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De la notion de lien au concept de collusion conjugale

I. Le lien conjugal

1.3 Approche psychanalytique du lien conjugal

1.3.1 Conceptualisations théoriques sur le couple en psychanalyse

1.3.1.4 De la notion de lien au concept de collusion conjugale

A partir des développements sur les notions de lien et dans la lignée de l’héritage de l’œuvre de Klein, Dicks (1967), psychiatre britannique de la Tavistock Clinic, est le premier à utiliser le terme de collusion pour décrire les liens ambivalents par lesquels un sujet choisit chez son partenaire une certaine manière de réagir à ce qu’il a refoulé en lui. Ainsi, c’est cette attirance initiale qui constitue par la suite l’origine de la crise entre les partenaires si les conflits intrapsychiques de l’un, entrant en résonance avec son répondant chez l’autre, viennent alors réactiver cette collusion (Dicks, 1967). C’est le jeu des projections/introjections structurant ces collusions qui intéresse plus particulièrement Dicks dans ce concept.

Quelques années plus tard, le psychanalyste Willi (1975) reprend et précise la notion de

collusion dans le couple. Le terme de collusion tire son originalité dans son intérêt porté aux

processus inconscients à l’œuvre dans le lien de couple, alors même que la psychanalyse a plus Le Baiser (1908-1909)

Gustav Klimt

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l’habitude de se porter sur les rapports entre le sujet et ses différents « objets » (Lemaire, 1975). Willi précise le sens de ce jeu psychique inconscient entre les conjoints et en décrit les différentes modalités. Ainsi, la collusion est à la base de toute une dynamique de mouvements inconscients qui structurent un couple. Willi décrit plusieurs formes de collusions pour rendre compte des différentes dynamiques inconscientes à l’œuvre dans le lien conjugal :

La collusion orale se caractérise par la prédominance de modèles de type mère-enfant, soignant-soigné, protecteur-protégé : « La collusion orale tourne autour de la thématique : aimer, c’est s’apporter l’un à l’autre sollicitude, soins, subsistance » (Moulay, 1987).

La collusion sado-anale fait référence à des modèles de couples de type dominant-dominé, actif-passif, sadomasochiste et jaloux-infidèle.

La collusion phallique-œdipienne qui se caractérise par des modèles masculin-féminin, culpabilisant/culpabilisé, condamnateur/transgresseur ; collusion dans laquelle l’un joue un rôle surmoïque, et l’autre, le rôle du Moi.

Enfin, la collusion narcissique associe des conjoints dont l’un représente une figure d’Idéal du Moi pour l’autre ayant, quant à lui, un Moi fragile et défaillant.

Les différentes formes de collusion se retrouveraient ainsi chez tout couple, sans que soit considérée une forme plus pathologique que l’autre. Ce que Willi considère comme un indicateur pathologique dans un lien conjugal concerne ce que nous proposons de décrire comme la dynamique collusive à l’œuvre. Par dynamique collusive, nous entendons la possibilité de réaménagement des collusions de façon plus ou moins souple. En effet, pour Willi, une collusion trop rigide gêne l’évolution nécessaire de la structure du couple et empêche les partenaires de découvrir d’autres types de collusion nécessaire à l’évolution de leur lien conjugal :

Elle n’enferme d’ailleurs pas pour autant chaque individu, mais elle risque, en bloquant l’évolution naturelle de la dyade, d’empêcher les partenaires de découvrir ou de développer d’autres types de collusion, d’autres potentialités collusives.

Chez les autres couples, ce renouvellement intérieur permet le développement d’autres types de collusion, car on retrouve sur un mode plus souple et plus réversible ces mêmes phénomènes collusifs inconscients chez tous les couples dont les partenaires se sont quelque peu choisis (Lemaire, 1975, pp. 17-18).

Ainsi, l’intérêt majeur du concept de collusion souligné par Lemaire se porte sur la notion de « réorganisation » à l’œuvre au sein du couple au fil du temps :

Les processus collusifs évoluent, se réorganisent à l’intérieur même du couple, disons plus précisément du couple comme système structuré avec son homéostasie, ses frontières, ses distributions et ses attributions inconscientes de rôles. Les pouvoirs se distribuent autrement, s’inversent à tel ou tel niveau, à telle ou telle période, chez tel couple : les types de collusion dans le système-couple se maintiennent souvent avec un balancement des rôles des partenaires. En quelque sorte, les processus inconscients des deux partenaires continuent à interagir, à s’interpénétrer, à

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s’équilibrer, le plus souvent malgré les changements radicaux des conditions extérieures, c’est-à-dire des conditions matérielles, biologiques, sociales ou culturelles (Lemaire, 1975, p. 19).

Comme nous le soulignerons de nouveau, nous pouvons considérer le devenir parent comme représentant un de ces « changements radicaux » décrits par Lemaire étant à la source d’un réaménagement nécessaire de la dynamique collusive dans le couple.

Des auteurs ont souligné le parallèle entre le concept de collusion développé par Dicks et Willi (1967, 1975) et celui d’alliance inconsciente et de pacte dénégatif décrit par Kaës (2009). Ainsi, également dans la continuité des travaux sur le lien, l’auteur a pour sa part décrit la formation d’alliances inconscientes entre les sujets, soutenues par des investissements pulsionnels et par des fantasmes inconscients. Ces alliances inconscientes constituent des éléments organisateurs dynamiques et structuraux du lien. Parmi ces alliances, Kaës différencie d’une part les alliances de réalisation de désir, et les « pactes défensifs » ou « pactes dénégatifs » qui servent les besoins défensifs des sujets lorsqu’ils forment un lien et veulent maintenir ce lien (Smadja, 2011). Smadja relève la double fonction du lien conjugal entre la polarité positive de ces alliances/collusions et la polarité négative qui se fonde sur les diverses opérations défensives (Smadja, 2011). Robert (2015) insiste également sur l’intérêt à rapprocher ces différentes notions théoriques dans la compréhension des enjeux inconscients à l’œuvre dans la dynamique conjugale :

Que nous nous référions à l’inconscient dynamique ou à ce qui serait forclos dans la transmission transgénérationnelle, il y a comme un intérêt inconscient, un gain psychique réciproque considérable, dans le choix du conjoint. Que l’on s’allie pour consolider la censure ou ses propres forces de refoulement, ou que l’on espère transformer les éléments bruts indésirables, chacun attend quelque chose du Nous comme il l’attendait sans doute de ses liens premiers (Robert, 2015, p. 79).