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D. La consolidation mnésique

II. a – Le modèle standard de la consolidation

La théorie classique (ou standard) de la consolidation a été développée par Larry Squire et

Pablo Alvarez (Alvarez and Squire, 1994; Squire and Alvarez, 1995), et a été jusqu’à présent le modèle le plus accepté et défendu par la communauté scientifique. Il s’appuie sur l’existence d’un gradient temporel d’amnésie rétrograde observé après des dommages de l’HPC, notamment mis en évidence chez le patient H.M. Ce modèle stipule que le stockage des informations est initialement supporté par des circuits hippocampo-corticaux activés lors de l’encodage (Dudai, 2004) mais qu’avec le passage du temps, il devient dépendant de l’intégrité de certaines aires

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néocorticales ayant pris en charge la trace mnésique (McClelland et al., 1995), qui s’accompagne progressivement d’un désengagement hippocampique (Bontempi et al., 1999; Frankland and Bontempi, 2005; Squire and Alvarez, 1995). L’HPC aurait alors pour rôle de stocker temporairement la trace mnésique, cette dernière étant par la suite progressivement transférée dans les aires corticales pour le stockage à long terme (figure 4). Ce modèle implique des

processus différents selon les phases de la mémorisation. 1) La phase d’acquisition

Lors de l’encodage, l’information traitée est encodée dans diverses aires corticales en fonction des modalités requises (spatiales, visuelle, gustatives, etc.) par les neurones activés lors de cet encodage. Ces assemblées de neurones sont alors « étiquetées » par l’HPC (Morris, 2006; Squire and Bayley, 2007; Teyler and DiScenna, 1986), qui stocke ces patterns d’activation. Grâce à des modifications synaptiques rapides et à une forte capacité associative, l’HPC va pouvoir encoder les adresses de ces diverses assemblées sous la forme d’un index hippocampique et est capable

de les relier de façon à permettre une représentation cohérente et unifiée de l’évènement en cours de traitement.

2) Le dialogue hippocampo-cortical

Suite à l’encodage, lors de la phase précoce de la consolidation, il y a un phénomène de « replay », qui consiste en une réactivation synchrone et répétée des ensembles neuronaux

étiquetés par l’HPC, notamment au cours de phases de veille active ou de sommeil (Skaggs and Figure 4 | Modèle standard de la consolidation systémique. Lors de l’encodage, les neurones activés dans les différentes aires corticales (hexagones entourés de pointillés rouges) seraient étiquetés par l’Hippocampe (HPC). Celui-ci génère alors un « index » (hexagones rouges pleins), qui permet d’intégrer les différents aspects de l’information portés par chacune des aires corticales de façon à former un ensemble cohérent sous-tendant l’information. Dans la phase de remodelage, des réactivations successives du réseau hippocampo-cortical vont permettre un renforcement progressif des connexions cortico-corticales, permettant de stabiliser l’information. Les modifications des connexions à l’intérieur du réseau hippocampique sont rapides et transitoires alors que celles qui se produisent à l’intérieur du réseau néocortical prennent du temps et perdurent (en rouge). La maturation du réseau au niveau cortical permet la stabilisation de l’information et s’accompagne d’un désengagement progressif de l’hippocampe. D’après Frankland et Bontempi, 2005 ; Lesburguères et al., 2011.

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McNaughton, 1996; Axmacher et al., 2006; Drieu and Zugaro, 2019; Kentros, 2006; Ólafsdóttir et al., 2018). En accord avec les principes hebbiens, cette réactivation simultanée des assemblées neuronales va permettre un renforcement des connexions cortico-corticales au sein de cet ensemble, donnant à la trace corticale une forme cohérente. La mémoire est consolidée lorsque ce réseau a atteint une maturité suffisante, c’est-à-dire lorsque les connexions cortico-corticales sont suffisamment renforcées pour permettre le rappel de l’information sans l’assistance de l’HPC (Bontempi et al., 1999; Lesburgueres et al., 2011).

Un nombre important d’études au cours des dernières décennies a appuyé cette théorie. Outre l’utilisation d’approches invasives chez l’animal révélant une amnésie rétrograde temporellement graduée après lésion ou inactivation de l’HPC (pour revue, voir Winocur et al., 2010), de nombreuses études cliniques utilisant l’imagerie cérébrale chez l’Homme ont démontré que le rappel d’une mémoire déclarative s’accompagne d’une réduction progressive dans le temps de l’activité de l’HPC, parallèlement à une augmentation de l’activité au niveau cortical (Smith and Squire, 2009; Smith et al., 2010; Takashima et al., 2006, 2009). Par des approches similaires chez l’animal et grâce à la cartographie neuro-anatomique des changements de l’activité métabolique (en utilisant le (14C)2-déoxyglucose) ou de l’activité neuronale (par mesure de l’expression de protéines reflétant l’activité, telles que c-fos, Arc ou Zif268 (cf. paragraphe D.III.a.2), il a été possible de mettre également en évidence ce désengagement hippocampique au profit d’une activité corticale lors d’un rappel à long terme (Bontempi et al., 1999; Frankland et al., 2004; Hall et al., 2001; Lesburgueres et al., 2011; Maviel et al., 2004; Ross and Eichenbaum, 2006; Takehara et al., 2003; Takehara-Nishiuchi and McNaughton, 2008). L’analyse de l’architecture neuronale dans les différentes aires corticales a permis de démontrer que la corticalisation de la trace mnésique s’accompagnait d’une réorganisation structurale des neurones corticaux (augmentation du nombre d’épines ou de l’expression de marqueurs synaptiques - Lee et al.,2007; Lesburgueres et al., 2011; Restivo et al., 2009; Maviel et al., 2004; pour revue, voir Segal, 2017) illustrant la nécessité d’un raffinement des réseaux neuronaux pour la maturation corticale de la trace. Des approches invasives ont permis de conforter les études corrélatives en démontrant, par des stratégies génétiques, lésionnelles ou pharmacologiques, que l’activité dans des aires corticales spécifiques est nécessaire pour permettre le rappel d’une mémoire ancienne (Frankland et al., 2004; Lesburgueres et al.,2011; Liu et al., 2009; Maviel et al., 2004)alors que l’HPC n’a qu’un rôle limité dans le temps pour le rappel de la mémoire (Lesburgueres et al., 2011; Takehara et al., 2003; Zola-Morgan and Squire,1990), qui dépendrait alors d’un réseau cortical mature.

3) La théorie des schémas

Dans la lignée de la théorie standard, la théorie des schémas se base également sur une implication graduelle de l’HPC, qui ne serait pas seulement tributaire du temps, mais également du degré de familiarité des informations. C’est une approche introspective de la mémoire, postulant que l’apprentissage est facilité lorsque les informations encodées sont en relation avec des connaissances préalablement acquises (Bartlett, 1932). Les schémas seraient alors un vaste

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réseau d’informations sur lequel viennent s’implanter les nouvelles informations ayant un lien avec ce réseau, afin de former un souvenir cohérent (Ghosh and Gilboa, 2014).

Ce modèle a été testé par une approche expérimentale par l’équipe de Richard Morris (Tse et al., 2007, 2011), avec un apprentissage spatial d’association de paires chez le rat. Le rat est exposé à une odeur avant son entrée dans l’arène. Il doit alors associer l’odeur à laquelle il a été exposé à une paire d’emplacements récompensés qui varie selon l’odeur. Si les premières paires sont lentement apprises (jusqu’à 6 semaines), les nouvelles associations peuvent être acquises en une seule session, avec une rétention durable de l’information. Par ce paradigme, les auteurs ont pu étudier l’implication des structures corticales et limbiques au cours du temps (Tse et al., 2007, 2011). Bien que, selon les théories standards, ce processus d’assimilation au niveau cortical devrait être plus lent pour permettre l’intégration des informations aux souvenirs plus anciens générés lors d’expériences antérieures (McClelland et al., 1995), les auteurs ont montré une implication rapide d’une aire corticale, le CPFm, dans le rappel des paires et dans l’apprentissage de nouvelles paires (Tse et al., 2011). En effet, si une ablation de l’HPC trois heures après l’apprentissage d’une nouvelle paire entraine une perturbation du rappel de cette paire, une ablation de cette même structure deux jours après l’apprentissage ne perturbe plus le rappel. Ces études apportent la preuve que de nouvelles informations peuvent être rapidement intégrées au niveau cortical si elles sont en relation avec des informations préalablement encodées, ayant formé une représentation corticale (ou schéma) d’un environnement spatial complexe.

Cette étude souligne également la possibilité de rappeler un souvenir, pourtant spatial, indépendamment de l’HPC, alors que cette structure est une région clé pour le traitement des informations spatiales (O’Keefe and Dostrovsky, 1971; O’Keefe and Nadel,1978). Ce serait alors le niveau élevé de familiarité de l’environnement qui permettrait le rappel du schéma intégré au niveau cortical, indépendamment de l’HPC. En accord avec cette théorie, des rats placés en permanence dans un environnement complexe et riche en stimuli (multiples voies d’accès à la nourriture/eau, sur deux étages, présence de congénères, etc.) appelé « le village », ne sont pas perturbés pour retrouver la nourriture suite à une lésion de l’HPC (Winocur et al., 2005a). Ces résultats suggèrent l’établissement d’une carte cognitive corticale de l’environnement spatial liée à la familiarité de l’environnement spatial, permettant alors un maintien de certaines informations indépendamment de l’HPC (Rosenbaum et al., 2000,2001; Tse et al., 2011).

Bien que les études comportementales semblent valider ce modèle (pour revue, voir Dudai, 2004; Squire et al., 2015), il est cependant à noter que ces conditions expérimentales nécessitent souvent un environnement relativement pauvre en stimuli et des animaux naïfs au moment de l’apprentissage. Elles modélisent assez peu la situation observée chez l’animal vivant dans son environnement naturel où chaque nouvel apprentissage s’ajoute à un ensemble complexe de connaissances précédemment acquises. De plus ce modèle n’explique pas certaines observations lors du phénomène d’amnésie rétrograde avec un gradient plat (i.e. totale) observé dans certaines études (Bayley et al., 2005; Gilboa et al., 2006; Rosenbaum et al., 2000). En effet, la corticalisation

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à terme de toutes les formes de mémoire déclarative, postulée par le modèle standard, est un aspect qui reste très débattu, amenant certains auteurs à rejeter le modèle standard.

Allant dans le sens de cette théorie, trois patients avec des lésions du lobe temporal médian : K.C. (Rosenbaum et al., 2005), G.T. (Bayley et al., 2005) ou A.D. (Gilboa et al., 2006), présentent une perte de mémoire autobiographique ayant pour résultat une connaissance impersonnelle du passé. Il est à noter que cette amnésie rétrograde non graduelle peut s’expliquer par des modifications significatives des lobes frontaux (réduction du volume et/ou altération), dont on a mis en évidence l’implication dans le rappel des évènements autobiographiques (Bayley et al., 2003, 2005).