (Labrousse 2010). Aux Etats-Unis, ces méthodes sont utilisées depuis les années 1960 pour l'évaluation des politiques publiques dans les domaines comme la criminalité, l’assurance, l’emploi, la fiscalité ou encore l’éducation. Elles sont devenues le gold-standard de l’évaluation en économie du développement depuis les années 2000 avec l’essor de jeunes chercheurs tels qu’Esther Duflo ou Abhijit Banerjee. Cette transposition de méthodologie du domaine médical au domaine économique intervient dans des circonstances opportunes (omniprésence de la culture de l’évaluation au sein du courant néolibéral et fin du cycle idéologique du consensus de Washington).