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CHAPITRE III : Une politique culturelle en crise (1969-1974)

III.3. Nouvelles impulsions pour la politique culturelle

Comme nous venons de le voir, la politique culturelle est confrontée à plusieurs défis. Pourtant, une présentation qui se limite uniquement aux problèmes serait aussi un récit trop simpliste de l’époque de 1969 à 1974.

Si Jacques Santer déclare que le gouvernement soutient les initiatives en faveur des musées régionaux, il n’est pas le premier à le faire. Vers la fin des années 1960 apparaît, au moins dans les discussions budgétaires, l’idée d’un Musée des mines à Rumelange et d’un Musée du fer et de l’acier à Esch-sur-Alzette, dont uniquement le premier sera réalisé et ouvrira ses portes en 1973. Les débats dans ce contexte sont fortement liés à la théorie de la compensation et d’une volonté de mettre en évidence les Herkunftswelten, même si les politiciens n’en sont pas nécessairement conscients. Le député Roger Krier (LSAP), lui-même ouvrier d’usine, en est un exemple parmi d’autres. Lorsqu’il parle en 1969 d’un Musée du travail et de l’acier, il met en évidence que face au développement rapide, un grand nombre de gens pourraient désormais difficilement s’imaginer le travail dans une mine. Il faudrait montrer comment le Luxembourg a acquis sa prospérité.241 La mise en place du Musée des mines à Rumelange découle d’une politique de régionalisation des musées, d’un contexte de déclin de l’exploitation minière ainsi que d’un souhait de présenter le passé, les origines de la richesse et la vie d’autrefois. Le travail sur la mémoire est en l’occurrence lié à une peur de l’oubli d’un passé qui semble se dissiper de plus en plus face à la modernisation. Une deuxième nouveauté de l’époque, qui rayonne au-delà de 1974, concerne l’approche de la protection du patrimoine. Celle-ci est fortement influencée par le Conseil de l’Europe, proclamant

239 Selon le calculateur d’inflation du Statec, l’inflation cumulée entre janvier 1969 et janvier 1974 s’élève à 28,16% (Cf. http://www.statistiques.public.lu/fr/economie-finances/prix-consommation/inflationcalculator/index.html

[dernier accès : 25 octobre 2015]).

240 En 1971, la ministre elle-même admet qu’avec les crédits (dans le cas du musée), l’acquisition d’œuvres d’art est impossible avec les prix affichés. (Cf. Chambre des députés, Compte-rendu de la session ordinaire de 1971-1972, 18e séance (23 novembre 1971), p. 1201).

241 Chambre des députés, Compte-rendu de la session ordinaire de 1968-1969, 12e séance (18 mars 1969), pp. 696-697. Ces arguments ne se limitent pas à un parti spécifique : Antoine Krier (SDP), Marcel Mart (DP) et Jean Wolter (CSV) utilisent également ces arguments.

72 1975 Année européenne du patrimoine architectural. Déjà en 1969, des ministres européens responsables du patrimoine architectural se sont réunis à Bruxelles pour discuter du projet. Au Luxembourg, l’initiative du Conseil de l’Europe connaît également son impact. Dès 1970, la ministre Frieden-Kinnen présente un nouveau concept de la protection du patrimoine : celle-ci ne doit plus se limiter à un monument isolé, mais prendre en compte tout un site, un quartier ancien ou même une ville historique :

« C’est donc la notion d’ensemble qui est devenue la base de toute activité de réanimation ou de conservation du patrimoine culturel mobilier, ensemble urbain, ensemble rural, ensemble naturel constitué par un site. »242

Cette approche élaborée par le Conseil de l’Europe et reprise par le gouvernement luxembourgeois se trouve même fixée dans la Charte Européenne pour le patrimoine architectural adoptée en 1975.243 Le thème de l’urbanisation et de la destruction de l’environnement (à nouveau lié à la technicisation et modernisation) est sous-jacent à cette nouvelle approche. Pour Frieden-Kinnen, il s’agit de « retrouver le contact avec soi-même et d’homme à homme, et, enfin avec la nature ».244 La nouvelle politique en matière de patrimoine doit donc permettre à l’homme de se libérer du monde technique et de retrouver une certaine sérénité dans la nature et le passé. En 1972, Jacques Santer ajoute à cette vision métaphysique l’aspect de « réanimation » affirmé par le Conseil de l’Europe : donner aux monuments à nouveau une utilité. Ainsi, il énumère plusieurs châteaux au Luxembourg qui devront être utilisées pour différents usages, comme Clervaux (maquettes de châteaux forts et l’exposition Family of Man) ou Wiltz (offensive des Ardennes).245

Le mécénat constitue une troisième piste novatrice entamée par le gouvernement dès 1970. Cette initiative apparaît surtout dans le contexte de contraintes budgétaires et de crédits insuffisants pour l’acquisition de nouvelles œuvres. Ainsi, Frieden-Kinnen annonce en 1970 la publication de trois fonds spéciaux, pour que les mécènes « que nous attendons se révèlent ».246 Plusieurs députés avancent l’idée de permettre aux sociétés de participer financièrement à l’acquisition des fonds ou

242 Chambre des députés, Compte-rendu de la session ordinaire de 1970-1971, 2e séance (10 novembre 1970), p. 496. 243 http://www.icomos.org/fr/chartes-et-normes/179-articles-en-francais/ressources/charters-and-standards/427-charte-europeenne-pour-le-patrimoine-architectural-1975 [dernier accès: 27 octobre 2015].

244 Chambre des députés, Compte-rendu de la session ordinaire de 1970-1971, 2e séance (10 novembre 1970), p. 497. 245 Chambre des députés, Compte-rendu de la session ordinaire de 1972-1973, 14e séance (15 novembre 1972), p. 615. 246 Chambre des députés, Compte-rendu de la session ordinaire de 1970-1971, 2e séance (10 novembre 1970), p. 500.

73 à la restauration de monuments. Toutefois, l’idée du mécénat semble être abandonnée, au moins pour l’instant, en raison d’un concept lacunaire. En 1971, la ministre explique qu’il n’y eut aucun versement vers les fonds spéciaux, entre autres parce qu’une exonération fiscale ne serait pas possible avec la disparition des dons dans l’anonymat. En même temps, elle ne se montre pas non plus déçue de l’échec, car elle craint qu’un succès de ces fonds puisse même servir d’excuse pour réduire certains crédits dans le budget de l’État. Elle affirme que le mécénat n’existerait plus guère, et ce serait le rôle de l’État de soutenir « nos » artistes et la création d’œuvres.247

Une dernière nouveauté concerne la création du service des monuments historiques, par arrêté ministériel du 13 mai 1971. Dépendant directement du ministère des Affaires culturelles, ce service a pour mission « d’assurer l’exécution des mesures de sauvegarde, d’entretien et de restauration des monuments historiques. »248 Contrairement à la commission des sites et monuments, ce service, précurseur du Service des sites et monuments nationaux (créé en 1977), n’est pas simplement consultatif, mais peut prendre des mesures concrètes dans le domaine du patrimoine. Il s’agit donc d’une étape importante, même si le personnel prévu reste assez limité et le service manque de base légale.249

247 Chambre des députés, Compte-rendu de la session ordinaire de 1971-1972, 18e séance (23 novembre 1971), pp. 1200 et 1203.

248 Règlement ministériel du 13 mai 1971 portant création d’un service des monuments historiques ; in : Mémorial A n° 32 (1971), p. 539.

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