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1.1 Survol historique – Photographie documentaire et art contemporain La représentation de

1.1.2 Des Nouveaux Topographes à aujourd’hui

1.1.2.3 Nouveaux Topographes : un regain d’intérêt

Comme nous l’avons vu, les pratiques actuelles se développent donc dans un contexte où la forme documentaire est, depuis plusieurs années, une stratégie favorisée pour aborder des sujets socio-politiques complexes de manière critique et interdisciplinaire. Force est de constater que la représentation du territoire naturel transformé par l’homme demeure un outil puissant pour véhiculer des réflexions et des constats propres à chaque espace géographique et culturel représenté. Comme le démontre Liz Wells, plusieurs photographes contemporains « traitent de la politique du paysage et de sa représentation à une époque où le territoire physique et symbolique compte énormément sur le plan culturel, social et politique32 » (Wells 2011 : 5).

Sans grand hasard, l’importance actuelle accordée aux questions géopolitiques et aux relations entre l’homme et son environnement immédiat se trouve à coïncider avec un regain d’intérêt pour le travail des Nouveaux Topographes. Depuis quelques années, on observe en effet une réactualisation du matériel visuel et théorique de l’exposition organisée en 1975 par Jenkins. Entre 2009 et 2013, deux ouvrages majeurs sur les Nouveaux Topographes ont été publiés, et l’exposition originale fut entièrement reconstituée par Britt Salvesen et Alison Nordström, et présentée dans son lieu d'exposition d’origine, à la George Eastman House International Museum of Photography and Film, à Rochester (New York), puis au Los Angeles County Museum of Art, au San Francisco Museum of Modern Art, à la Landesgalerie Linz, à la Photographische Sammlung Stiftung Kultur (Cologne), au Musée du Jeu de Paume

31 Je traduis : « They are story tellers whose depth of research and analysis is reflected in the philosophic

perceptions and visual rhetoric strategies which characterise their picture making ».

32 Je traduis : « who are engaging with the politics of landscape and its representation at a time when land

(Paris), au Nederlands Fotomuseum (Rotterdam) et au Musée des beaux-arts de Bilbao

(Salvesen et Nordström 2010 : 6). Contrairement au catalogue original qui ne contenait qu’une dizaine de pages, la reconstruction de l’exposition était accompagnée d’un ouvrage monographique de plus de trois cents pages incluant des reproductions photographiques et des textes de spécialistes. À l'occasion du rassemblement annuel de la College Art Association en 2008 à Dallas, plusieurs d'entre eux s’étaient réunis pour discuter de la pérennité des questionnements soulevés par les Nouveaux Topographes à l'aide une approche méthodologique interdisciplinaire (Foster-Rice 2013 : ix). La reconstruction quasi simultanée de l’exposition à la George Eastman House fut perçue comme une circonstance encourageante pour publier les actes des conférences en un ouvrage intitulé Reframing the New Topographics (2013). Neuf auteurs spécialisés dans diverses disciplines – photographie, géographie, histoire de l’art, architecture – y prenaient position sur le travail des Nouveaux Topographes en le situant dans son contexte d’origine, en lien avec les circonstances sociales, économiques et culturelles des années 1970. La pleine étendue de l'héritage esthétique de Lewis Baltz, Robert Adams et des autres photographes du mouvement sur la production artistique contemporaine y apparaît de façon plus claire : la « vision des Nouveaux Topographes33 », leur perception subtile et complexe de l’environnement bâti, influence toujours la production photographique contemporaine (Foster-Rice 2011 : xiv). Plus récemment, les spécialistes ont admis que la « fascination [qu'éprouvaient les Nouveaux Topographes à l'égard des ] développements chaotiques que nous laissons sur des territoires spécifiques est devenue un chapitre extrêmement important dans les dialogues sur la photographie de paysage récente34 » (Sichel 2013 : 89). Les photographies choisies par Jenkins employaient un langage visuel neutre pour examiner les interactions entre le dispositif urbain et la vie sociale et ont ainsi participé à redéfinir notre manière de nous situer dans le monde et de comprendre la place que nous y occupons (Foster-Rice 2013 : 139). Cette perspective détachée sur la banalité typique de l’aménagement des zones suburbaines américaines fut maintes fois interprétée comme une vision négative ou du moins désenchantée d'une Amérique dominée par les constructions rapides et utilitaires. Dans les décennies 1970 et 1980, plusieurs discours anthropologiques et

33 Je traduis : « the New Topographics outlook ».

34 Je traduis : « Their fascination with the messy developments that we leave on specific lands has become an

sociologiques allaient en ce sens en affirmant que la culture corporative du capitalisme tardif marquée par l’individualisme et l’uniformité est ponctuée de lieux où le confort matériel est indissociable d’une forme de vide aliénant (Rohrbach 2013 : xiv).

Certains auteurs de Reframing the New Topographics comme Toby Jurovics et Finis Dunaway abordent l’œuvre de ces photographes américains à partir d’un angle nouveau, en soulignant le fait que leur travail prône une nouvelle compréhension du rapport qui existe entre l’homme et son environnement. En effet, leurs images mettent en valeur les interactions qui existent entre les constructions humaines et le monde naturel; elles examinent le lien qui unit le dispositif urbain, la vie sociale et l'environnement naturel. Elles laissent entendre qu’il faut retrouver un sentiment d’engagement et d’esprit de communauté face au territoire et plusieurs perçoivent leur vision comme un désir d’étendre à l'ensemble du paysage les préoccupations environnementales qui s’appliquent à la préservation d’espaces naturels spécifiques (Rohrbach 2013 : xxi). Cette nouvelle forme de conscience sociale qui considère les profonds effets de l'intervention de l'homme sur le territoire naturel exemplifie une prise de conscience de notre rapport au monde. Selon les auteurs, cet intérêt pour la relation qui unit l’homme à son environnement immédiat était si convaincant qu’elle a instantanément remodelé la photographie de paysage (Foster-Rice 2013 : xiv). En effet, il est possible de penser que le contexte géopolitique, social et écologique globalisé nous invite également aujourd'hui à reconsidérer notre rapport au monde et à repenser nos interactions avec les divers espaces qui le constituent.