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Où Topoï et Chronos s’entrelacent volontiers

CHAPITRE 5- MECANISMES D’EMERGENCE DES CEINTURES

IV- Où Topoï et Chronos s’entrelacent volontiers

« Je t'ai, tu m'as. Mais où? Partout, toujours.

Extase sur laquelle, quand on est le temps, on se blase. »

Jules Laforgue, Complainte du temps et de sa commère l'espace, 1885.

Les rapports entre développement urbain et durée sont complexes. Le temps des héritages, le temps de l’instantané, le temps des perspectives d’avenir, le temps des processus progressifs d’évolution, les temps des différents acteurs se conjuguent et coexistent.

1) De l’autonomie des formes

Aucune forme n’existe si elle n’est pas l’émanation d’une force. Or, avec le temps, on a vu213 que les formes semblent acquérir ensuite une autonomie dans leur survivance. La résistance de l’espace physique l’autonomise par rapport aux choix des acteurs. Sur ce point, le modèle des fringe belts et l’école théorique de la Nouvelle Géographie sont daccord pour proclamer une relative autonomie du fonctionnement de l’espace. Les processus engendrent des formes qui à leur tour influencent, contraignent des processus qui peuvent être différents, sans forcément de retour sur les formes initiales. Les fringe belts sont-elles des formes résultant de processus (involontaires) ou de volontés (plans) ? Les formes dépassent parfois la volonté de leurs constructeurs. Certains aspects morphologiques de l’interface terrestre n’ont été ni conçus ni projetés (processus sans sujet). Cette vie des formes pose la question de leur autonomie. Si une forme existe et est observable, c’est qu’elle est apparue et a duré un certain temps. Ce constat constitue certes un truisme mais ne doit cependant pas être oublié. Si la genèse, l’émergence d’une

213 BAUDELLE Guy, 1994, Le système spatial de la mine, l’exemple du bassin houiller du Nord-

Pas- de-Calais, thèse de doctorat d’Etat, Paris I Panthéon Sorbonne, 1228 p. PINCHEMEL

forme relèvent souvent de l’aléatoire, sa persistance comporte une part de déterminisme, et y réfléchir conduit à s’interroger sur son efficacité. La forme qui dure réalise-t-elle équilibre et optimum ? Comment rendre compte de la pérennité des ceintures limitrophes sur le temps long dans certains secteurs, et de leur disparition par endroits ? La plupart des modèles urbains classiques sont des modèles d’optimum et d’équilibre (Alonso, Christaller…) statiques et non dynamiques. La ville semble un mélange de formes voulues par ceux qui l’ont administrée, modelées ensuite par la réalité, les acteurs quotidiens et le temps.

2) Temps et dynamique spatiale

« J’aimerais qu’il existe des lieux stables, immobiles, intouchés et presque intouchables, immuables, enracinés (…) de tels lieux n’existent pas. »

Georges Perec, Espèces d’espaces.

Comme le souligne Marcel Roncayolo214, « Les structures matérielles de la ville ont des rythmes de vie variables, dans lesquels jouent non seulement les rationalités des époques de création, revues, interprétées, corrigées, mais aussi les intérêts qui tiennent à leurs propriétaires, à leur affectation, parfois à leur valeur symbolique ». Les durées sont multiples, de la vision patrimoniale à la logique spéculative. Les constituants morphologiques des territoires urbanisés ne se transforment ni de façon semblable, ni simultanément. Il en résulte des décalages eux-mêmes à l’origine de nouvelles évolutions. Ainsi, par exemple, les architectes urbanistes Bernardo Secchi et Paola Vigano, en charge du projet de la Courrouze, au Sud Ouest de Rennes, (voir chapitre 7) soulignent-ils l’importance de l’abandon de certains secteurs urbains rendant possible le renouvellement de la ville. L’abandon du secteur de la Courrouze est à l’origine d’un patrimoine végétal important sur lequel est fondé son projet d’aménagement actuel. Ces modalités de stabilité et de variation doivent être prises en compte dans la conception et le déroulement des projets urbains. Les temps de la négociation, de

214 RONCAYOLO M., 2002, Lectures de villes, Formes et Temps, coll. Eupalinos, Parenthèses,

la créations, des usages se succèdent ou se chevauchent. Partant de ce constat de multi-temporalités urbaines, Marcel Roncayolo215 distingue le temps des créateurs (architectes, urbanistes, ingénieurs), le temps des décideurs politiques, le temps des constructeurs et des financiers, suspendu aux risques du marché et de l’anticipation, et le temps des pratiques sociales, accroché au présent. L’un des intérêts de l’analyse urbaine réside donc dans la tentative de retrouver des articulations, des modes d’ajustement entre ces différentes temporalités.

En matière de temporalité, le modèle des fringe belts revêt donc un double intérêt. D’une part, il met en évidence la temporalité de l’objet étudié : permanence des formes, fluidité des usages, détection de l’émergence, des formes de construction et de destruction selon une double temporalité. D’autre part, c’est sa nouvelle mise en pratique qui s’inscrit également dans une temporalité épistémologique. En définitive, la ville demeure en mutation permanente. L’enjeu consiste alors à faire de ce que l’architecte urbaniste Antoine Grumbach analyse comme « l’utopie concrète de la ville comme métaphore de l’inachèvement perpétuel »216 un outil opératoire.

Conclusion :

Une partie des hypothèses de départ est donc vérifiée par la mise en application du modèle aux villes françaises. Cependant, la période la plus récente semble remettre en cause le modèle qui ne prend pas en compte des facteurs devenus prépondérants dans l’évolution de la forme urbaine, en particulier le poids de la puissance publique. Sans doute ne faut-il pas perdre de vue que ce modèle a été élaboré dans un contexte urbain très différent. Le modèle serait dès lors plus adapté au contexte libéral des villes britanniques.

Dès lors, la troisième partie de ce travail va s’attacher à réinterroger le modèle de manière critique pour en dégager les faiblesses et les limites,mais aussi les apports par rapport aux autres modèles urbains.

215 RONCAYOLO M., ibid.

TROISIEME PARTIE :

REINTERROGATION

CHAPITRE 6 : UN MODELE