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Chapitre II : Diversité générique dans Sur ma mère

1. De la notion de genre

Tout commence avec Platon dans la république et Aristote dans la poétique, la notion de genre littéraire a joué un rôle important dans l’explication des faits littéraires de fait qu’elle n’a cessé d’être l’intérêt des chercheurs depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, Todorov et Ducrot dans « Dictionnaire Encyclopédique des sciences du langage » affirment que :

« Le problème des genres est l’un des plus anciens de la poétique, et de l’Antiquité jusqu’à nos jours, la définition des genres, leur nombre, leurs relations mutuelles n’ont jamais cessé de prêter à discussion. »47

En lui rattachant au domaine de la littérature, le genre est défini tel une : « catégorie d’œuvres littéraires ou artistiques définie par un ensemble de règles et de caractères communs ; style, ton d’un ouvrage. »48

Nous pouvons dire alors, à partir de cette définition, que le genre est défini comme un ensemble cohérent et codifié qui permet de classer un texte littéraire selon des critères et des caractéristique bien spécifiques.

46 Garrigues Pierre, poétique du fragment, cité dans, Marzloff Martine, compte-rendu de lecture, disponible sur : litterature.ens-lyon.fr.

47

Ducrot Oswald, Todorov Tzvetan, « Dictionnaire Encyclopédique des sciences du langage », Seuil, 1972, p.193.

48Cité dans Gallego Baños Pedro, Le poème en prose et ses relations avec la théorie : pour une approche

moderne, Thélème. Revista Complutense de Estudios Franceses, p.232, disponible sur : https :

L’existence ou l’absence d’un genre littéraire dépend de l’idéologie d’une société donnée :

Les distinctions génériques de la théorie classique reposent sur des critères sociaux. […] Tout système de genre est en rapport avec l’idéologie dominante et les genres mettent en évidence les traits constitutifs de la société à laquelle ils appartiennent. Une société choisie et codifie les actes qui sont au plus près de son idéologie, donc l’absence ou la présence de certains genres dans une communauté sont révélatrices de son idéologie.49

Ainsi, chaque époque se caractérise par un genre spécifique à lui, Tzvetan Todorov affirme et dit :

« Chaque époque a son système de genre, qui en rapport avec l’idéologie dominante. »50

Selon Pedro Gallego dans son œuvre, Le poème en prose et ses relations avec la

théorie des genres : pour une approche moderne, la théorie des genres au ème siècle est remise en question, plusieurs critiques ont pensé à des nouveaux systèmes de division et de classification générique tout en renouvelant les idées que nous avons héritées depuis Aristote et Platon :

La théorie moderne des genres est descriptive, elle ne limite pas le nombre des catégories possibles et ne prescrit aucune règle aux écrivains. Elle suppose que les mélanges sont possibles et peuvent donner naissance à des nouveaux genres […] les genres se constituent, par agrégation aussi bien que par réduction.51

Les frontières entre les genres sont absentes donc au XX ème siècle, on assiste à une abolition des genres voire une opération de chevaucher et d’amalgamer, ce qui rend difficile de déterminer à quel genre appartient l’œuvre dite moderne qui multiplie en son sein plusieurs genres :

49

Svàvai, Dorottya et Toudoire Surlapiesse Frédérique, Genres et identité dans la tradition littéraire

européénne, Orizon, 2017, p8. Disponible sur : editionsorizons.fr.

50 Todorov, Tzvetan, les formes du discours, cité par Abrougui Anis Mohamed dans, Le chevauchement des genres dans l’œuvre littéraire, en ligne disponible sur : www.fabila.org.

51

Seul importe le livre qu’il est loin des genres, en dehors des rubriques, prose, poésie, témoignage, sous lesquelles il refuse de se ranger et auxquelles il dénie le pouvoir de lui fixer sa place et de déterminer sa forme. Un livre n’appartient plus à un genre, tout livre relève de la seule littérature, comme si celle-ci détenait par avance dans leur généralité, les secrets et les formules qui permettent seuls de donner à ce qui s’écrit réalité de livre […].52

La notion de genre se voit donc remise en question, cette pratique d’oscillation entre les genres due à une révolution et une modernité dans le texte littéraire qui a vu une création fragmentée qui ne peut pas être déterminé dans un seule genre, où plusieurs genres se chevauchent et s’imbriquent, Ricard Ripoll dit à ce propos :

Ainsi, ce que l’écriture fragmentaire suppose, par rapport à une écriture monumentale, c’est une problématique de la rupture, dans l’approche même du rythme, et la mise en place d’une organisation qui débouche sur des valeurs littéraires. En effets, le choix d’une fragmentation s’accompagne le plus souvent d’un choix générique qui tend à l’hybridité. La fragmentation entraîne le plus souvent le mélange des genres et la disparité des formes : le discours littéraire, celui qui est porté par l’institution, en vient à faiblir pour céder la place à un ménagement chaotique du texte […]. Le fragmentaire est donc bien plus une conception de la littérature qu’un genre et il peut ainsi traverser tous les genres.53

D’ailleurs, cette pratique fragmentaire dans le nouveau roman engendre ce qu’on appelle une hybridation générique qui trouve dans le texte littéraire un terrain libre où elle peut s’exercer et où elle fait combinaison de plusieurs et d’autres traits génériques dans une unité littéraire :

52

Blanchot. M, Le livre à venir, cité dans Stistrup J, et Th. Marie-Odile, Frontières des genres :

migrations, transgressions, presses universitaires Lyon, 2005, p.31. books-google.dz.

53 Ricard Ripoll, « vers une pataphysique », cité dans Riva Magali, une littérature sous tension : poétique du fragmentaire dans l’œuvre de Pierre Michon, mémoire de master, Université de Montréal, septembre 2012, p.12.

En d’autres termes, l’hybridation générique chez l’auteur est spécifiée comme un procédé scriptural prélevant des éléments caractéristiques d’un genre « A », ici le théâtre et il les implante dans un genre B, le roman. L’expression d’hybridité générique nécessite une classification sémantique. Dion, Fortier et Haghbaert la définissent comme une « combinaison de plusieurs trait génériques hétérogènes mais reconnaissables, hiérarchisés ou non, en un même texte. »54

La notion de genre est un élément essentiel de notre analyse. D’une manière générale, l’appartenance d’une œuvre à un genre dépend de la présence de caractéristiques propres à ce genre. Un roman par exemple, mérite ce nom dans la mesure où se réunit un nombre suffisant de règles attribuées au genre romanesque (intrigue, trame narrative, héros, etc). Cependant, le concept est flou et devient une vraie problématique dans notre corpus surtout quand l’auteur dit sur la quatrième de couverture que : « Sur ma mère est un vrai roman car il est le récit d’une vie dont je ne connaissais rien, ou presque », c’est comme s’il voulait confirmer une idée et il sait bien qu’elle n’est pas correspondante au contenu du texte.

L’écriture fragmentaire dans l’œuvre de Ben Jelloun se reflète, de par l’éclatement de sa structure narrative, dans son statut générique. Sur ma mère dépasse les cloisons entre les genres, à la lecture approfondie de l’œuvre, on constate qu’elle repose sur le mélange de différents genres. Nous assistons à une véritable abolition des barrières entre les genres littéraires que nous allons voir par la suite et de là, une série de questions s’imposent : comment lisons-nous ce texte ? Est-ce une autobiographie ? Une écriture autofictionnelle ? Un récit de filiation ? Un roman ethnographique ?