A. Les microARNs
7. De nouveaux rôles pour les miARN
a) Des miARN activateurs?
Les miARN sont connus essentiellement pour jouer un rôle négatif sur l’expression des
gènes et nous avons pu comprendre comment se déroulent les différentes étapes de cette
régulation. Pourtant, il semblerait que certains miARN soient potentiellement capables de réguler positivement l’expression de gènes ou autrement dit, d’en augmenter l’expression. Le
terme faisant référence à ce phénomène est « ARN activation » (ARNa).
Le premier exemple de ce type de phénomène pour les miARN a été publié fin 2007 (Place et al., 2008), bien qu’il ait été découvert plus tôt pour un autre type d’ARN interférent
(Li et al., 2006). Dans cette étude sur cellules PC-3, Place et collaborateurs ont montré que l’augmentation artificielle du niveau de miR-373 (ainsi que du pre-miR-373) augmentait
l’expression génique d’E-cadhérine et de CSDC2 (cold-shock domain containing protein C2)
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mutations dans la séquence du miARN. De façon intéressante, les sites de liaison du miARN sur les portions d’ADN des deux protéines se trouvent dans leur région promotrice respective.
Ce fait a conduit les auteurs à considérer un lien éventuel entre ARN activateurs (ARNa) et régions promotrices, même si d’autres cibles potentielles avec site de liaison dans le
promoteur ne montraient aucun effet similaire.
Cette même année, Vasudevan et collaborateur ont montré que miR-369-3 était également capable d’activer la traduction de TNFα (tumor necrosis factor-α) dans des cellules
HEK293 (cellules embryonnaires de reins). Dans ce cas en revanche, ce n’est pas au travers
de la région promotrice que cette activation se met en place mais grâce à des éléments riches en AU (AREs) situés en 3’UTR de l’ARNm. Les auteurs de cette étude ont également montré
que let-7 était tout autant capable d’activer la traduction, mais uniquement lorsque le cycle
cellulaire était à l’arrêt : let-7 reprenait en effet son rôle d’inhibiteur dans les cellules
prolifératives (Vasudevan et al., 2007). Une partie de ces résultats a de surcroit été confirmée
par Mortensen et al. sur des ovocytes de Xenopus laevis (Mortensen et al., 2011)
b) Des miRNA appâts ?
L’activité de miARN appâts constitue un autre mécanisme particulièrement intéressant.
Pour ce dernier, un miARN est susceptible d’agir comme appât afin de bloquer des interactions
protéines/ARNm. Dans ce cas, le miARN ne se lie pas au messager mais directement à la protéine (George and Tenenbaum, 2006). C’est précisément ce qu’ont prouvé Eiring et al.
(Eiring et al., 2010) pour le miR-328 et la protéine inhibitrice hnRNP E2. Ces auteurs ont en
effet montré (in vivo et in vitro) que le miARN pouvait restaurer la traduction de la protéine
CEBPA (CCAAT/enhancer-binding protein alpha) en entrant en compétition avec le messager
de CEPBA pour la liaison à hnRNP E2 : une fois le miARN connecté à hnRNP E2, CEBPA
peut être traduite.
Il existe également des cas où ce sont les ARNm qui jouent le rôle d’appât pour les
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« éponges » à miARN (Ebert et al., 2007) qui vont altérer leur(s) fonction(s) en s’y fixant, sans
pour autant affecter leur biogénèse (Haga and Phinney, 2012). Et enfin, il existe un dernier cas où des protéines se lient à la 3’UTR supposée être ciblée par des miARN afin de prévenir
leur fonctionnement. C’est notamment le cas de la protéine Dnd1 (Dead end 1) (Kedde et al.,
2007)
c) Des réserves de miARN ?
La régulation de la biogénèse des miARN est sous la dépendance des facteurs de
transcription. La stabilité cellulaire des miARN, quant à elle, varie énormément, mais elle est
généralement augmentée lorsque les miARN sont associés à certaines protéines (Drosha, RISC, etc.). Une récente étude montre qu’une de ces interactions en particulier permettrait
non seulement de stabiliser les miARN mais servirait en fait de réserve de miARN (La Rocca
et al., 2015). Les auteurs de cette étude ont montré que, dans les cellules adultes, la plupart des miARN étaient liés à des complexes LMW-RISC, non engagés dans la répression d’ARNm
et formant donc une réserve « prête à l’action », alors que dans les cellules prolifératives (et
les lignées cellulaires) les miARN étaient liés aux ARNm et à des HMW-RISC. Selon les
auteurs, cette différence permettrait à la cellule de faire face à des transitions physiologiques ou à des cas de stress en modulant rapidement les niveaux d’expression des gènes, mais elle
pourrait également expliquer pourquoi les cellules animales ont « développé » la voie des
miARN tout en ayant conservé la voie des siARNs.
d) Autorégulation de la biogénèse par les miARN?
Comme nous l’avons vu, let-7 fut un des premiers miARN à avoir été découvert. Chez
C. elegans, ce miARN (entre autres) a permis de caractériser en grande partie le mécanisme
de biogénèse des miARN chez les eucaryotes. Pourtant, une récente étude chez ce ver prouve qu’il reste probablement encore à découvrir sur cet organisme et ses miARN, puisque les
auteurs de l’étude ont montré que let-7 était capable de réguler sa propre biogénèse en se
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Dans l’organisme modèle, pri-let-7 possède un site de liaison à la protéine ALG-1
(Argonaute Like protein-1), une protéine intervenant dans la maturation du miARN primaire. Le bon déroulement de cette maturation nucléaire n’est toutefois permis qu’en présence de la
séquence mature de let-7, qui se lie à un site de liaison conservé en 3’ du pri-miARN. Le
miARN let-7 se lie donc à son propre miARN primaire pour entrainer le recrutement de la
protéine ALG-1 afin de promouvoir sa propre synthèse. Ces résultats montrent également que
certaines protéines AGO ainsi que certains miARN matures peuvent se retrouver dans le
noyau.
Les interactions entre miARN mature et primaire ne semblent pas non plus se limiter à
la régulation positive. En effet, dans une étude publiée la même année, Tang et collaborateurs
ont montré que miR-709 était capable de réguler la maturation du pri-mir-15a/16-1 en se liant
directement à une séquence complémentaire de 19 nucléotides sur le miARN primaire dans le noyau. Dans ce cas-là, l’interaction empêche la biogénèse des pre-miARN et par
conséquent, celle des miARN matures (Tang et al., 2012).
e) Synthèse protéique à partir de pri-miARN
Très récemment, une équipe de chercheurs à Toulouse a pu mettre en évidence un
autre rôle pour les miARN : leur traduction en peptide fonctionnel (Lauressergues et al., 2015).
Dans leur étude, les auteurs ont analysé des ORF potentielles dans la séquence des
pri-miARN miR-171b et miR-165a chez Arabidopsis thaliana et Medicago truncatula et ont
découvert des petites séquences portant des codons start et stop et pouvant être traduites. Ils
ont démontré que ces séquences étaient effectivement traduites en petits peptides fonctionnels – qu’ils ont nommé miPEP – capables d’améliorer l’accumulation de leur miARN
mature respectif. Ces miPEP semblent en fait jouer sur l’activation de la transcription des
miARN, sans influencer la stabilité de ces derniers.
Pour le moment, cette découverte est limitée au monde végétal mais il serait
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découverte étant également très récente, peu d’informations sont disponibles sur son
fonctionnement exact.
En conclusion, bien que de nombreuses avancées aient été faites pour comprendre le
rôle des miARN, il semblerait bien que nous soyons encore loin d’avoir tout découvert. Une
question qui reste encore assez peu étudiée au final est le rôle systémique des miARN dans nos cellules et notamment leur manière d’interagir ou de co-agir pour contrôler le destin d’une
cellule. Afin de pouvoir répondre à ce genre de question, des approches systémiques et intégrées sont donc nécessaires. Un exemple de telles approches est l’analyse de réseau de
régulation de l’expression génique. Ce type d’analyse emprunte les fondamentaux de la
théorie des graphes et de l’analyse des réseaux sociaux pour les appliquer aux réseaux
biologiques afin de formuler de nouvelles hypothèses ou d’apporter des compléments
d’information sur le système en question. La suite de cette introduction décrit ces approches
et leurs utilisations, notamment dans le monde des miARN.