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1 Présentation du slovaque

1.3 Caractéristiques syntaxiques du slovaque

Le contenu de cette section s’organise autour de trois caractéristiques syntaxiques du slovaque, me permettant de décrire cette langue comme :

(i) une langue pro-drop,

(ii) une langue casuelle avec un ordre des mots relativement libre, et

(iii) une langue sans articles.

Le slovaque est, comme par exemple l’italien ou l’espagnol, une langue à sujet nul ou une langue pro-drop, i.e. pronoun-dropping language. L’identification du sujet de l’énoncé est réalisée en fonction de la forme morphologique du prédicat.

« The personal pronoun in the function of the subject is generally omitted; the grammatical person being evident from the form of the predicate […] the personal pronoun is used only for the sake of emphasis or to express emotion. » (Mistrík

1988 : 139).

(74) Priš-iel dnes.

arriver-FLX:3-SG-PST-M aujourd’hui

‘Il est arrivé aujourd’hui.’

(75) Oni naozaj priš-li !

ils vraiement arriver-FLX:3-PL-PST

‘Ils sont vraiment arrivés !’

L’ordre des mots en slovaque relativement libre (Meillet 1964 ; Paulíny 1981 ;

Ivanová 1994 i.a.). Le slovaque, comme toutes les autres langues européennes, est de type SVO. Dans la perspective de la grammaire transformationnelle, la constitution de la phrase combine un syntagme nominal sujet et un syntagme verbal. En français, la position pré- ou post-verbale d’un syntagme nominal dans la phrase lui confère normalement sa fonction grammaticale. En (76), le sujet (ou l’agent), i.e. un homme, précède le verbe alors que l’objet (ou le patient), i.e. une femme, le suit. L’échange de position dans la structure de la phrase des séquences une femme et un homme entraîne un changement de leurs fonctions grammaticales, et donc un changement de sens (77). Puisque l’ordre des mots contribue à identifier la valeur grammaticale des constituants de la phrase, l’inversion de cet ordre conduit donc à l’obtention d’un nouvel énoncé.

(76) Un homme embrasse une femme.

(77) Une femme embrasse un homme.

En slovaque, il n’en va pas de même. Observons les exemples suivants :

(78) Muž bozkáv-a žen-u.

homme-FLX:SG-M-NOM embrasser-FLX:3-SG-PRES femme-FLX:SG-F-ACC

‘(Un/le) homme embrasse (une/la) femme.’

(79) Žen-u bozkáv-a muž.

femme-FLX:SG-F-ACC embrasser-FLX:3-SG-PRES homme-FLX:SG-M-NOM

‘(Un/l’) homme embrasse (une/la) femme.’

La flexibilité de l’ordre des mots présentée en (78)-(79) est corrélée au caractère casuel du slovaque où le marquage flexionnel du nom permet de distinguer morphologiquement le sujet de l’objet. L’agent, e.g. muž ‘homme’, apparaît toujours au nominatif alors que le patient, e.g. ženu ‘femme’, est à l’accusatif. La valeur flexionnelle autorise au nom en position d’objet à être placé en tête de la phrase (79). Les langues casuelles, contrairement aux langues sans cas, ont toutes cette liberté de l’ordre des mots. Cependant, comme le signale Mistrík (1988), la position des constituants de la phrase en

slovaque n’est pas arbitraire, et il n’est pas possible de placer les mots d’une phrase où on veut :

« The word-order in Slovak is not arbitrary, the words in the sentence cannot be placed anywhere. » (Mistrík 1988 : 132).

Par exemple, les prépositions sont placées toujours devant les syntagmes nominaux qu’elles régissent (80a) et les adjectifs sont antéposés aux noms qu’ils modifient (81a). Cet ordre peut être enfreint dans certaines expressions figées où l’adjectif est placé après le Nr (82). Tandis que l’ordre inversant la position de la préposition conduit à des syntagmes agrammaticaux (80b), il n’en va pas de même pour le déplacement de l’adjectif. Les ordres en (81b)-(82b) ne sont pas naturels, mais ils ne sont pas interdits.

(80a) v mest-e

dans ville-FLX:SG-NEU-LOC

‘en ville’

(80b) *mest-e v

ville-FLX:SG-NEU-LOC dans

‘en ville’

(81a) bratislav-sk-ý maratón

Bratislava-AZR-FLX:SG-M-NOM marathon-FLX:SG-M-NOM

‘marathon de Bratislava’

(81b) ?maratón bratislav-sk-ý

marathon-FLX:SG-M-NOM Bratislava-AZR-FLX:SG-M-NOM

‘marathon de Bratislava’

(82a) lip-a mal-o-list-á

tilleul-FLX:SG-F-NOM petit-LNK-feuille-FLX:SG-F-NOM

‘tilleul à petites feuilles (Lat. Tilia cordata)’

(82b) ?mal-o-list-á lip-a

petit-LNK-feuille-FLX:SG-F-NOM tilleul-FLX:SG-F-NOM

la lecture, les exemples (76) et (78) sont rappelés sous (83)-(84) ci-dessous. Les articles définis, indéfinis et partitifs sont inexistants en slovaque. Lorsqu’il n’est pas possible d’accéder au contexte gauche, l’énoncé slovaque (84) peut être intérprété par 4 manières différentes. Celles-ci sont illustrées en (84a)-(84d).

.

(83) Un homme embrasse une femme.

(84) Muž bozkáv-a žen-u.

homme-FLX:SG-M-NOM embrasser-FLX:3-SG-PRES femme-FLX:SG-F-ACC

a. ‘Un homme embrasse une femme.’ b. ‘L’homme embrasse la femme.’ c. ‘Un homme embrasse la femme.’ d. ‘L’homme embrasse une femme.’

Lorsqu’il s’avère nécessaire de marquer l’indéfinitude et la définitude d’un syntagme, par exemple en l’absence de la contrainte qui viendrait du contexte ou de connaissances pragmatiques, le slovaque recourt à d’autres moyens. Par exemple, l’indéfinitude peut être marquée par un adjectif indéfini, e.g. NEJAKÝDét ‘quelque’, et la

définitude par un déterminant démonstratif, e.g. TENDét ‘ce’. En (85), nejaký ‘quelque’ qui

précède le nom pes ‘chien’ sert à indiquer que le référent de ce nom vient d’être est introduit dans le discours. En (86), ten force l’interprétation définie de pes ‘chien’ alors

que mačku ‘chat’, privé de déterminant, s’interprète soit comme défini, soit comme

indéfini.

(85) Priš-iel nejak-ý pes.

arriver-FLX:3-SG-M-PST quelque-FLX:SG-M-NOM chien-FLX:SG-M-NOM

‘Un chien est venu.’

(86) Ten pes napad-ol mačk-u.

ce chien-FLX:SG-M-NOM attaquer-FLX:3-SG-PST-M chat-FLX:SG-F-ACC

‘Ce chien a attaqué (le/un) chat.’

En résumé, on a pu voir que le slovaque est une langue à sujet nul qui n’emploie pas d’articles. À la place, le slovaque recourt aux adjectifs indéfinis et aux déterminants démonstratifs dont l’emploi est facultatif. Enfin, étant donné que les constituants de la phrase comportent un marquage casuel, cela leur permet un déplacement relativement libre au sein de la phrase.

1.4 Conclusion

Le slovaque est une langue slave (§1.1) qui se caractérise par un certain nombre de propriétés linguistiques affectant son système phonologique et prosodique, sa morphologie et également sa syntaxe. La morphophonologie du slovaque connaît le phénomène de palatalisation (§1.2.1). Celle-ci se manifeste par la modification de la consonne finale d’un mot quand il est sélectionné par une règle morphologique. Il s’agit d’un mécanisme très fréquent et régulier. Le slovaque est une langue casuelle (§1.2.2) qui reconnaît au moins 6 cas grammaticaux. Il existe, dans cette langue, une règle prosodique dite règle rythmique qui s’applique quasi systématiquement pour assurer l’équilibre de longueur vocalique au sein d’un mot. Le fonctionnement de la règle rythmique se reflète dans la distinction de la finale longue /i:/ vs. courte /i/ des adjectifs. En slovaque, la gradation des adjectifs, i.e. formation du comparatif et du superlatif, peut être réalisée morphologiquement.

Dérivation et composition sont des types de procédés disponibles en slovaque pour former de nouvelles unités lexicales (§1.2.3). La conversion n’est pas un procédé fréquent en slovaque. L’une des particularités des langues slaves dans le domaine verbal est le fait que la variation de la valeur aspectuelle des verbes se réalise systématiquement par le mode morphologique. Or, à la différence des adjectifs au comparatif et au superlatif, dont la formation est confiée à la morphologie flexionnelle, l’affixation aspectuelle relève de la morphologie constructionnelle. On a vu que le verbe préfixé perfectif et le verbe suffixé itératif (ou fréquentatif) se caractérise par un changement de sens. Lorsqu’un verbe est suffixé, la classe flexionnelle change aussi. Le caractère casuel du slovaque a des répercussions plus ou moins directes également dans le domaine de la syntaxe, e.g. la non-obligation d’employer les pronoms sujets et l’ordre des mots relativement libre (§1.3).

Le fonctionnement de la morphologie du slovaque va être reconsidéré, dans le chapitre suivant, dans une perspective théorique qui est la morphologie lexématique. On va voir dans quelle mesure les règles morphologiques de flexion et de construction s’appliquent sur l’unité de base qui est le lexème et comment cette approche est capable de rendre compte du phénomène de la palatalisation. Je vais également décrire la manière dont s’organise la représentation phonologique des radicaux de lexèmes. Le chapitre suivant me donne l’occasion de montrer dans quelle mesure l’existence des radicaux, organisés en paradigmes, sous forme d’une liste, est pertinente pour la description d’une unité de lexique dans l’approche que je suis dans ce travail.