« Deux siècles de révolte, métaphysique et historique, s'offrent justement à notre réflexion. Un historien, seul, pourrait prétendre exposer en détail les doctrines et les mouvements qui s'y succèdent. Du moins, il doit être possible d'y chercher un fil conducteur. Les pages qui suivent proposent seulement quelques repères historiques et une hypothèse qui n'est pas la seule possible; elle est loin, d'ailleurs, à tout éclairer. Mais elle explique, en partie, la direction, et presque entièrement, la démesure de notre temps. » (Albert Camus)
1. Le mouvement social. Définitions et introduction terminologique
« Ne dites pas que le mouvement social exclut le mouvement politique. Il n'y a jamais de mouvement social qui ne soit politique en même temps. » (Karl Marx92)
Il est admis que le concept de „mouvements sociaux” est introduit en 1848 par le
scientifique allemand Lorenz von Stein dans son ouvrage Socialist and Communist
Movements since the Third French Revolution (1848)
93. Il les décrit comme mouvements
politiques militant pour l'acquisition de droits sociaux qui élargissent et améliorent l'accès des
citoyens à des ressources et biens publics réservés à une minorité privilégiée
94. Cette
définition lie le substantif mouvement” avec l'adjectif polysémique social” dont l'évolution
sémantique est assez parlante.
1.1. Étymologie, et acceptions sémantiques du concept de mouvement
Le substantif «mouvement» en français est un dérivé du verbe mouvoir (XI e s.)
provenant du verbe latin movere. Signifiant, au sens propre, le déplacement d'un corps, ou une
animation perceptible dans les représentations, il désigne également, au sens figuré, «une
modification ou une manifestation de la vie soit individuelle soit collective95 ».Dès la fin du
XIIIe siècle, il équivaut déjà à «révolte». Le dictionnaire Larousse nous donne, à ce propos,
plusieurs exemples éclairants : « Modification dans l'état social, politique, économique»,
92 MARX, Karl (1867) Misère de la philosophie, rééd : Éditions sociales, p. 51.
93 LEXIQUE DES SCIENCES SOCILALES (2000), Madelaine GRAWITZ (dir.), Paris, Dalloz, p. 221.
94 Cité d'après Boundless “The Stages of Social Movements.” Boundless Sociology. Boundless, 14 Nov. 2014. Retrieved 18 Nov. 2014 from <https://www.boundless.com/sociology/textbooks/boundless-sociology-textbook/social-change-21/social-movements-140/the-stages-of-social-movements-770-7710/>.
95 Cité d'après BEROU, Sophie, MOURIAUX, René et Michel VACALOULIS (1997). Le Mouvement social en France. Essai en sociologie politique. Paris, La Dispute, pp. 3-4.
mais aussi « L'action collective orientée vers un changement social, politique, psychologique
» еt «Organisation politique, sociale, relativement structurée.»
96Le mot englobe donc trois
acceptions complémentaires qui se rapportent à l'action collective, l'organisation de cette
action et son résultat. La notion traduit simultanément l'idée de changement, de modification
- liés à l'idée d'action et d'activisme, et de processus - exprimant l'idée de continuité
dynamique et d'un état inachevé. Pour conclure, l’étymologie et l'évolution sémantique du
mot reflètent une idée persistante de transformation sociale par l'action opposée à la
stagnation sociale, la tradition, et le statu quo.
1.2. Étymologie et acceptions sémantiques du concept social
L'adjectif “social”, de sa part, emprunté au latin socialis - “sociable, fait pour la
société
97“ (mais aussi “allié, qui concerne les alliances“
98), apparu en français au XIVe s., est
également fort polysémique. Il est «relatif à une société, une communauté, une collectivité
99».
En écologie, l'adjectif se rapporte à une espèce « qui vit en société ». En français, il signifie au
début (1355) « militairement allié
100» ; en 1486 social est utilisé déjà dans le sens de « civil,
propre au citoyen »
101pour apparaître enfin comme « propre à une société, concernant une
société
102» (1557) et comme vie sociale « vie des hommes en communauté organisée
103»
(1683). Au début du XIXe siècle (1801) social se rapporte déjà à l'étude de l'organisation de la
société - la science sociale étant la «science de l'organisation et du développement de la
société
104».
Pour les objectifs de nos travaux, il est possible de distinguer quatre acceptions
sémantiques.
En premier lieu, social se trouve en relation avec individuel. Cette acception renvoie
à deux formes typiques historiques de lien collectif faisant associer l'individu à la
communauté (fondée sur les liens préétablis, naturels, hérités, affectifs) et à la société (fondée
sur des liens volontaires, rationnels, délibérés, fruit du libre-arbitre), d'après la définition
dichotomique de Ferdinand Tönnies
105. La tension croissante entre les deux formes de vie
96 http://www.larousse.com/en/dictionaries/french/mouvement (24.07.2013). 97 http://fr.wiktionary.org/wiki/socialis#la, (19.11.2013).
98 Ibidem.
99 http://fr.wiktionary.org/wiki/social, (19.11.2013).
100 Site du Centre national de Ressources textuelles et lexicales : <http://www.cnrtl.fr/etymologie/social>. Cité in Bersuire, Tite-Live, ms. Ste-Gen., f o127a ds Gdf. (19.11.2013). 101 1486 [date de l'éd.] vie socielle « vie civile, propre au citoyen » (Raoul de Presles, Cité de Dieu, XIX, Exp. sur le chap. 6, f oBBii r o): Site du Centre national de Ressources textuelles et lexicales, Op.cit.
102 Bugnyon, Erotasmes, p. 127, Gayeté, éd. 1557 ds Gdf. Compl., Op.cit.
103 Bayle, Pensées diverses sur la comète de décembre 1680, & CXVIII ds Brunot t. 6, p. 102. Op.cit. 104 Cambacérès, Instit. Mém. sc. mor. et pol. t. 3, p. 11 ds Littré: Op. cit.
105 Dans sa sociologie, Tönnies utilise l'approche psychologique et définit de volonté; volonté organique (Wesenwille): volonté de l'être, liqnt spontanéité et authenticité; et volonté réfléchie (Kürwille): choix, décision,
sociale - communautaire et sociétale, la première fondée sur des liens de sang, et la seconde –
sur la pensée individuelle (« Chaque individu a sa pensée, chaque pensée est diverse »,
comme le dit Tönnies), aurait provoqué la propagation de l’individualisme au sein des
sociétés industrielles modernes. Nous acceptons les deux types comme complémentaires, sans
les opposer : la constitution d'une communauté (dans notre cas - environnementale),
réunissant des individus qui partagent des valeurs et un vécu communs, est inséparable de la
constitution du mouvement comme un acteur social, acteur de la société.
En second lieu, social est utilisé par distinction d'étatique. John Locke l'emploie dans
ce sens
106. Cette acception repose sur les fondements philosophiques du libéralisme moderne
en établissant la nécessité d'autonomie de la société civile par rapport à État (la monarchie
moderne centralisée en l’occurrence), celui-ci étant considérée comme secondaire par rapport
à celle - là. Cette acception est largement partagée durant la période du Rideau de fer, aussi
bien par les militants que par les analyseurs des mouvements citoyens, en Europe de l'Ouest
107et en Europe de l'Est
108, afin de légitimer la volonté des citoyens organisés (la société civile)
de s'émanciper de la tutelle répressive de l'État , du contrôle de ses institutions et de son
appareil idéologique et culturel. Elle se traduit en politique par des postures anti - étatiques,
présentées souvent par les militants (malgré les effets politiques qu'ils produisent), comme
„apolitiques” ou encore ”anti-politiques”. Elle correspond à la volonté de la société civile
émergente (à l'Est) еt à des groupes sociaux-culturels (à l'Ouest) de se doter d'autonomie et de
faire valoir leurs droits et leur dignité humains, en s'opposant à l'immiscion de l’État dans la
sphère privée (sphère de la liberté individuelle) ou bien de séparer artificiellement privé et
public (mouvements féminins, par exemple), en bref - contre les abus de l’État et ses
prétentions totalitaires ou totalisantes.
Dans cette acception donc, social rime aussi avec libéral, dans la tradition du
libéralisme européen classique enrichie par les observations d'Alexis de Tocqueville sur la
démocratie en Amérique. Elle traduit l'idée de la nécessité d'existence de conditions pour
libre-arbitre. Ces notions lui permettent d'expliquer le passage de l'individu de la communauté (Gemeinschaft) vers la société (Gesellschaft). Chaque individu rentre donc en concurrence notamment sociale et économique avec autrui. De ce fait, on assiste à un développement de l'individualisme. Pour Tönnies, le processus d'urbanisation fait évoluer la communauté vers la société. Voir Émile Durkheim (1889). Communauté et société selon Tönnies.
106 LOCKE, John (2003) [1997]. Deux traités du gouvernement, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, (trad. fr.) Locke affirme que le gouvernement légitime ne peut se fonder ni sur la conquête, ni sur l'usurpation, ni sur la tyrannie. Issu du consentement de chacun pour former un corps social et politique, l’État en effet permet la réalisation du bien commun et la protection de chacun mais il est secondaire par rapport à la société civile. 107 Voir KLINGEMANN, Hans Dieter and Dieter FUCHS (1995) Citizens and the State, ed. by Hans-Dieter Klingemann.Oxford: Oxford University Press.
108 Parmi les plus influents, voir HAVEL, Vatslav (1985) The Power of the Powerless. In - KAINE, John (ed.s). The Power of the Powerless: Citizens against the State in Central and Eastern Europe, London: Hutichinson, et DAHRENDORF, Ralf. (1997). After 1989. Morals, Politics and Civil Society, Oxford: Macmillan Press Lld.
l'association libre des citoyens et le développement de corps intermédiaires
109– canaux de
représentation et de consolidation des intérêts authentiques de groupes sociaux réels,
fondement de la société civile et d'une culture civique de participation, qui garantit le contrôle
citoyen sur le pouvoir. Jean-Jacques Rousseau, de sa part, l'interprète comme le contraire de
naturel
110.
Social peut rimer aussi avec libertaire, dans la tradition tracée par Henry David
Thoreau et Ralf Waldo Emmerson, renvoyant à la conception de désobéissance civile et
d'individualisme non-conformiste : le recours à des actes non violents mais illégaux, est
légitime et même moral, dans les cas où les gouvernants violent les lois élaborées pour tous.
La pratique de désobéissance civile est fréquente au sein des nouveaux mouvements
citoyens ; elle correspond à la volonté des citoyens - individus de se protéger du despotisme
étatique et du contrôle gouvernemental, suivant la logique de Thoreau “That government is
best which governs least ” (Le meilleur gouvernement est celui qui gouverne le moins
111).
En troisième lieu,social est proche de socialiste et désigne une aspiration à la justice
sociale et l'amélioration des conditions du plus grand nombre. Cette acception ne pourrait pas
être négligée non plus dans notre étude. Au sein des mouvements sociaux, l'amélioration est
envisageable non seulement en termes d'équité sociale ou économique garantie par l’État; elle
est définie de plus en plus comme élargissement des opportunités de participation dans le
processus de prise de décision, par une démocratie participative, comme contre-poids à
l'appropriation et la privatisation des biens publics par les minorités oligarchiques en place
(processus accéléré à la suite de l'ultralibéralisme) et comme garant de la justice sociale,
permettant un accès plus équitable aux biens communs.
Enfin, en quatrième lieu l'adjectif social est utilisé pour évoquer l'action protectrice
envers les plus défavorisés, et signifie caritatif. Cette acception est également justifiée dans
notre étude car elle fait référence à l'abdication de l’État de la sphère sociale, comme effet
majeur de l'avènement du modèle idéologique du néolibéralisme dans les années 1990. Cette
transformation, provoquant l'affaiblissement du niveau national comme niveau de prise de
décisions politique, a fait naître “le phénomène ONG“ (organisations non-gouvernementales)
censées assurer avec d'autres moyens (donations, bénévolat, fonds privés ou publics organisés
sur le principe de la compétition de projets), la défense et la répartition plus juste de biens
sociaux (santé, éducation, culture, droits spécifiques pour certains groupes minoritaires),
109 De TOCQUEVILLE, Alexis (1981) [1835]. De la Démocratie en Amérique I, GF Flammarion, Paris. 110 ROUSSEAU, Jean-Jacques (2001). Du Contrat naturel ou Principes du Droit politique. Flammarion, GF (préface de Bruno Bernardi).
relevant autrefois du domaine de l’État-providence. De cette façon, les ONG sont devenus un
des acteurs principaux au sein des mouvements sociaux à partir des années 1990.
1.3. En guise de définition : vers une approche complexe du mouvement social
Nous allons envisager le terme “mouvement social” dans toutes ces quatre acceptions,
d'abord pour faire face à la diversité des fonctions qu'il accomplit, et ensuite, pour exprimer la
complexité des enjeux sociaux, sociétaux et politiques qui se trouvent à la base de sa
constitution et qui légitiment son rôle d'acteur du changement social et de l'émancipation
citoyenne.
En ce sens, le mouvement sera considéré dans une logique dynamique, à la fois
comme un méta acteur, agent d'historicité, dans le sens donné par Alain Touraine
112que
comme un milieu dynamique au sein duquel apparaissent, évoluent, se modifient et
disparaissent différents acteurs et mobilisations, sociaux et politiques
113: Celui-ci leur servant
de déclencheur et de support, sans que les acteurs (organisations, ONG, associations, partis,
groupes, ou réseaux informels de citoyens) en épuisent le contenu, ni que le mouvement se
réduit à l'ensemble des organisations et des individus et leurs interactions
114. Son impact sur la
scène sociopolitique est évalué dans la longue durée comme un effet de cumul de processus
dynamiques et non univoques, conditionnés tant de l'intérieur que de l'extérieur. Où, pour
reprendre la terminologie des systèmes organiques complexes, les mouvements sociaux
possèdent une qualité systémique qui impacte sur le système politique.
Par ailleurs, l'approche aux nouveaux mouvements comme un milieu au sein duquel
émergent et se forment les phénomènes politiques, est particulièrement pertinente pour les
mouvements citoyens dans les pays de l'Europe centrale et orientale dont le mouvement
écologique bulgare, car ils apparaissent au moment d'un changement brusque des sociétés,
impactant sur leur organisation politique, les rapports sociaux et économiques et les
conditions de vie en général, tout en contribuant à des transformations plus profondes.
2. Les mouvements sociaux : des ”anciens” aux ”nouveaux”
112 TOURAINE, Alain (1984). Le retour de l’acteur. Essai de sociologie, Op.cit.
113 ДАНИЛОВ-ФРЧКОВСКИ, Л. (1998). Новите општествени движения и алтернативната сцена. Скопje.
114 FILLIEULE, Olivier, MATHIEU, Lilian, PECHU, Cécile (sous la dir. de) (2009). Dictionnaire des mouvements sociaux, Presses des Sciences Po, Paris, p. 102.
Les mouvements sociaux sont des agents de transformation sociale et politique des
sociétés modernes. Comme acteurs du changement social, ils ont indiqué la direction et les
raisons historiques, mais aussi les impératifs culturels et éthiques qui poussent à ce
changement. Ils émergent et agissent dans des moments de crise, de basculement de l'ordre
établi, où non seulement les institutions du pouvoir mais aussi les valeurs et les normes
sociales, consacrées par la tradition, la contrainte (ou bien des deux) et considérées comme
communément partagées, inconditionnelles, voire éternelles, sont mises en question
115. La
contestation sociale et politique dont ils sont porteurs a donc toujours une dimension
correctrice, morale
116.
Charles Tilly définit les mouvements sociaux comme un outil assurant la participation
des gens ordinaires dans la politique. Selon cet auteur, il existe trois éléments principaux qui
caractérisent ces acteurs :
- les campagnes, représentant des efforts structurés plus ou moins continus en vue
d'adresser des demandes aux autorités-cibles ;
unrépertoire d'action commun de caractère contestataire (a repertoire of contention): ils font
recours à une combinaison de modes d'action adressés au pouvoir et au large public ;
démonstrations publiques de leur unité, capacité d'agir, singularité, dignité, mérites et
performances publiques
117.
Sydney Tarrow, de sa part, définit les mouvements sociaux comme des défis collectifs
lancés aux élites, aux autorités, ou à d'autres groupes sociaux au sein d'une même société par
un groupe de gens réunis et solidarisés par des objectifs communs, et qui entretiennent des
interaction continues avec les élites, leurs opposants ou les autorités politiques. Cet auteur
établit une distinction assez claire entre les mouvements sociaux, d'une part et es partis
politiques et les groupes d'intérêt, d'autre part
118Ces deux interprétations du phénomène « mouvement social“ ont l'avantage de
proposer un cadre suffisamment général pour définir et aborder les mouvements comme
acteurs sociaux et politiques. Dans notre étude nous allons retenir deux éléments qui sont
susceptibles de caractérisent tant les vieux que les „nouveaux” mouvements sociaux :
l'orientation contestataire par rapport au statu quo et la volonté d'émancipation des
115 TILLY, Charles (2004). Social Movements, 1764-2004, Paradigm Publishers.
116 Voir sur ce point JASPERS, James.M. (1997). The Art of Moral Protest. Culture, Biography and Creativity in Social Movements, Chicago, University of Chicago Press.
117 TILLY, Charles (2004) Social Movements, 1768–2004, Op.cit. p. 262.
118 Voir TARROW, Sidney (2011) Power in Movement, Social Movements and Contentious Politics. Cambridge, Cambridge University Press et TARROW, Sidney (2005). The New Transnational Activism
tutelles, qu'ils soient politiques, économiques ou culturelles, qui caractérisent l'orientation
générale, l'action publique et les demandes sociales des mouvements.
Or, les institutions de la Modernité et ses structures, comme l'atteste Immanuel
Wallerstein, ont été suffisamment stables pour résister à leur pression, et pour intégrer, voire
engloutir et annihiler leurs revendications en vue d'assurer et faire perdurer l'équilibre
systémique
119. Le mouvement des abolitionnistes aux États-Unis et au Canada de la première
moitié du XIXe s. conduisit à l'abolition de l'esclavage, mais il aura fallu encore plus d'un
siècle avant que les anciens esclaves réussissent à faire valoir en réalité leurs droits civiques,
politiques et culturels; le mouvement des suffragettes du milieu du XIXe siècle a dû attendre
la fin de la Seconde guerre mondiale afin de voir se réaliser en Europe ses objectifs : égalité
politique des hommes et des femmes par rapport au vote et l'éligibilité.
L'impact de ces mouvements fut cependant sensible, tant au niveau du changement
structurel des institutions politiques et sociales, qu'au plan de la transformation des mentalités
et des conduites: ils contribuèrent à transformer la situation sociale et politique réelle de
larges couches et de différentes catégories sociales au sein des populations. Ainsi,
contribuèrent-ils à l'émancipation socio-économique et politique de groupes sociaux, tenus
jusqu' alors à l'écart des décisions concernant le pouvoir et les biens publics, voire à la
périphérie des sociétés, et posèrent les fondements des futures démocraties libérales, mais
aussi des gouvernements sociaux-démocrates et de l’État providence du XXe s. Tel fut le cas
des mouvements d'acquisition de droits civils et politiques de la bourgeoisie de la fin du
XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle, et des mouvements ouvriers
120et syndicaux pour
des droits socio-économiques de la seconde moitié du XIXe et les premières décennies du
XXe s. en Europe.
Un autre courant de mouvements - les mouvements pour indépendance nationale,
souveraineté politique et auto-détermination ethnique et culturelle des peuples d'Europe
centrale et orientale de la seconde moitié du XIX et du début du XXe s., suivis des peuples du
« Tiers-monde » de la seconde moitié du XXe siècle - ne se distingue par essentiellement du
premier
121. Tous les deux élargissent les processus d'émancipation au sein des sociétés et les
peuples et contribuent à changer le statut ou la situation de certaines couches sociales ou de
populations toutes entières. Tous les deux sont marqués par des valeurs et principes issus de la
modernité occidentale, des Lumières notamment : universalisme des droits de l'Homme, et par
119 WALLERSTEIN, Immanuel (1998). Utopistics: Or, Historical Choices of the Twenty-first Century, New York, New York Press.
120 WOLIKOW, Serge (1994). Écrire des vies, biographie et mouvement ouvrier, XIXe-XXe siècles. Avec la collaboration de Thomas Bouchet et Jean Vigreux, Dijon : EUD.
121 WALLERSTEIN, Immanuel (1998). Utopistics: Or, Historical Choices of the Twenty-first Century.