PARTIE 2 ETUDE DE TERRAIN : UN BESOIN D’AUTONOMIE DE L’ENSEIGNANT 28
3. Discussion 48
3.1. Un nouvel équilibre entre sources officielles et informelles 48
3.1.1 Une identification dans les sources informelles
Enseignant, un passe temps
Nous avons constaté que l’enseignant passe une grande partie de son temps de travail à son domicile, mais est-‐ce une volonté ou une obligation ? Dans tous les cas, ceci amène à une convergence inévitable entre le monde professionnel et personnel. Et pourquoi pas un croisement des pratiques ? On a déjà pu voir que leurs stratégies de RTI se rapprochaient fortement d’une « stratégie de butinage » (Boubée & Tricot, 2010, p. 88), plutôt associée à des pratiques personnelles. Ne peut-‐on pas alors associer ces instants de RI au domicile en-‐dehors du temps de travail à un passe-‐temps plus qu’à une obligation professionnelle ?
Les échanges directs se faisant en dehors des temps de classe sont représentatifs, premièrement d’un réel manque de prise en compte de ce besoin par les institutions, mais aussi et surtout d’un fort investissement des enseignants dans leur profession.
Il existe peu d’espaces de parole destinés aux enseignants afin qu’ils verbalisent leur expérience et leurs émotions professionnelles, leurs difficultés relationnelles, alors qu’une des caractéristiques propres de ce métier réside dans l’interactivité entre humains. (Audran, 2005, p. 115)
Cette réflexion se ramène aussi à la multiplication des blogs d’enseignants. Les blogs, que l’on associe souvent au journal intime, sont à l’origine destinés à une utilisation très personnelle, comme le montre la classification de Rouquette, dans laquelle les motivations de l’enseignant ne rentrent dans aucune catégorie. Ils sont donc associés à un passe-‐temps. De plus, face à l’effort et au temps de travail que cela demande, les diffuseurs de telles plateformes doivent être des personnes passionnées qui lient leur métier à leur temps libre. Ces blogs sont peut-‐être une façon pour ces enseignants
Les échanges de pratique, identification et fiabilité
Ces blogs et sites de pairs sont la première source d’information des enseignants quand ils établissent une recherche d’information sur Internet. En se rendant régulièrement sur les mêmes sites, les enseignants montrent une forme d’expertise dans leur domaine. Mais ceci témoigne aussi du fait qu’ils se sentent débordés par la quantité d’information disponible. La tendance est donc à sélectionner un panel de deux ou trois sites ou blogs de pairs et de s’y rendre régulièrement et exclusivement. On constatera qu’ils développent en fait un processus d’identification via ces blogs. Ceci nous ramène au « recours des collègues » de Céline Paganelli où elle associe une « assurance de fiabilité » à ce processus (2012). En effet, les enseignants donneront de la légitimité et de la fiabilité aux enseignants (mêmes inconnus) auxquels ils s’identifient via leurs pratiques d’enseignement.
L’échange de pratique est aussi un moyen de contrôle que l’on pourra ajouter à la liste de Céline Paganelli. En effet, en l’absence de contrôle fréquent ou de hiérarchie directe, leur seul moyen de contrôle et de validation de leurs pratiques se trouve chez les collègues. On pourra qualifier ce procédé de « co-‐formation horizontale » (Audran, 2005, p. 115)
On peut aussi se demander si la tendance à investir de plus en plus les espaces informels et à partager de plus en plus d’information entre pairs n’est pas une insatisfaction de l’information officielle.
3.1.2 Une baisse de légitimité pour les sources officielles
Institution et programmes
Une certaine forme de relation conflictuelle a été relevée dans le discours des enseignants entre eux et les institutions supérieures. Un certain sentiment de ne pas être écouté et de ne faire plus qu’appliquer des règles, ce qui rejoint le constat d’une juridicisation de l’École. L’institution devient alors une contrainte plus qu’un soutien pour le monde enseignant et de même pour les informations qui en émanent. C’est aujourd’hui le cas des programmes qui sont considérés comme une contrainte alors qu’ils pourraient être un outil accompagnant l’exercice de l’enseignant. Les causes de cette baisse d’intérêt peuvent pauser des questions. Outre un certain besoin de liberté chez l’enseignant, on peut se demander si ce n’est pas tout simplement les processus de
communication et de diffusion qui créent ce désamour. En effet, il est connu que le papier garde encore aujourd’hui une valeur officielle, c’est d’ailleurs pourquoi tout papier officiel se matérialise encore de façon physique (contrats, …). Des historiens du livre, comme Roger Chartier, rappelleront que la matérialité d’un texte a une influence sur la réception de celui-‐ci (Chartier, 2009). Or, en ne diffusant les programmes que par un accès en ligne, qui plus est, complexe, ne faisons-‐nous pas perdre toute sa légitimité à ce document ? En courant le risque d’une délégitimation totale du document, et pourquoi pas des institutions ?
L’Édition
Les éditions scolaires aussi perdent une certaine légitimité, mais pour la raison, elles qu’elles ne respectent pas toujours les programmes, ce qui demande alors un acte de vérification des enseignants. Seulement, l’argument majeur de l’utilisation d’un manuel est justement le fait de ne pas avoir à procéder à de recherche ou de vérification, contrairement à Internet où il n’y a pas les mêmes processus de validation que dans le circuit éditorial. En perdant cet atout, les éditions prennent le risque de laisser la place à des enseignants bloggeurs pour la simple raison que, eux, respecteront les programmes. Ensuite, avec l’habitude qu’Internet donne d’une logique du « just-‐in-‐time », opposée au « just in case », le support papier perd de son intérêt. Qui reste tout de même apprécié par les enseignants car cela permet de cerner le sujet et est moins chronophage qu’Internet, mais son accès se fait de plus en plus difficilement. Avec plusieurs barrières comme le fait de devoir se déplacer ou le caractère payant.
Ce dernier obstacle sévit aussi sur Internet quand on constate que très peu d’enseignants utilisent des ressources numériques émanant d’éditeurs. De plus, ces ressources numériques sont souvent destinées à une utilisation en classe alors que les enseignants n’en sont qu’à rechercher des ressources imprimables. Peut-‐être les éditions sont-‐elles en avance du point de vue du numérique ? En tout cas, elles ne répondent pas toujours aux attentes de leur public.
Finalement, on peut dire qu’un nouvel équilibre se crée. Malgré la multiplication de ressources informelles, l’édition garde ses points forts. On voit en fait un nouvel équilibre se créer où l’enseignant choisit sa source selon le type d’information qu’il