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4. RESTAURER LA MATIERE GRISE

4.2 EXPLORER LE POSSIBLE IGNORE

4.2.1 Une nouvelle source de matière

Dans un premier temps et afin de ne pas confondre toutes les pratiques, il est important de bien définir et comprendre ce que représente le fait de réemployer un matériau. L’auteur nous donne ainsi cette définition : « le réemploi est l’acte par

lequel on donne un nouvel usage à un objet existant tombé en désuétude, qui a perdu l’emploi pour lequel il avait été conçu et fabriqué »75

. D’une certaine façon réemployer implique de « conserver au maximum la matière à son niveau de

complexité, on conserve sa mémoire (forme et histoire) sans dépenser d’énergie. C’est une conservation maximale et non totale car il y a vie, donc usure inévitable et changement d’usage »76

. Au vue de la définition précédente, on peut dire que « la

notion de réemploi contient donc à la fois les notions de réutilisation, de récupération et de recyclage »77 toutefois toutes ses pratiques ne sont pas identiques et ne définissent pas la même façon de traiter la matière.

Le principe de réemploi se base sur le respect de deux notions : l’économie d’énergie et la conservation de la mémoire du matériau. Contrairement au réemploi, le recyclage induit une importante dépense d’énergie dans le but d’extraire une matière au sein d’un objet en fin de vie. Une fois prélevée, cette matière sert de base à l’élaboration d’un nouveau matériau, on a donc une perte totale de l’histoire et de la mémoire de l’objet de base. Si ce constat permet de différencier aisément la notion de recyclage avec celle du réemploi, la différence entre réutilisation et réemploi est un peu plus subtile. Tout comme le réemploi, la réutilisation ne nécessite pas de dépenses d’énergie et permet de conserver la mémoire et l’usage d’un objet. Cependant ce principe consiste uniquement à réutiliser un objet selon sa fonction initiale. La différence se situe donc dans la notion de désuétude du matériau et dépend de la posture du réemployeur vis-à-vis de l’objet. Par conséquent, pour être considéré comme un matériau de réemploi, un objet doit être délaissé, voué à mourir et doit pouvoir devenir « un nouveau matériau riche des traces de son ancien usage »78.

En suivant cette pensée, l’objet désuet devient alors une nouvelle ressource pouvant être réintroduit dans une réflexion constructive, sans nécessiter une transformation particulière. L’auteur considère d’ailleurs « les objets, matériaux et

matières hors d’usage [comme] de la matière noble ou première »79

. Au même titre que les quatre familles de matériaux déjà existantes (métalliques, minéraux, organiques et composites), Huygen estime qu’ils représentent une nouvelle famille à part entière. La requalification de ces objets en matériaux de construction, prêt à l’emploi, implique alors de définir de nouvelles règles architecturales et de développer de nouvelles techniques de construction. Leurs mise en œuvre repose alors sur trois modes spécifiques : le glanage, l’accomodage et enfin l’assemblage. Schématisant le nouveau processus de conception imposé par l’utilisation de tels matériaux, ces étapes symbolisent également l’originalité et la particularité de la démarche. Huygen parle alors de l’élaboration d’une nouvelle forme d’architecture, « l’architecture

indisciplinaire »80. 75 Idem – p 11 76 Idem – p 23 77 Idem p 12 78 Ibidem 79 Idem – p 36 80 Idem – p 53

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Cette nouvelle forme d’architecture présente une ferme volonté de se détacher de la discipline architecturale comme nous la connaissons. Elle donne ainsi une place importante aux interventions extérieures, à l’imprévu et aux occasions que nous donnes la matière et qui transforme inévitablement l’harmonie du bâtiment généré. Choisir de travailler essentiellement avec des matériaux issus de la filière du réemploi comporte, tout de même, quelques difficultés. Comme nous l’avons vu, construire de cette façon dépend, dans un premier temps, des différents objets que l’on peut récupérer et de leurs états de conservation. Il est donc bien souvent impossible de savoir à l’avance avec quels matériaux les concepteurs vont pouvoir travailler. Cette situation contribue à altérer fortement le déroulement logique des étapes de conception élémentaires comme l’obtention d’un permis de construire, l’organisation du chantier ou encore la mise en place d’un budget alloué aux travaux. Dans un second temps, cette nouvelle démarche oblige les constructeurs à faire preuve d’ingéniosité afin d’imaginer de nouvelles solutions techniques pour permettre l’assemblage de chaque élément. Confrontés à des éléments qui ne sont initialement pas prédisposés à être assemblés ensemble, ils doivent avant tout respecter « les

principes de subsidiarité »81 et de flexibilité de la matière. Ainsi, « la reemployabilité

est, en général, la manière d’utiliser un matériau telle qu’il puisse devenir un matériau de réemploi »82, grâce à sa réversibilité.

Cette nouvelle façon de concevoir l’architecture et la construction doit toutefois faire face à une problématique de taille liée à l’image qu’elle dégage. Ainsi, les auteurs du livre « Matière grise » n’hésitent pas à se questionner sur sa capacité à « dépasser la contre-culture »83 et à s’imposer comme une réelle solution aux yeux de la population. Pour Huygen, ce déficit de reconnaissance et avant tout un problème de mentalité : « à la fin du XXe siècle, le réemploi n’était plus synonyme que de

pauvreté, de bidonville ou de favela : la récup’ était la seule richesse du pauvre »84. Il va encore plus loin dans sa réflexion en assimilant l’instauration de la poubelle comme l’élément ayant permis la mise en place d’une nouvelle valeur : « la dignité de

la matière »85. De cette manière, même si la poubelle incite à consommer toujours plus en facilitant l’abandon de la matière, elle a contribué à porter une tout autre attention à l’égard de ces objets délaissés.

En abordant ce principe de réemploi, je souhaitais avant tout analyser les limites et les possibilités qu’offre une telle solution constructive. Cette notion m’intéresse d’autant plus car elle présente un véritable challenge pour l’architecte. Face à de telles contraintes structurelles, économiques ou esthétiques, cette idéologie permet de reconsidérer la réflexion de l’activité humaine au sein d’un projet. L’étude de cas qui va suivre traite du siège administratif et pôle éducatif Bil ta Garbi à Bayonne. J’ai décidé d’analyser ce projet car il propose la mise en œuvre d’un tout nouveau système de façade réalisé à l’aide de palettes de récupération. En travaillant sur le réemploi des matériaux, les architectes ont réussi à changer la destination principale de cet objet phare de l’industrie pour en faire un véritable matériau de construction et le symbole du bâtiment. Plus qu’un simple élément de façade, ce réemploi contribue à insérer le projet au cœur du territoire.

81 Idem – p 43 82 Idem – p 46

83 ENCORE HEUREUX ARCHITECTES (2014) Op.cit. – p 88 84 HUYGEN J.-M. (2008) Op.cit. – p 13 85 Idem – p 74

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