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Chapitre 2. Introduction du cas bolivien

2.4. Le nouveau Code : un exemple de conformité déviante aux normes

Contre toute attente, la Bolivie de Morales décida d’élargir en 2014 le cadre juridique légal dans lequel s’exerce le travail infantile sur son territoire. En permettant désormais aux enfants de travailler à leur propre compte dès l’âge de dix ans et pour une tierce personne dès l’âge de douze ans, la Bolivie va ainsi à contre-courant de la normativité internationale et de ses engagements internationaux. Conséquemment, comme mis en évidence dans le tableau 6 présenté ci-dessous, le nouveau Code de l’enfance et de l’adolescence ne s’aligne plus complètement sur les lois et règlementations internationales relatives au travail infantile (cf ligne1. Âge minimum d’accès au travail).

Tableau 6. Lois et normes relatives aux droits de l’enfant

Norme Alignement de la politique interne sur les normes internationales : OUI/NON

Âge Législation

Âge minimum d’accès au travail

Non 14 Article 8 et 58 de la Loi générale du travail ; Article 129 du Code de l’enfance et de l’adolescence (31,32)

Âge minimum pour les travaux dangereux

Oui 18 Article 58 et 59 de la Loi générale du travail ; Article 5 et 136 du Code de l’enfance et de l’adolescence (31,32)

Interdiction du travail forcé Oui Article 15, 46 et 61 de la Constitution ; Article 291 du Code pénal ; Article 34 de la Loi générale contre la traite des êtres humains

et le trafic d’humains (33,35)

Interdiction du travail forcé Oui Article 15 et 61 de la Constitution ; Article 34 de la Loi générale contre la traite des êtres humains et sur le trafic illicite d’humain

Interdiction de la traite des enfants

oui Article 15 de la constitution ; Article 34 de la Loi générale contre la traite des êtres humains et sur le trafic illicite d’humains

Interdiction du commerce sexuel exploitant des enfants

Oui Articles 34-35 de la Loi générale contre la traite des êtres humains et sur le trafic illicite d’humains (35)

Interdiction d’utiliser des enfants dans des activités illégales

oui Article 56 de la loi sur la coca et sur les substances contrôlées

Âge minimum pour le recrutement militaire

Recrutement obligatoire effectué par l’État

Recrutement volontaire

Non 17 Article 108 et 249 de la Constitution ; Article 1 du Décret suprême no.1875 ; article 1 du Décret suprême no. 21479 (33, 37, 38)

oui 16* Article 1-2 des Directives générales du recrutement prémilitaire, article 2 et 7 de Loi sur le service militaire national (39,40)

Âge de la scolarité obligatoire Oui 17 ‡ Article 81 de la Constitution ; article 1,8-9 et 11-14 de la Loi sur l’éducation d’Avelino Siñani-Elizardo Pérez(33,41) Éducation publique gratuite Oui Article 17 et 81 de la Constitution ; Article 1 de la Loi sur

l’éducation d’Avelino Siñani-Elizardo Pérez(33,41) ; article 115 du Code de l’enfance et de l’adolescence (32, 33, 41)

*L’âge minimum pour combattre est de 18 ans selon l’article 36 de la Loi sur le service militaire national (39) ‡ Âge calculé selon les informations disponibles.

En parallèle à cet élargissement des conditions d’entrée, ce nouveau Code met également en avant des mesures visant à garantir le respect des droits des enfants sur leur lieu de travail. Celles-ci vont être accompagnées de promesses du gouvernement visant à renforcer la surveillance en vue d’éliminer l’exploitation des enfants sur leur lieu de travail et le travail forcé des enfants. Néanmoins, ces mesures ne vont pas convaincre sur la scène internationale. À l’instar de Human Rights Watch (HRW) et Anti-Slavery International (ASI), différentes OING vont notamment condamner l’article 129 du nouveau Code bolivien qui permet l’élargissement des conditions d’accès au travail et à l’emploi en dessous de l’âge jusqu’alors requis. Le Parlement européen aurait envisagé d’imposer des sanctions économiques à la Bolivie (Strak 2015, 35-49). Pour sa part, le Comité d’experts de l’OIT va publier différentes déclarations qui stipulent que la nouvelle législation bolivienne n’est pas conforme avec les engagements internationaux de cet État. Le comité de l’OIT va par exemple faire la déclaration suivante en juin 2015 :

« La commission déplore vivement les récentes modifications apportées à l’article 129 du Code de l’enfance et de l’adolescence, qui autorise l’autorité compétente à approuver le travail d’enfants et d’adolescents âgés de 10 à 14 ans dans des activités indépendantes et le travail d’enfants et d’adolescents âgés de 12 à 14 ans pour une tierce partie. La commission souligne que l’objectif de la convention est d’éliminer le travail des enfants et qu’elle autorise et encourage le relèvement de l’âge minimum, mais pas son abaissement une fois qu’il a été fixé. La commission rappelle que l’État plurinational de Bolivie a fixé un âge minimum de 14 ans lorsqu’il a ratifié la convention, et que la dérogation à l’âge minimum d’admission à l’emploi aux termes de l’article 129 du Code de l’enfance et de l’adolescence n’est pas conforme avec cette disposition de la convention. (…) La commission prie par conséquent instamment

et fermement le gouvernement de prendre des mesures immédiates pour s’assurer qu’est amendé l’article 129 du Code de l’enfance et de l’adolescence du 17 juillet 2014 fixant l’âge minimum d’admission à l’emploi ou au travail, y compris le travail pour son propre compte, afin de mettre cet âge en conformité avec celui spécifié au moment de la ratification et avec les prescriptions de la convention, soit au minimum 14 ans. » (OIT, CEACR, 2015).

Pour conclure, il est ici majeur de préciser que le gouvernement bolivien a fait le choix d’adopter le nouveau Code en sachant que celui-ci contrevenait à ses engagements

internationaux. Anticipant les réactions négatives que ce Code susciterait sur la scène internationale, le vice-président Álvaro García Linera l’annonça en justifiant notamment la décision de la Bolivie de la manière suivante : « il aurait été facile de promulguer une loi conforme aux obligations énoncées dans les accords internationaux, mais celle-ci n’aurait pas été respectée « parce que la réalité présente d’autres caractéristiques et d’autres besoins » qui sont maintenant reflétés dans cette loi » (Vicepresidencia del Estado Plurinacional de Bolivia, 2014). Ainsi, la décision de la Bolivie de ne plus incorporer en droit national la Convention no. 138 de l’OIT sur l’âge minimum d’admission à l’emploi de la manière conventionnelle m’amène à me poser la question ci-dessous. Pourquoi la Bolivie a-t-elle modifié sa législation de manière à ne plus intégrer pleinement ses engagements internationaux dans sa législation interne, alors qu’elle avait conscience que cela nuirait à sa réputation sur la scène internationale ?

2.5. Comment expliquer qu’un État ne respecte pas (ou plus)