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Notion d’émergence dans les systèmes auto-organisés

1.2 Auto-organisation

1.2.4 Notion d’émergence dans les systèmes auto-organisés

A la plupart des définitions et descriptions du principe d’auto-organisation ou de ses proprié-tés est souvent associé le terme d’émergence. Dans la littérature, certains auteurs constatent que l’émergence fait partie intégrale de l’auto-organisation. Tandis que d’autres notent que l’émer-gence peut exister indépendamment de l’auto-organisation et être très bien combinée avec les

propriétés propres à l’auto-organisation [WH05].

La figure 1.1illustre un système auto-organisé et ses propriétés associées de manière

non-exhaustive, ainsi que le domaine d’intersection entre les propriétés du principe de l’auto-organisation

et de l’émergence. A cette liste de propriétés spécificiée par la figure1.1, nous trouvons

éga-lement les propriétés de « micro-macro effet », « nouveauté radicale », « cohérence » et «

bi-directionnalité » [WH05]. Ces propriétés liées à l’émergence complètent celles déjà définies

comme des propriétés des systèmes auto-organisés (figure1.2). La section suivante spécifie la

notion d’émergence et détaille ses propriétés principales et les points de distinction principaux par rapport à l’auto-organisation.

1.2. Auto-organisation Complexité Dynamique Anticipabilité Autonomie Augmentation de l’ordre Adaptabilité Auto−organisation Emergence Robustesse et flexibilité Interactivité Contrôle décentralisé

Système auto−organisé

FIG. 1.1 – Propriétés partagées entre l’auto-organisation et l’émergence.

1.2.4.1 L’émergence - définition

Le dictionnaire français Hachette [HAC] définit les termes « émerger » et « émergence » de

la manière suivante :

émerger v. intr.

1. Se dégager, sortir d’un milieu après y avoir été plongé

2. ASTRO Réapparaître après avoir été occulté, en parlant d’un astre. 3. Fig. Sortir de l’ombre, apparaître plus clairement.

4. Fig., fam. Sortir du sommeil, d’une situation difficile. Avoir du mal à émerger.

émergence n. f.

1. Action d’émerger ; état de ce qui émerge. Point d’émergence d’une source :

l’en-droit par où elle sort.

2. PHYS Point d’émergence (d’un rayon lumineux). 3. ASTRO Émersion.

4. Fig. Apparition soudaine de quelque chose, arrivée au premier plan de quelqu’un.

Émergence - Un phénomène qu’on trouve dans les domaines physiques, biologiques,

éco-logiques, socio-économiques et autres systèmes dynamiques comportant des rétroactions. Elle est caractérisée par :

1. l’ensemble fait plus que la somme de ses parties. Ceci signifie qu’on ne peut pas

prédire le comportement de l’ensemble par la seule analyse de ses parties.

2. l’ensemble adopte un comportement caractérisable sur lequel la connaissance

dé-taillée de ses parties ne renseigne pas.

À partir d’un certain seuil critique de complexité, ces systèmes voient apparaître de nouvelles propriétés, dites propriétés émergentes. Celles-ci deviennent observables lors-qu’elles vont dans le sens d’une organisation nouvelle (voir aussi auto-organisation).

Le point commun entre ces définitions est qu’elles attribuent à la notion d’émergence d’un système le fait d’apparition plus ou moins spontanée et soudaine de nouvelles propriétés d’ordre supérieur d’un système.

L’émergence n’est pas une nouvelle notion. Les postulats à l’origine de l’émergence sont « le tout est plus grand que la somme de ses constituants », apparu à l’époque antique, ou encore le terme allemand « Gestalt » signifiant forme ou configuration d’éléments unifiés dans

un ensemble dont la structure ne peut pas être déduite de ses constituants. De même, nous

trouvons aussi des traces écrites de Thalès et Anaximandre des concepts d’émergence et d’auto-organisation. Ces premières notions ont servi de base pour expliquer certains phénomènes non décomposables.

La première utilisation du terme d’émergence dans le cadre des systèmes dynamiques fût

Micro−macro effet Nouveauté radicale Bidirectionnalité Cohérence Dynamique Complexité Robustesse et flexibilité

Interactivité Contrôle décentralisé

Emergence

1.2. Auto-organisation

en 1875 par le philosophe anglais G. H. Lewes [Lew75]. Il est le premier à avoir introduit le

terme « émergent » pour distinguer les « phénomènes traçables », caractérisés par une séquence d’étapes les produisant et nommés les résultants, des « phénomènes intraçables » pour lesquels il n’est pas possible d’établir les étapes les produisant et appelés les émergents. Cependant, il faut attendre le milieu du XIXe siècle pour voir apparaître un mouvement de pensée (appelé « proto-émergentisme ») autour du concept d’émergence. Les proto-émergentistes cherchaient principalement à définir l’émergence afin de distinguer et différencier les phénomènes non ex-plicables et exex-plicables grâce à des théories ou modèles. Ainsi, il en résulte une vision du pro-cessus d’émergence comme une « boîte noire » possédant des entrées bas niveaux et des sorties de plus hauts niveaux dont la relation entre ces entrées-sorties n’est pas connue.

Ce fût qu’à la deuxième moitié du XXe siècle qu’un nouveau mouvement de pensée

(ap-pelé « néo-émergentisme ») commence à explorer cette boîte noire [Gol99]. Il en résulte de

nouvelles recherches sur le principe d’émergence, liées à la théorie de la complexité et pre-nant racines dans les approches de la dynamique des systèmes en physique, en mathématiques et en informatique. La diversité d’approches sur lesquelles les nouvelles recherches se sont basées a permis la création de plusieurs écoles de recherche du principe d’émergence en

paral-lèle [Hol98,New96,Hak84,Nic89]. De l’ensemble de ces travaux, des premières définitions de

la notion d’émergence ont pu être élaborées et caractérisées.

Une définition courante et élaborée de la notion d’émergence est donnée par Goldstein [Gol99].

Il définit l’émergence comme un phénomène d’apparition de structures originales et cohérentes, de modèles et de propriétés du processus d’auto-organisation dans les systèmes complexes. Ici l’émergence est un processus dynamique à un niveau global du système (macro level), issu des composantes et des processus de micro-niveau dont les interactions mutuelles locales le font surgir. Il attribue également au principe de l’émergence les propriétés de « nouveauté radicale », « cohérence », « corrélation », « dynamique » dont les significations sont détaillées dans la sec-tion suivante.

1.2.4.2 Propriétés propres à l’émergence

Plutôt que de prétendre donner une définition exacte et exhaustive de l’émergence, nous donnons, à partir de définitions tirées de la littérature, les particularités qui nous semblent fon-damentales pour cerner de façon précise la notion d’émergence :

– L’effet micro-macro. C’est la caractéristique la plus importante de l’émergence et la plus

citée explicitement dans la littérature [Gol99,Hey89,Hey03,Ode02a,Par01,Ode02b]. La

signification qui lui est attribuée est relative à des propriétés, comportements, structures ou des modes de fonctionnement d’un système qui apparaissent soudainement au niveau global (le plus haut niveau d’observation - macro-level), comme le résultat d’interactions des constituants du système au niveau local (le plus bas niveau - micro-level). Autrement

dit, le comportement global du système émerge des interactions de ses constituants et apparaît « soudainement » au premier plan tout en « cachant » les comportements locaux de ses constituants.

– « Nouveauté radicale » (radical novelty). L’émergence est caractérisée par l’appari-tion d’une nouveauté (propriétés, structures, formes ou foncl’appari-tions) ne pouvant pas être décrite, expliquée ou prédite à partir des conditions de base définies aux niveaux

infé-rieurs [VdV97]. Cette caractéristique de l’émergence est souvent appelée la nouveauté

radicale, étant donné que le comportement du système n’est pas explicitement décrit par

ses constituants. Cela provient directement de la définition de l’émergence de Goldstein [Gol99].

– La cohérence (coherence). C’est une caractéristique qui se rapporte à la corrélation

lo-gique et cohérente de tous les constituants du système [Gol99, Ode02b]. Les émergents

du système (les parties intraçables) étant produits comme des résultats de fortes interac-tions du système, font également partie du système, aussi bien que les constituants dont les interactions les font apparaître. Ces parties émergentes, manifestées à travers un com-portement nouveau et radical du système ( en particulier d’un niveau macro), doivent être corrélées avec les constituants du système caractérisés par des comportements bien définis afin de préserver un sens logique dans le comportement global du système. Le comportement global d’un système ne peut pas être présenté comme la somme des com-portements de tous ses constituants. Autrement dit, la cohérence met en corrélation les comportements des constituants du système avec le comportement global du système. Les composants de plus bas niveaux avec les composants de plus haut niveau. Cette

pro-priété est aussi appelée la fermeture organisationnelle (organisational closure) [Hey03].

– L’interactivité (interactivity). Dans la plupart des définitions de la notion d’émergence, un

des mots clé relatif à cette propriété est l’interactivité des constituants du système [Gol99,

Hol98]. Sans interactions entre les constituants d’un système il n’y a pas d’émergence.

Pour faire apparaître des propriétés émergentes d’un système, ses constituants doivent in-teragir (plus ou moins) entre eux. En effet, la simple juxtaposition de constituants (fonc-tionnement des constituants indépendamment les uns des autres) ne suffit pas. De plus, les propriétés de micro-macro effet et de la nouveauté radicale représentent la conséquence

directe des fortes interactions des constituants du système [Cru94].

– La dynamique (dynamic). Cette propriété caractérise l’émergence comme un processus

dynamique évoluant dans le temps [Cru94,Ode02b,Ode02a]. Les émergents (les parties

émergentes d’un système) apparaissent à un moment donné comme le résultat des inter-actions des constituants du système. Ces émergents qui redonnent un nouveau sens au comportement global du système (c’est-à-dire une nouveauté dans le comportement par rapport à l’état précédent du système) ne surgissent pas aussitôt que le système se met

1.2. Auto-organisation

en marche. Il faut attendre que le degré d’interactivité, le degré d’échange d’informa-tions entre les constituants du système atteigne un seuil suffisant pour faire apparaître les nouvelles formes de comportements du système. Cette évolution de comportement d’un système est caractérisée par la propriété de dynamique d’un système.

– Le contrôle décentralisé. La propriété de contrôle décentralisé est associée à l’émergence. La totalité du contrôle d’un système est répartie et délocalisée dans ses constituants. Ce type de contrôle est basé seulement sur les mécanismes locaux. Aucune partie du sys-tème n’est chargée explicitement du contrôle global du syssys-tème. Toutes les actions des constituant du système sont donc contrôlables, tandis que le comportement global du

sys-tème ne l’est pas [WH05]. Ainsi, en distribuant le contrôle, afin de compenser le manque

de contrôle centralisé le degré d’interactivité de constituants du système augmente cela favorisant l’apparition des propriétés émergentes.

– La bidirectionnalité (Two-way link). Les parties émergentes d’un système étant en rap-port étroit avec les constituants les faisant surgir sont reliées à ces derniers d’une manière bidirectionnelle. Cela signifie que non seulement les constituants de bas niveau d’un sys-tème (micro level parts) influencent les parties émergentes (macro level parts) mais éga-lement les parties émergentes agissent dans l’autre sens. Les parties émergentes ont des effets causaux sur les parties de bas niveau. A titre d’exemple, nous pouvons citer la for-mation de chemin chez les fourmis. Le chemin créé par un groupe de fourmis présente la partie émergente (le niveau macro), qui influence le mouvement des fourmis au niveau

micro parce que les fourmis sont guidées par les phéromones.

– La robustesse et la flexibilité. Le fait qu’un système soit doté de contrôle décentra-lisé et qu’aucun de ses constituants ne représente un comportement global du système,

laisse supposer qu’aucun de ses constituants ne présente un point de défaillance [Ode02b,

Ode02a]. La défaillance d’un élément constituant le système ne provoquera pas sa

dé-faillance complète. Bien évidemment, elle entraînera une perte de performances du sys-tème, sa dégradation fonctionnelle graduelle mais en aucun cas la qualité des sorties du système ne sera soudainement détériorée. Cette flexibilité rend le système robuste par substitution de ses constituants tout en gardant les structures émergentes.