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Note d’intention d’écriture

Dans le document Demande d aide avant réalisation (Page 35-39)

Le conte originel

« Le Prince Serpent » est à l’origine un conte de tradition orale, dont l’auteur et l’époque restent inconnus.

Il en existe plusieurs versions, essentiellement jouées sur scène par quelques conteurs. L’action se déroule au Moyen-Age, et met en scène une Reine dont le fils est un Serpent qui lui réclame une épouse. La Reine trouvera une pauvre femme dans une chaumière et la convaincra de lui vendre tour à tour ses trois filles.

Les deux premières, fières et hautaines, seront dévorées par le monstre. La troisième parviendra à déjouer la malédiction grâce à l’astuce des trois robes. Le Serpent se métamorphosera alors en beau Prince, et le couple s’unira pour vivre dès lors un amour éternel.

La transposition en Mésopotamie

A l’écoute de ce conte, notamment de la version enregistrée de Michel Hindenoch (Oui-Dire Editions), nous avons tout de suite été séduits par différents ingrédients qui se dégageaient de ce récit : la nature du Prince Serpent qui fascine et terrifie à la fois, une certaine cruauté qui fait souvent la force des contes, la symbolique des robes face à la mue du reptile, et enfin une simplicité dans la narration, avec un procédé répétitif qui nous entraîne dans une sorte de spirale lancinante et infernale, comme si nous étions nous-mêmes bercés par les mouvements d’un serpent implacable.

Nous avons vu dans ces différents éléments une matière fort prometteuse pour réaliser un film d’animation, et raconter une histoire prenante pour les publics de tous âges. Restaient toutefois, selon nous, quelques

«clichés » dans le conte d’origine, dont nous avons rapidement souhaité nous défaire. L’univers moyenâgeux d’abord, avec ses princes, ses reines, ses châteaux, ses paysannes, qui constituaient un registre trop

conventionnel à notre goût. Quelques ressorts narratifs ensuite, avec notamment la fin convenue de l’apparition du Prince charmant.

Nous avons alors cherché dans quel milieu et quelle époque nous pouvions transposer ce conte. Rapidement, l’univers de la Mésopotamie nous est apparu très intéressant. Un monde mystérieux, fait de mythologie, de dieux, de héros, de monstres. Une culture et une architecture fascinantes, berceaux de l’écriture et de la civilisation. Un univers assez peu utilisé au cinéma, qu’il nous a paru soudain excitant de faire renaître, à notre façon, dans un court-métrage d’animation.

Le travail a alors consisté à voir comment ce conte pouvait s’intégrer dans la culture Sumérienne ou Babylonienne, afin que la transposition ne se résume pas à changer uniquement de décor et d’époque.

Plusieurs écrits sur les coutumes et croyances en Mésopotamie ont retenu notre attention. Ils mentionnaient, et décrivaient sur la base de traductions de tablettes Sumériennes, le rituel du «Mariage sacré», qui se déroulait à priori chaque nouvel an, et avait pour but d’honorer la déesse Ishtar, et d’assurer, par un acte symbolique, la fécondité pour l’année à venir.

Ce rituel consistait en une union charnelle entre le Roi et une autre femme censée incarner la déesse, et était l’occasion d’une grande fête, avec chants, danses, festin... L’identité de ces femmes reste inconnue, mais certains spécialistes mentionnent l’existence, à l’époque, de «prostituées sacrées», genre de prêtresses qui auraient pu jouer ce rôle. Ces femmes auraient vécu dans des temples, et auraient pratiqué plusieurs coutumes liées à l’amour et la sexualité, dans une dimension avant tout religieuse. L’existence de ces femmes n’est pas avérée formellement, mais certains mentionnent que ces «prostituées sacrées» auraient même eu une hiérarchie, avec trois rangs Entu, Naditu et Qadishtu... Tous ces éléments, fort insolites et originaux à nos yeux (qu’ils soient réels ou non), nous donnaient soudain la clé pour adapter le Prince Serpent en Mésopotamie : les mariages voulus par le Prince seraient des rituels sacrés, les jeunes femmes ne seraient pas de simples paysannes achetées à leur mère, mais des prêtresses dévouées corps et âme à la déesse, et les trois sœurs du conte original seraient ici trois femmes de rang hiérarchique différent, avec, pour la troisième, un statut d’esclave...

Concernant l’écriture et l’adaptation, plusieurs aspects nous tiennent à cœur dans ce projet.

La répétition

L’aspect répétitif des choses, où le rituel se renouvèle trois fois, de façon quasi inexorable, avec une montée en tension, une progression dramatique, constitue un élément clé de ce récit. La répétition est souvent une caractéristique des contes, et c’est le cas particulièrement pour celui-ci. Nous avons voulu conserver, et même intensifier cette répétition, car elle permet une simplicité de la narration, et fait entrer le spectateur dans une sorte de piège infernal dans lequel l’enjeu devient rapidement : «Comment s’en sortir ?». Ainsi, les scènes se répètent et se ressemblent, avec à chaque fois de petites variantes pour créer une évolution, une progression, et, si possible, susciter en permanence l’intérêt du spectateur... Nous avons conscience que cette répétition est une des difficultés principales pour réaliser le film. Il ne faut pas lasser, ni étirer inutilement le récit. Mais nous sommes convaincus que c’est là aussi que réside la force de l’histoire. C’est dans cette répétition que le film trouvera son socle narratif et symbolique : l’appétit insatiable du serpent qui crée un danger et une cruauté croissante, les dialogues des personnages où les paroles se répondent comme des couplets, les prêtresses que l’on sacrifie une à une, le rituel qui se répète sans qu’on sache l’arrêter, enfin et surtout le rôle de la troisième femme, dont on sent bien que ça sera différent avec elle, mais «comment ?»...

Tout cela, nous l’espérons, contribuera à entraîner le spectateur dans un univers hypnotique et envoûtant...

Le mystère

L’origine du mal n’est pas expliquée dans le conte. Le Prince Serpent est né ainsi. Est-ce une malédiction ? Une punition ? Un accident ? Nul ne le sait... Nous avons souhaité conserver cette part d’ombre, pour ne pas charger le film d’explications secondaires, finalement peu utiles au récit, et pour renforcer la dimension mystérieuse de la créature. Ce non-dit entretient aussi un élément essentiel à nos yeux : l’ambiguïté dans la relation Mère/Fils. Cette relation reste trouble : la Reine aime-t-elle son fils ? En a-t-elle peur ? Quel passé les unit ?... Tout cela reste mystérieux dans leurs échanges, que nous souhaitons avant tout axés sur l’enjeu principal : les exigences du Prince Serpent, et le destin des femmes sacrées. Tout cela contribuera, nous l’espérons, à créer un climat étrange, d’autant plus troublant que certains éléments restent impénétrables...

Les dialogues

Un choix a été fait rapidement concernant l’adaptation de ce conte, choix qui tranche avec nos précédents films issus de contes («Mille-pattes et crapaud», «Celui qui a deux âmes») : ne pas utiliser de voix off.

En effet, beaucoup d’aspects de l’histoire passent par le dialogue entre les personnages, notamment la Reine et le Prince Serpent. Ce que disent les personnages est important, aussi bien dans le propos et les enjeux de l’histoire, que dans une certaine forme de poésie, de mots qui se répètent. Une voix off aurait parasité cette dimension orale des protagonistes.

Ainsi, il nous paraît intéressant de ne pas adopter de point de vue extérieur, mais de mettre immédiatement le spectateur «en situation». Les dialogues sont essentiels dans la mesure où ce sont surtout les face à face avec le Prince Serpent qui engendrent crainte et fascination. Ces «confrontations» entre l’humain (ici la Reine, les prêtresses) et le monstre sont d’autant plus marquantes dans notre inconscient collectif que c’est souvent la parole qui, dans les contes ou les mythologies, permet de tenir tête, de vaincre la créature ou de déjouer une malédiction. Le dialogue des personnages est donc la seule arme efficace qu’ils peuvent brandir, et où chaque mot peut avoir des effets décisifs.

Autre élément qui nous mène à privilégier les dialogues : la voix du Prince Serpent. Nous souhaitons une voix délicate, indéfinissable, presque androgyne. A travers elle, la personnalité de la créature restera mystérieuse tout au long du film.

La fin

Initialement, nous souhaitions une fin qui puisse à la fois «résoudre» la transformation du Prince Serpent (et donc montre de façon explicite ce qu’il devient) tout en restant, si possible, inattendue et ouverte. Nous ne souhaitons pas conserver la fin d’origine du conte, à savoir la «bête» qui se transforme en beau prince charmant. Terminer sur le monstre qui donne naissance à un jeune homme, qui forme dès lors un couple éternellement amoureux avec la belle servante, nous paraît trop conventionnel.

Nous ne respectons pas ici, à la lettre, le conte d’origine, ni peut-être sa signification première. Nous assumons ce choix, car nous pensons en même temps ne pas trahir totalement l’esprit du conte. Notre volonté est simplement de décaler un peu le curseur, en recentrant le regard et l’émotion sur le rapport mère/

fils.

En ce sens, l’idée de l’enfant nous est venue assez naturellement. Cette fin permet d’utiliser la figure humaine masculine, tout en s’écartant du cliché «prince charmant». Plutôt qu’un amant pour Tahirih, c’est un fils qui réapparaît pour la Reine. Cet épilogue nous paraît à la fois insolite et poétique, car non seulement il «redistribue les cartes» en installant une nouvelle naissance, mais il ouvre également sur d’autres interprétations possibles.

Que cette fin puisse soulever des questions, qu’elle soit perçue différemment selon les sensibilités du public, constitue pour nous un atout...

Dans le document Demande d aide avant réalisation (Page 35-39)

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