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D. La consolidation mnésique

IV. a – Quelques notions de connectivité

Si la théorie réticulariste du XIXesiècle prônait l’idée d’un cerveau homogène, il a été montré depuis que le cerveau est organisé fonctionnellement et structurellement selon un schéma bien précis. Non seulement le cerveau est divisé en structures cérébrales qui semblent assurer des fonctions précises, bien que sujet à une adaptation perpétuelle, notamment en cas de lésion, mais en plus, il a été montré que ces structures communiquent avec une organisation très spécifique.

1) Les connectivités cérébrales

On peut définir trois niveaux de connectivité :

• La connectivité structurelle ou anatomique

Le cerveau est constitué de différents réseaux neuronaux, certains très locaux, (Alexandre, 2013; He et al., 2007) qui permettent un échange local et rapide des informations, et certains avec des connexions plus longues, permettant une communication rapide avec les aires corticales plus éloignées. Il semble également qu’il existe des aires corticales ayant une densité de connexion très importante avec de multiples autres régions cérébrales, suggérant que ces régions jouent un rôle de nœud fonctionnel (Hilgetag et al., 2000). Il existe aujourd’hui de nombreuses techniques permettant de révéler les connexions inter-structures, notamment en utilisant des virus (par exemple les Adéno ou herpès virus) codant pour une molécule fluorescente et qui permettent l’expression de cette molécule dans le neurone (Kitamura et al., 2017; Loureiro et al., 2019; Rajasethupathy et al., 2015), ou bien des traceurs rétrogrades (par exemple l’unité B de la toxine du choléra), ou antérogrades (par exemple le biotinylated dextran ou Phaseolus vulgaris-leucoagglutinin) permettant de révéler les projections que la structure infectée reçoit ou projette respectivement (Amaral et al., 1991; Hoover and Vertes, 2007, 2011; Kondo and Witter, 2014).

• La connectivité fonctionnelle

La connectivité fonctionnelle mesure la dépendance statistique entre les activations neuronales de différentes régions. Ainsi par exemple la fonction fondamentale des aires corticales est de permettre un traitement rapide, efficace et adapté des informations entrantes somato-sensorielles afin de permettre une réponse (comportement) adaptative aux changements de l’environnement. Dans ce sens, les structures interagissent dans le but de rendre ce processus toujours plus efficace, en accord avec les principes hebbiens. Lors de l’apprentissage, le réseau fonctionnel s’orienterait alors vers la formation d’un réseau dit « sans échelle », c’est-à-dire un réseau dont la distribution se fait en fonction du degré de connectivité entre les neurones et non de la proximité (Barabasi and Albert, 1999). Ce réseau ainsi formé serait alors capable de réaliser certaines fonctions plus rapidement en centralisant certaines ressources (Alexandre, 2013), permettant un traitement plus efficace des informations (pour revue, voir Friston, 2011).

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• La connectivité effective

La connectivité effective mesure les interactions causales relatives à une tâche et à des flux d’informations. L’étude de cette connectivité permet de mieux comprendre l’organisation des échanges d’informations entre les structures cérébrales au cours de tâches cognitives. Ces études ont été menées principalement chez l’Homme par des approches d’électroencéphalographie ou d’IRM fonctionnel (afin de localiser l’activation des régions) et parfois couplées à de la stimulation magnétique transcranienne permettant de perturber l’activité de réseau cible lors de l’exécution d’une tâche puis d’en observer les conséquences (Alexandre, 2013).

2) Neuroanatomie des grands systèmes du traitement de l’information Basé sur les analyses de connectivité, de grands systèmes ont été décrits :

• Le système des boucles réentrantes

Des études anatomiques et computationnelles des voies cérébrales ont permis de mettre en évidence trois axes principaux, ou « autoroutes » de communication entre les aires cérébrales (figure 8 - Edelman, 2004). 1) Le système thalamocortical, qui est constitué de groupes de neurones étroitement connectés, reliés à la fois de façon locale et distante par d’abondantes connexions réciproques. Ce maillage dense de connexions de longues distances et réentrantes entre le système limbique et les différentes aires corticales permet une communication à double sens rapide et efficace. 2) La structure polysynaptique, qui est constituée de boucles des circuits inhibiteurs qui relient le néocortex aux structures du système limbique. En général, ces boucles ne sont pas réentrantes. 3) De nombreux « systèmes de valeur », qui sont des projections ascendantes très développées de fibres du locus coeruleus vers toutes les aires du cerveau.

• La théorie du « Multiple Parallel Memory Systems »

De façon similaire, Norman White et Robert McDonald proposent l’existence de trois systèmes principaux définis par le type d’associations qu’ils effectuent (White and McDonald, 2002) : 1) le système hippocampique, gérant les associations stimulus-stimulus, et permettant d’associer des cartes spatiales liées au contexte à des événements particuliers ayant lieu dans ce contexte. 2) Le système striatal, qui associe un stimulus (un indice, etc.) à une réponse motrice (se diriger vers la plateforme, etc.) par association stimulus-réponse. La contiguïté temporelle entre le stimulus et le renforcement est cruciale lors de l’établissement de l’association. 3) Le système amygdalien associant un stimulus à un renforcement. L’amygdale met en relation un état émotionnel avec des événements se produisant au même moment. Ici, le renforcement est primordial, sans quoi il se produira un phénomène d’extinction. Selon la théorie « Multiple Parallel Memory Systems » de White et McDonald, ces trois principaux systèmes sont activés en même temps au cours de l’apprentissage, permettant l’encodage des trois modes d’association (White and McDonald, 2002). La sélection du système principal impliqué dans la réponse se ferait a posteriori, en évaluant quel type d’association est le plus pertinent. Cette hypothèse est appuyée par de nombreuses études révélant une forte connectivité anatomique liant ces trois systèmes principaux (Packard and McGaugh, 1996; Poldrack and Packard, 2003; Whiteand Mcdonald, 1993; White and

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McDonald, 2002). Selon les auteurs, bien que leurs fonctions soient distinctes, ces systèmes interagiraient au cours des apprentissages associatifs, soit par coopération, soit en compétition.

3) Nature des relations entre les systèmes de mémoire

Les études à la fois cliniques et expérimentales décrites dans cette introduction (cf. section B, p.9-17), montrant une perte sélective des capacités mnésiques spécifiques suite à des lésions cérébrales locales, mettent en évidence l’existence de plusieurs systèmes de mémoire distincts, sous-tendus par des structures cérébrales différentes (figure 1). Afin de produire une réponse adaptée à une situation donnée, la relation qu’il y a entre ces différents systèmes peut être de plusieurs natures. Il existerait ainsi trois types différents de relations entre les systèmes (Jaffard andMeunier, 1993; Poldrack and Packard, 2003; White and McDonald, 2002) : l’indépendance, la synergie ou, la compétition.

Il a été possible de mieux comprendre la nature de ces relations en étudiant les effets induits par la perturbation du fonctionnement d’un système (par des approches pharmacologiques, pharmacogénétique optogénétique ou lésionnelle) sur les capacités d’acquisition sous-tendues par un autre système(pour revue Kim and Baxter, 2001). Lorsque deux systèmes sont indépendants, une inactivation ou une lésion de l’un perturbera l’exécution des fonctions qu’il soutient, mais n’aura aucun effet sur les fonctions de l’autre système (Olton, 1991). Au contraire, lorsque ces systèmes interagissent en synergie au cours d’une tâche d’apprentissage, alors la lésion d’un des systèmes va affecter le fonctionnement de l’autre (Devan et al., 1999; Morris et al., 1982;

Figure 8 | Configuration fondamentale des trois sortes de systèmes neuroanatomiques du cerveau. (a) Illustration du maillage de connexions denses du système thalamocortical. (b) Illustration des boucles polysynaptiques, qui relient le cortex aux structures du système limbique. (c) Exemple d’un « système de valeur » qui consiste en des projections de fibres du locus coeruleus vers toutes les aires du cerveau. Adapté d'Edelman, 2004.

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Whishaw et al., 1987). Ce mécanisme a été mis en évidence dans la tâche de la piscine de Morris chez le rat. En effet, une lésion du striatum ou de l’HPC perturbe l’acquisition et induit la mise en place de stratégies de rappel différentes en fonction de la structure lésée: les rats lésés au niveau de l’HPC utiliseraient préférentiellement une stratégie « indicée », alors que ceux lésés au niveau du striatum favorisent la mise en place d’une stratégie spatiale (McDonald and White, 1994). Une autre étude s’intéressant au phénomène de généralisation d’un souvenir de peur met également ce mécanisme en évidence (Bian et al., 2019). En effet, l’inhibition d’une voie reliant l’HPC ventral au cortex cingulaire antérieur perturbe ce phénomène et permet un rappel plus précis du souvenir, alors que selon cette même étude, le rappel précis d’un souvenir semble naturellement sous-tendu par l’HPC dorsal. Le dernier type de relation fait référence à la notion d’antagonisme fonctionnel entre deux structures. D’après cette théorie, lorsqu’un apprentissage sollicite deux structures compétitives, l’inhibition de l’une favorise le fonctionnement de l’autre. Il a par exemple été démontré que des lésions de l’HPC peuvent faciliter l’acquisition de certains apprentissages qui semblent dépendre du striatum et de l’amygdale (McDonald and White, 1994; White and Mcdonald, 1993).Ces différents mécanismes relationnels dépendraient directement du contexte et de la tâche cognitive considérée (Kim and Baxter, 2001).

4) Conclusions

Ainsi, les différents aires corticales sont connectées et interagissent de façon bien spécifique. Les vastes « autoroutes » de connexions axonales permettent de connecter le système limbique au reste du néocortex. Il est possible que ce soit par ces longues voies que les structures du lobe temporal médian, et notamment l’HPC, soient en communication avec les aires néocorticales au cours du processus de consolidation. Au cours de ce processus, il semble que ce soit une relation d’interdépendance qui se met en place entre le lobe temporal médian et le néocortex. Les deux zones vont en effet agir en synergie pour permettre la consolidation de la trace mnésique et son stockage au niveau cortical. La façon dont cette trace est consolidée et la nature de l’implication des structures concernées sont sujettes à de nombreux débats. Nous allons, dans les prochaines parties, faire un bilan de l’implication de l’HPC et du néocortex dans le processus de consolidation mnésique.