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Chapitre 1 : État des connaissances

1.3 Les néonicotinoïdes

1.3.2 Nouvelles propriétés, nouvelles possibilités

Les néonicotinoïdes se démarquent des autres familles d’insecticide à bien des égards et les caractéristiques qui leur sont propres ont contribué à leur énorme succès. Une des composantes clés des néonicotinoïdes est sans contredit leur propriété systémique, c’est-à-dire la capacité à se solubiliser dans l’eau. Grâce à cette propriété, ils peuvent être absorbés par les racines ou les feuilles d’une plante, puis transportés via le système vasculaire (xylème) et se diffuser à travers tout l’organisme. Tous les organes de la plante, des tiges aux feuilles en passant par les fleurs et même les fruits acquièrent ainsi des propriétés insecticides. Cette caractéristique systémique des néonicotinoïdes leur confère aussi une très grande flexibilité d’application (Hopwood et al. 2012). Ils peuvent être utilisés sous forme de granules que l’on étend à la surface des champs, par pulvérisation foliaire, en ajout à l’eau d’irrigation, par injection directe à l’intérieur des troncs d’arbre ou encore sous forme d’enrobage de semences. À l’exception du fipronil, les néonicotinoïdes sont les seuls insecticides à pouvoir être appliqués comme traitement de semences. Les enrobages insecticides sont en fait si populaires que près de 60% des applications de néonicotinoïdes dans le monde se font sous cette forme (Jeschke et al. 2011). De plus, les composés néonicotinoïdes ont la particularité de cibler une catégorie de récepteurs chimiques qui sont principalement présents chez les insectes, mais très peu chez les mammifères, ce qui leur confère une très forte toxicité envers les arthropodes tout en étant relativement sécuritaire pour l’homme (Tomizawa & Casida 2001, Thany 2010, Jeschke et al. 2011). Cette variété de méthodes d'application, ainsi que leur propriété systémique et leur faible toxicité pour les vertébrés sont les principales raisons pour lesquelles ces produits phytosanitaires sont aussi populaires à travers le monde (Elbert et al. 2008).

1.3.3 Mode d’action

Les insecticides néonicotinoïdes, de même que certains de leurs métabolites, possèdent une signature moléculaire similaire à un neurotransmetteur naturel très important du système nerveux :

l'acétylcholine (ACh). Cette similitude leur permet d’agir à titre d’agonistes, c’est-à-dire qu’ils possèdent la capacité à se substituer au neurotransmetteur et à le remplacer dans l’organisme. Les néonicotinoïdes agissent ainsi de manière sélective sur les récepteurs post-synaptiques nicotiniques de l'acétylcholine (nAChERs) à l’intérieur du système nerveux central des insectes (Tomizawa 2013, Jeschke et al. 2013). Une fois à proximité des synapses, les molécules d’insecticides se lient avec une très forte affinité à ces récepteurs de la membrane synaptique et conduisent à une hyperexcitation anormale des neurones. En demeurant excitées, les synapses poursuivent la transmission de l’influx nerveux et entrainent des contractions musculaires. Lorsque suffisamment de neurones sont affectés, les insectes commencent à montrer des symptômes visibles tels que des frissonnements, des tremblements, des contractions musculaires incontrôlées. Éventuellement, cet état de surexcitation peut causer la mort d'un insecte en quelques minutes (Tomizawa 2013, Palmer et al. 2013). De plus, il a été démontré que les composés néonicotinoïdes se lient de manière irréversible aux récepteurs nicotiniques de l'acétylcholine (Tennekes & Sánchez-Bayo 2013). Ainsi, bien que les insectes soient en mesure de détoxifier leur métabolisme, une fois qu’une molécule atteint le cerveau, ses effets deviennent permanents.

Les récepteurs nicotiniques chez les insectes sont un assemblage formé de plusieurs sous-unités et ils présentent des profils pharmacologiques très différents des récepteurs nicotiniques chez les vertébrés (Tomizawa & Casida 2001). Cette différence d’affinité des récepteurs nicotiniques est la raison pour laquelle les néonicotinoïdes font preuve d’une toxicité très sélective envers les insectes et demeurent moins toxique pour les mammifères et les poissons (Tomizawa & Casida 2001, Jeschke & Nauen 2008, Tomizawa 2013, Jeschke et al. 2013). Avant l'avènement des néonicotinoïdes, les organophosphorés et les carbamates partageaient plus de 80% des parts du marché insecticide (Casida 2011). Cependant, ces deux anciennes classes d'insecticides agissent directement en inhibant la production d'acétylcholinestérase (AChE), l’enzyme régulatrice responsable de l’hydrolyse de l’acétylcholine. Comme l’AChE est identique chez les insectes et les mammifères, ces insecticides possédaient une toxicité élevée pour l’ensemble de ces organismes (Matsuda et al. 2001, Attencia et al. 2005, Jeschke et al. 2013). Toutefois, les néonicotinoïdes agissent sur les

récepteurs nicotiniques en imitant l’acétylcholine et stimulent ainsi le métabolisme de l’insecte à poursuivre sa production d’AChE comme une réponse naturelle afin de mettre fin à la transmission des influx nerveux à l’intérieur des synapses. Une augmentation de l'activité de l’AChE a été signalée, à la fois chez les abeilles et d’autres arthropodes, en réponse à une exposition à des composés néonicotinoïdes (Morakchi et al. 2005, Boily et al. 2013). Parmi tous les produits phytosanitaires, les néonicotinoïdes sont les seuls, à l'exception rare d'un pyréthrinoïde (deltaméthrine) (Badiou et al. 2008), à provoquer une augmentation de l'activité de l'acétylcholinestérase. Par conséquent, l’étude de l’activité de l’AChE représente un outil utile afin de poser un diagnostic sur la présence de composés néonicotinoïdes dans l’écosystème et pour révéler l’exposition et la contamination des organismes aux insecticides.

1.3.3 Risques pour l’environnement

1.3.3.1 L’air

Aucun des insecticides néonicotinoïdes ne possède une pression de vapeur élevée. En général, les valeurs sont comprises entre 2,8 x 10-8 et 0,002 mPa à 25 °C pour ces composés (Bonmatin et al. 2014). Le

faible potentiel de volatilisation de ces substances indique que ces pesticides ne sont présents à l'état gazeux que pendant une très courte période de temps lors des applications par pulvérisation.

1.3.3.2 Le sol

Les néonicotinoïdes ont la capacité de se lier aux particules du sol, ce qui réduit leur susceptibilité à être lessivés à travers le profil du sol. Il a été démontré que la capacité de sorption est positivement corrélée à la teneur en matière organique et en argile minérale. À l’inverse, les néonicotinoïdes sont plus facilement désorbés à basse température et lorsque leurs concentrations dans le sol sont faibles (Bonmatin et al. 2014). D’autre part, dans les cas des traitements de semences, seule une fraction du composé néonicotinoïde (entre 1,6 et 20%) est absorbé par les plantes (Sur & Stork 2003) alors que la majorité de l'ingrédient actif, typiquement plus de 90%, demeure dans les sols (Goulson 2013). De plus, les néonicotinoïdes fréquemment utilisés en tant que traitement de semence possèdent un temps de demi-vie dans le sol (Voir Tableau 1) oscillant généralement entre 200 à plus de 1000 jours (28 à 1 250 jours pour l'imidaclopride, 7 à 3 001 jours

pour le thiaméthoxame et 148 à 6 931 jours pour la clothianidine) (Goulson 2013). Compte tenu de leur persistance dans les sols, il est attendu que les néonicotinoïdes s’accumulent dans les sols lorsqu’ils sont appliqués lors d’années successives.

Tableau 1. Persistance des néonicotinoïdes dans les sols aérobiques.

1.3.3.3 L’eau

L’activité systémique des néonicotinoïdes dépend fortement de leur solubilité afin de permettre une distribution plus uniforme de l’ingrédient actif à l’intérieur des tissus végétaux (Goulson 2013). Les néonicotinoïdes sont donc conçus afin d’être particulièrement solubles. Cependant, leur solubilité dans l’eau dépend de nombreux facteurs tels que la température et le pH de l'eau ainsi que l'état physique du pesticide au moment de son application. Malgré tout, les néonicotinoïdes sont si solubles que des études récentes en ont retrouvé dans de l'eau d'irrigation agricole, dans des rivières et même dans des marais (Giroux & Pelletier 2012, Starner & Goh 2012, Van Dijk et al. 2013, Main et al. 2014, Vijver & van den Brink 2014, Sánchez-Bayo & Hyne 2014).

Néonicotinoïdes

Demi-vie dans le sol

(conditions aérobiques)

Acétamipride 1 - 8 jours1 Clothianidine 148 - 1 155 jours2 Dinotéfurane 138 jours3 Imidaclopride 40 - 997 jours4 Thiaclopride 1 - 27 jours5 Thiaméthoxame 25 - 100 jours6