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Le travail de recherche présenté dans ce mémoire porte sur l'étude d'un noyau actif de galaxie spécique, celui de NGC 1068.

Ce noyau actif est l'un des plus proches de la Voie Lactée. Situé à une distance

14,4 M pc (Bland-Hawthorn et al., 1997), l'échelle locale de distance est de 70 pc/”

(conventions qui seront conservées pour le reste du document). Cette proximité, cou-plée à certains avantages observationnels (luminosité importante, pas d'avant plan gênant, disque galactique de NGC 1068 vu par la face) en fait une cible de choix pour

l'étude des NAG et a déjà mené à une multitude d'observations et de publications1.

Son importance est notamment historique, puisque comme nous l'avons vu, NGC 1068 était l'une des premières galaxies actives observées par Seyfert, et son noyau est de fait le standard du type Seyfert 2 (Seyfert, 1943). C'est également suite à l'observation de son spectre polarisé que l'existence d'un tore de poussière, et plus généralement le modèle unié des NAG, ont été proposés (Antonucci and Miller, 1985; Antonucci, 1993).

NGC 1068 possède une luminosité particulièrement importante dans l'infrarouge, avec une magnitude L ∼ 5 Glass (1995), qui est la signature du tore de poussière chaué en son c÷ur par le disque d'accrétion.

Il s'agit d'un objet complexe, où cohabitent de nombreuses structures et des condi-tions physiques variées. Des grandes échelles aux petites échelles, je présente dans les pages suivantes une description observationnelle des composants les plus remarquables et les plus pertinents pour l'étude à venir : les populations stellaires, le cone de gaz ionisé, le tore de poussière et ses sous-structures. J'ai séparé ces descriptions en trois sous-sections, selon les échelles spatiales considérées.

1.2.1 Les structures à grandes échelles (> 100 pc)

Région de gaz ionisé, vent, jet

La région de gaz ionisé émettrice de raies étroites (la NLR) est la plus grande structure du noyau de NGC 1068. À sa périphérie, le vent de gaz rencontre une région plus dense de milieu interstellaire, ralentit à la vitesse systémique de la galaxie et se confond avec celle-ci.

La NLR de NGC 1068, d'abord observée dans les domaines optique et UV (Mac-chetto et al., 1994; Kraemer and Crenshaw, 2000; Cecil et al., 2002) puis dans l'in-frarouge (Davies et al., 2007; Martins et al., 2010; Exposito et al., 2011; Riel et al., 2014; Gratadour et al., 2015), est bien connue. Ces observations ont révélé sa forme de sablier orienté nord-est/sud-ouest (voir gure 1.14), et un mouvement du gaz, décalé

1. À la date de rédaction de ce document, 5014 articles mentionnant l'objet sont répertoriés sur https ://ui.adsabs.harvard.edu/, dont 765 dans le titre

vers le bleu dans la région nord-est et vers le rouge dans la région sud-ouest. Cette dy-namique est interprétée comme un outow expulsé par le noyau dans un bicone (voir gure 1.13 Das et al., 2006; Poncelet et al., 2008). Ces deux dernières études donnent une estimation de l'inclinaison du bicône : le pôle nord est dirigé l'observateur, avec

iP N = 5 pour (Das et al., 2006) et iP N = 10 pour (Poncelet et al., 2008).

Figure 1.13  Modèle dynamique de la NLR de NGC 1068. (d) Représentation tridimensionnelle de la structure, avec un èche indiquant la ligne de visée. (e) Prol de vitesse dans le plan indiqué en gris dans la gure (d). (f) Diagramme vitesse-position correspondant. Crédit : (Das et al., 2006)

Deux mécanismes d'ionisation sont invoqués pour expliquer le comportement des raies d'émission observées : de la photoionisation par le rayonnement UV-X du disque d'accrétion central (Kraemer and Crenshaw, 2000; Hashimoto et al., 2011), et une ionisation résultant des chocs causés par l'interaction du jet avec le milieu (Dopita and Sutherland, 1996; Kraemer and Crenshaw, 2000; Exposito et al., 2011). Dans une moindre mesure, le rayonnement provenant d'étoiles jeunes a également été mentionné comme une source possible d'ionisation du milieu (Nazarova, 1996; Exposito et al., 2011).

La population stellaire

Comme observé par Origlia et al. (1993), une population stellaire siège autour du noyau de NGC 1068 et contribue signicativement à son ux, au moins dans la bande H (∼ 70% du ux).

Des études plus récentes dans l'infrarouge proche (Davies et al., 2007; Martins et al., 2010; Storchi-Bergmann et al., 2012) ont permis de caractériser cette population stellaire plus en détail, grâce notamment à une meilleure résolution spatiale et des capacités de spectroscopie. Elles mettent en évidence la présence d'un amas central,

résolu, avec une taille de l'ordre de la centaine de parsec, superposé à une contribution plus diuse. Ces études soulignent la présence d'indices de formation stellaire récente à la fois dans l'amas et dans sa périphérie.

Plus récemment encore, Rouan et al. (2019) ont observé cet amas central à haute résolution angulaire à l'aide de l'instrument SPHERE en mode imagerie dans les bandes H et K. En étudiant la luminosité de l'amas, son rayon et son prol radial, les auteurs montrent qu'ils sont similaires à ceux de galaxies infrarouge lumineuses et ultra-lumineuses (i.e. LIRGs et ULIRGs), et suggèrent qu'il pourrait résulter d'un épisode de formation stellaire récente.

Ces diérentes études sont présentées et discutées plus en détail dans le chapitre 2, où leurs résultats seront comparés à ceux obtenus à partir de l'étude spectroscopique SPHERE.

1.2.2 Le tore étendu, autour de 10 pc

L'utilisation de systèmes d'optique adaptative dans l'infrarouge et d'interféromé-trie millimétrique ont permis de résoudre partiellement le tore de poussière et son environnement immédiat. Par opposition à la région interne du tore qui sera men-tionnée plus tard, j'appellerai pour la suite du manuscrit cette région le tore étendu.

Imagerie polarimétrique

Les parties les plus externes du tore de poussière sont froides et donc peu lu-mineuses dans l'infrarouge. Des observations classiques d'imagerie, même à haute résolution angulaire (voir Rouan et al. (2019)), ne permettent donc pas de l'observer. Néanmoins, en utilisant des techniques d'imagerie polarimétrique, Gratadour et al. (2015) ont pu identier une région allongée de 27 × 15 pc (voir gure 1.14a) où les photons semblent subir des diusions multiples, ce qui est interprété comme étant la

si-gnature d'un tore étendu observé par la tranche, avec un angle de position P A = 118

(déni comme la diérence entre l'orientation du grand axe de la structure avec la direction Nord, compté positivement vers l'est, convention qui sera conservée pour la suite du manuscrit sauf mention contraire).

Notons que cette observation a également mis en évidence une seconde structure hautement polarisée, appelée ridge par les auteurs et orientée très diéremment de la

première avec P A = 56 (voir gure 1.14b). Son origine n'est pas connue avec

certi-tude, mais les auteurs suggèrent qu'elle pourrait résulter de l'absorption dichroïque par la poussière du milieu.

(a) (b)

Figure 1.14  (a) Diérence entre l'angle de polarisation observé et une polarisa-tion centro symmétrique. Les régions claires indiquent une diérence importante, qui traduit des diusions multiples, signatures du tore étendu de poussière. (a) Degré de polarisation observé autour du noyau. Crédit : Gratadour et al. (2015)

Le voisinage du tore

Les observations à haute résolution angulaire dans l'infrarouge proche et moyen ont révélé la complexité de cette région ainsi que la présence de diérentes sous-structures à proximité de la source infrarouge principale (en particulier dans la région nord à une distance comprise entre 4 pc et 20 pc du coeur), appelées nodules par les auteurs (Gratadour et al., 2003, 2006; Exposito et al., 2011).

D'après des mesures de photométrie, ces structures ont des températures comprises entre 300 K et 400 K (Gratadour et al., 2006). Une étude spectroscopique dans la bande K (Exposito et al., 2011) a mis en évidence la présence de raies à fort niveau d'ionisation, appelées raies coronales, dont l'intensité ne peut pas être expliquée par une photoionisation classique de la source centrale. Les auteurs suggèrent deux explications : que l'émission résulte de l'interaction avec le jet, ou bien que ces nodules soient des super amas d'étoiles.

Le tore moléculaire

À l'échelle spatiale juste inférieure, Gallimore et al. (2016); García-Burillo et al. (2016) ont pu mettre en évidence grâce à des observations ALMA un disque de gaz,

associé au tore moléculaire. De dimensions ∼ 7 × 10 pc, orientée selon P A = 112 et

de masse Mgaz = (1 ± 0,3) × 105 Modot, cette structure se révèle complexe aussi bien

par sa géométrie que par sa dynamique.

Sa distribution de ux est asymétrique, avec l'extrémité sud-est signicativement plus lumineuse. Plus surprenant, l'utilisation du modèle de tore CLUMPY (Nenkova

à des valeurs de i supérieures à 60, ce modèle indique une inclinaison de 66 pour le disque. Dans une première étude de García-Burillo et al. (2016), l'analyse du décalage Doppler des raies d'émission de CO semble indiquer un axe dynamique orienté avec

P A = 180, i.e. un axe nord-sud, avec la région nord décalée vers le bleu et la région

sud décalée vers le rouge. Néanmoins, des publications récentes utilisant une raie de HCN suggèrent une rotation Keplerienne alignée avec la distribution d'intensité

(P A ∼ 100 − 110, voir gure 1.15 Imanishi et al., 2018; Impellizzeri et al., 2019).

Cette dernière étude montre également que le milieu est hautement inhomogène et que la région ouest est très turbulente.

Figure 1.15  Diagramme vitesse-position de la raie HCN (J = 3 → 2) le long de

P A = 114. La vitesse de la raie est indiquée par les disques jaunes et rouge, et, à

titre de comparaison, la vitesse des spots masers H2O de Greenhill and Gwinn (1997)

avec P A = 131, corrigée de l'inclinaison du tore mesurée avec ALMA, est représentée

en bleu. Le meilleur modèle pour la rotation Keplerienne des masers est indiquée en pointillés. La même rotation Keplerienne, mais dans le sens opposé, est représentée en tirets. Crédit : (Gallimore et al., 2004)

1.2.3 Le noyau à l'échelle du parsec

Seules des techniques interférométriques permettent d'observer les structures aux échelles spatiales encore inférieures. Je résume ici les conclusions des travaux obtenus à partir de données ALMA, MIDI et VLBA sur la nature du noyau de NGC 1068 à l'échelle du parsec.

Le disque en contre rotation (ALMA)

Des travaux récents basés sur des observations ALMA ont permis de repousser les limites de résolution angulaire de l'instrument et d'observer un disque en contre-rotation aux plus petites échelles spatiales observées (voir gure 1.15 Imanishi et al., 2018; Impellizzeri et al., 2019).

Ce disque, appelé CRD par les auteurs (Counter-Rotation Disk), est compris dans un rayon de r ∼ 1,2 pc, et semble être en rotation dans le sens inverse du tore moléculaire dans lequel il est intriqué. Ce dernier serait donc en réalité un anneau, compris entre des rayon internes et externes de 1,2 pc et 7 pc.

La présence de ce disque en contre-rotation (par rapport au disque externe, mais pas par rapport au disque maser que nous allons voir plus tard) est hautement sur-prenante, et sera discutée plus en détail avec les résultats de l'analyse sur les données GRAVITY dans la section 3.

MIDI

À des échelles spatiales similaires, des informations sur la poussière tiède ont été obtenues dans l'infrarouge grâce à l'instrument MIDI, qui tout comme GRAVITY qui sera utilisé dans cette étude, est un instrument du VLTI. De nombreuses études ont été publiées sur ce jeu de données (Jae et al., 2004; Weigelt et al., 2004; Poncelet et al., 2006; Raban et al., 2009; Burtscher et al., 2013; López-Gonzaga et al., 2014a). Puisqu'elles sont dans l'ensemble cohérentes dans leur description de l'émission infra-rouge du c÷ur de poussière, je ne les décris pas individuellement. Elles s'accordent pour décrire la source centrale comme une structure de ∼ 1,4 pc × 0,5 pc, orientée

avec un angle P A ∼ 130 − 135. Les températures de poussières sont estimées entre

220 K et 370 K par (Poncelet et al., 2006) et entre 600 K et 800 K par Raban et al.

(2009); López-Gonzaga et al. (2014a).

Ces deux dernières étude mettent également en évidence la présence et la contribu-tion signicative au ux d'une extension polaire de poussière, plus étendue et diuse (entre 4 pc et 14 pc), plus froide (T ∼ 300K), qui pourrait provenir de la paroi in-terne du cône d'ionisation (i.e. de la Narrow Line Region). Une image de ces structures observées avec MIDI est présentée dans la gure 1.16.

Figure 1.16  Image possible du noyau de NGC 1068 déduite des observations MIDI. La taille et l'orientation des diérentes structures est bien contrainte, mais leurs po-sitions relatives sont incertaines à cause du manque d'information de phase. Crédit : (López-Gonzaga et al., 2014a)

VLBA : masers et continuum

Enn, la plus haute résolution angulaire a été atteinte grâce à de l'interféromé-trie radio longue base avec le VLBA, qui permet de mettre en évidence une source d'émission, continue spectralement et résolue spatialament, à l'emplacement du noyau (Gallimore et al., 1996, 2001, 2004), ainsi qu'une série de spots maser (Greenhill et al., 1996; Greenhill and Gwinn, 1997; Gallimore et al., 2001).

La source continue, nommée S1 à ces longueurs d'onde, est résolue sous la forme d'une structure allongée de dimension ∼ 0,4 pc×0,8 pc avec un grand axe orienté selon

P A ∼ 110. Une analyse détaillée du spectre de cette source dans Gallimore et al.

(2004) parvient à la conclusion que les photons détectés proviennent de l'émission free-free d'un gaz chaué à très haute température par la source centrale. Cette conclusion

permet d'estimer une luminosité minimum pour la source UV-X centrale : LU V −X

7 × 1037 W.

La détection des spots maser H2O permet d'obtenir des informations très ables

et précises sur la géométrie et la cinématique du milieu émetteur. En eet, l'émis-sion maser est un faisceau amplié et collimaté dont les conditions d'apparition sont strictes. En particulier, le milieu émetteur doit être en mouvement cohérent dans la

Figure 1.17  Position des spots maser par rapport à une image VLBA à 5 GHz de la source S1, avec la vitesse mesurée des maser codée en couleur. Crédit : (Gallimore et al., 2004)

direction de l'observateur et être stimulé par une source de rayonnement intense. Les

spots masers, distribués sur une ligne orientée selon P A ∼ 135 sont observés jusqu'à

une distance de 1,1 pc, et l'analyse de leur prol de vitesse indique qu'ils proviennent d'un disque de rayon interne 0,6 pc et de rayon externe 1,1 pc, vu par la tranche (Greenhill and Gwinn, 1997), dont le sens de rotation est compatible avec le disque interne observé par ALMA (voir gure 1.15). Il semble donc que ce disque soit contenu dans le disque externe observé avec ALMA et ceinture lui-même le nuage de gaz à l'origine de l'émission S1. Il se confond possiblement avec le disque moléculaire interne en contre-rotation. La gure 1.17 montre la répartition des spots masers ainsi qu'une image de S1.

Étude spectroscopique du noyau de