• Aucun résultat trouvé

2 Approche théorique : morphologie lexématique

2.1 Notion de lexème

Le terme de lexème est connu en linguistique depuis Lyons (1968) et Matthews (1974). Dans ce travail, j’adopte la définition du lexème proposée par Fradin (2003 : 80-106). Le lexème a deux propriétés principales : il représente une entité abstraite et multidimensionnelle. Pour m’aider à la présentation des lexèmes slovaques et surtout à la description de leur caractère multidimensionnel, il est nécessaire de déterminer ce qui les distingue des mots-formes. Pour cela, je pars de la première définition provisoire, volontairement incomplète, qui est donnée en (1) :

(1) Le lexème est une entité abstraite qui est privée de tout marquage flexionnel.

Cette première définition permet d’opposer les lexèmes aux unités fléchies (ou mots-formes) et de les distinguer des formes citationnelles. Je commence par illustrer la

notion de mot-forme, introduite et définie par Meľčuk (1993), telle qu’elle se manifeste en

slovaque.

Si le lexème est abstrait par définition, le mot-forme est défini négativement, i.e. comme une unité concrète (ou réalisationnelle), dotée de marques flexionnelles requises par la syntaxe. Un mot-forme représente une instanciation du lexème dans le discours. Lorsque les lexèmes comme en (2a)-(4a) sont insérés dans le contexte syntaxique (2b)-(4b), ils perdent forcément de leur caractère abstrait. Les unités concrètes (ou mots-formes) mis en gras dans les exemples (2b)-(4b) correspondent aux lexèmes en (2a)-(4a).

(2) a. OKON ‘œil’ b. v ok-u

dans œil-FLX:SG-NEU-LOC

‘dans (l’) œil’

(3) a. MALÝA‘petit’ b. mal-ý chlapec

petit-FLX:SG-M-NOM garçon-FLX:SG-M-NOM

(4) a. BRAŤV ‘prendre’ b. ber-ú objednávk-y

prendre-FLX:3-PL-PRES commande-FLX:SG-F-ACC

‘(ils/elles) prennent les commandes’

Considérant l’exemple en (3), on se rend compte que les mots-formes peuvent parfois être homographes à la représentation du lexème. En (3a) et (3b), graphiquement, en dehors de la distinction formelle, i.e. petites capitales vs. italiques minuscules, le lexème et

le mot-forme au SG-M-NOM sont identiques. Or, cette identité est purement formelle. Le

lexème est représenté de manière arbitraire, alors que la forme du mot fléchi est imposée par la grammaire, et en particulier par le contexte syntaxique. C’est pourquoi, le plus souvent, cette homomorphie apparente entre le lexème et l’unité fléchie ne s’observe pas,

cf. (2) et (4). Tandis que le lexème OKON (2a) est représentée par une séquence se terminant

par la voyelle -o, le mot-forme correspondant au locatif comporte la voyelle -u (2b). Le

lexème verbal en (4a) partage avec son mot-forme conjugué à la 3ème personne du pluriel

(4b) seulement deux consonnes -b- et -r-.

La relation entre un lexème et ses mots-formes correspondants s’explique, dans le cadre de la ML, comme suit. À un lexème est associé un certain nombre de mots-formes. Leur nombre dépend du nombre de traits flexionnels qui varient selon les catégories. On a vu dans (§1.2.2) que les noms sont fléchis en slovaque suivant 2 traits : le cas et le nombre. En conséquence, un nom slovaque est susceptible d’apparaître sous 12 formes, i.e. singulier et pluriel des 6 cas. Les adjectifs varient en contexte syntaxique également en genre, i.e. masculin, féminin et neutre. Donc à un lexème adjectival sont associés 36 mots-formes. L’ensemble des mots-formes correspondant aux verbes slovaques est encore plus important si l’on multiplie les 3 personnes du singulier et du pluriel par l’ensemble des temps et des modes etc.

On peut également observer que la forme par laquelle on représente les lexèmes en (2a)-(4a) est identique à celle que l’on trouve dans les dictionnaires. Cependant, pas plus qu’il ne se confond avec ses mots-formes, le lexème ne se confond pas avec sa forme

citationnelle. Le terme de forme citationnelle correspond à l’étiquette formelle

conventionnellement adoptée, par exemple dans les nomenclatures dictionnairiques, pour lister les unités lexicales et grammaticales d’une langue. En slovaque, la forme

citationnelle des noms coïncide avec la forme du SG-NOM (2a), celle des adjectifs avec la

forme du SG-M-NOM (3a) et les verbes sont présentés à l’infinitif (4a). Celui-ci est

identifiable par la présence de la consonne finale -ť. La représentation du lexème au moyen

La définition provisoire sous (1) permet de faire une distinction entre les lexèmes et les mots-formes mais elle ne rend pas compte du caractère multidimensionnel des lexèmes et ne donne pas une idée précise de ce qui correspond exactement au concept de lexème. En (5), je propose la seconde définition du lexème d’après Fradin (2003 : 80-106) qui complète celle en (1).

(5) Le lexème est une entité abstraite qui est privée de tout marquage flexionnel. Il

incarne une entité tridimensionnelle qui a :

(i) une représentation phonologique,

(ii) une représentation catégorielle (N, A ou V) et morphosyntaxique, et

(iii) une représentation sémantique.

Ces 3 dimensions du lexème sont indépendantes, mais comme on va le voir dans (§2.3), les opérations, suivant lesquelles on peut décomposer une règle morphologique, y ont un accès simultané. Considérons de plus près le contenu de ces 3 dimensions.

(i) La dimension phonologique réalise un espace qui liste l’ensemble des radicaux

possibles du lexème dans ses formes fléchies ou en position de base dans une construction morphologique. Le terme de radical est pris dans le sens de Stump (1995 : 261 cité par Fradin 2003 : 104). Par abus du langage, j’identifie le terme de radical avec ce qui est appelé thème par plusieurs auteurs (Bonami & Boyé 2003, 2005, Bonami, Boyé & Kerleroux 2009). Un lexème est associé à au moins un radical phonologique, mais il en a généralement plusieurs. Dans ce qui suit, je vais distinguer deux types de radicaux : les radicaux flexionnels et les radicaux constructionnels. Les radicaux flexionnels sont sélectionnés par les règles flexionnelles pour former les mots-formes du lexème. Ils sont donc considérés comme autonomes. En revanche, les radicaux constructionnels ne se réalisent que dans les lexèmes construits. De ce fait, ils sont considérés comme non-autonomes en flexion. Les radicaux d’un lexème entretiennent des relations de dépendance et constituent des paradigmes (ou des espaces thématiques), cf. Bonami & Boyé (2003), (2005) ; Bonami, Boyé & Kerleroux (2009). Ces faits vont être éclaircis dans ce qui suit, en étudiant de plus près le contenu de la dimension phonologique des lexèmes slovaques, cf. (§2.2).

(ii) La seconde rubrique comporte les informations catégorielles et les informations

morphosyntaxiques. Par exemple, pour un nom, un adjectif ou un verbe, cette rubrique renseigne sur l’appartenance du lexème à l’une des classes flexionnelles. Pour un verbe, cette dimension comporte aussi des informations sur sa structure argumentale.

(iii) La dimension sémantique comporte les informations sur la signification du lexème. Elle contient la représentation sémantique qui est associée au lexème. En particulier, cette rubrique exprime la relation de sens d’un lexème construit avec sa base.

Dans la section (§2.2), je présente plus en détail les représentations des lexèmes du slovaque suivant la définition en (5) tout en essayant de prendre en compte leurs éventuelles variations formelles, cf. (§1.2.2). Par une étude des rôles des radicaux de lexèmes notamment en flexion, je vais construire les cellules de l’espace thématique (cf. Bonami & Boyé 2003, 2005 ; Bonami, Boyé & Kerleroux 2009) pour les noms et les verbes slovaques, sans pour autant étudier les relations de dépendance entre les radicaux. Cette description morphophonologique me permettra d’appliquer les principaux fondements de la morphologie lexématique aux données du slovaque. Cependant, ma proposition d’espaces thématiques ne se veut ni définitive, ni complète. Il s’agit seulement d’une première esquisse de la description de l’organisation des radicaux des noms et des verbes slovaques. Une étude beaucoup plus complexe s’impose afin d’établir d’une manière explicite le contenu des cellules thématiques notamment pour les verbes, ce qui n’est pas mon objectif ici.