• Aucun résultat trouvé

PARTIE II COMMENT APPREHENDER LA SANTÉ CHEZ LES MOLLUSQUES MARINS ?

3. Objectiver la santé biologique et énoncer la question de recherche

3.2. De la normalité à la théorie des valeurs de référence

Chez l’être humain et de nombreux animaux, des valeurs « normales » de biomarqueurs ont été proposées ; celles-ci ont été déterminées en réalisant des mesures ou des observations chez des échantillons de populations réputées en « bonne santé », la sélection rigoureuse de ces populations et échantillons constituant un enjeu majeur. Cette démarche a longtemps reposé sur le préconçu qu’un être vivant est en « bonne santé » quand il est dans la « norme », ou exprimé autrement, que ses valeurs de biomarqueur s’inscrivent dans la distribution de valeurs du biomarqueur obtenues chez une population en « bonne santé », distribution qui pourrait prendre la forme d’une loi normale.

Figure 4. Distributions supposées des valeurs d’un biomarqueur chez une population «en bonne santé » et chez une population « en mauvaise santé » (d’après Siest et al. 1981)

Est aussi sous-jacente l’idée que des êtres vivants sont en « bonne santé » quand ils sont capables de maintenir leurs variables biologiques dans une frange de valeurs, un intervalle où leur fonctionnement tend vers l’optimal. En dehors de cet intervalle, il serait possible d’être en « mauvaise santé ». Le lien entre homéostasie et santé est donc relevé chez l’être humain et certains animaux. Mais qu’en est-il chez des animaux considérés comme conformes pour certaines de leurs fonctions physiologiques ? Existe-t-il une seule distribution chez les populations « en bonne santé » et une seule distribution chez les populations en « mauvaise santé » ou « en réalité un recouvrement des distributions des sujets sains et des distributions des sujets malades » (Siest et al. 1981) ?

Dans the theory of reference values : an unfinished symphony, Siest et al. (2013) exposent les différentes étapes qui ont conduit à faire évoluer la terminologie des valeurs « normales » ou usuelles, parfois nommées constantes médicales, pour préférer celles de valeurs de référence et d’intervalles de référence, introduites pour la première fois en 1969 (Gräsbeck et Saris 1969). Y sont également présentées les implications des différentes organisations nationales et internationales représentatives des laboratoires d’analyses et des cliniciens, qui ont contribué à standardiser les approches pour la détermination d’intervalles de référence, leur validation et le cas échéant leur transfert à d’autres structures.

19

Ces informations sont regroupées sous forme de recommandations dans deux principaux documents, l’un dédié à l’être humain, régulièrement mis à jour (CLSI 2008), l’autre aux animaux (ASVCP-QALS 2011). Dans l’importante littérature scientifique qui a trait aux valeurs et intervalles de référence, il convient de citer deux publications qui ont servi de base de réflexion à la présente thèse : une revue sur le sujet des valeurs de référence (Geffré et al. 2009) et un recueil de recommandations sur la détermination de novo d’intervalles de référence chez les animaux (Friedrichs et al. 2012).

Pour appliquer cette théorie à la santé des mollusques marins, il convient de préciser les termes qui lui sont associés (figure 5).

Figure 5. Relations entre les termes liés aux valeurs de référence (d’après CLSI 2008)

Les individus de référence sont les individus « en bonne santé » pouvant être sélectionnés pour une étude de détermination d’intervalle de référence. Le concept de santé étant relatif, c’est par l’application de critères d’inclusion et d’exclusion bien définis, que l’expérimentateur s’assure de l’emploi d’individus présumés en « bonne santé ».

L’ensemble des individus de référence constitue la population de référence.

Un groupe échantillon de référence est sélectionné parmi la population de référence. La taille de l’échantillon doit permettre l’application des tests statistiques.

La valeur de référence (RV) est la valeur mesurée ou observée d’un paramètre d’intérêt, par exemple un biomarqueur, chez un individu de référence. L’ensemble des RV constitue la

20

Les limites de référence sont des valeurs issues de l’analyse statistique de la distribution de référence et constituent les bornes de l’intervalle de référence. Une valeur de référence qui représente une valeur déterminée chez un individu de référence, n’est pas synonyme à une limite de référence, qui est une valeur dérivant de tous les résultats obtenus dans le groupe échantillon de référence.

L’intervalle de référence (RI) contient seulement une fraction des valeurs mesurées chez les individus de référence, la fraction centrale correspondant généralement à 95% des valeurs de la distribution comprise entre les fractiles 0,025 et 0,975 (Solberg 1987). Puisque l’étude s’appuie sur l’utilisation d’individus réputés « en bonne santé », 5% des individus en « bonne santé » ont des valeurs mesurées ou observées en dehors des limites de référence. En d’autres termes, il est tout à fait possible d’obtenir des valeurs en dehors de l’intervalle de référence chez des individus « en bonne santé », mais cela doit être peu fréquent.

Comme les références limites sont déterminées sur un échantillon de la population, il ne s’agit pas de vraies limites, mais de limites estimées. L’intervalle de confiance d’une limite

de référence (CI) indique l’imprécision de cette estimation sur la limite considérée (figure 6).

Cette estimation dépend de la taille de l’échantillon.

Figure 6. Représentation schématique d’une distribution de référence, d’un intervalle de référence, des limites de références et des intervalles de confiances (CI) des limites (d’après Geffré et al. 2009)

Déterminer des valeurs, distribution, limites et intervalle de référence est une première étape. Il est important de souligner qu’il s’agit d’informations descriptives d’un biomarqueur de santé dans une population de référence présumée saine. En particulier, les limites de référence ne sont pas des limites qui peuvent être transposées d’emblée dans une autre population à statut indéterminé et permettre de trancher entre « bonne » et « mauvaise santé » chez les individus de cette nouvelle population et adopter directement une décision médicale.

21

Dans une seconde étape, ces données descriptives peuvent être employées, principalement dans deux types d’approches (Siest et al. 1981) :

- la comparaison de RV entre elles (comparaison de valeurs obtenues chez des populations saines mais différentes pour d’autres caractéristiques, étude des variations d’intervalles de référence sur une population étudiée sur le long terme, transfert d’intervalles de référence entre laboratoires d’analyses, choix des examens en classant les examens selon leur pouvoir discriminant, comparaison des méthodes et appareils et définition de la variabilité analytique permise, utilisation pour l’étude d’effets de médicament…),

- la comparaison d’une valeur observée2 à des RV (chez un individu supposé sain :

dépistage d’une affection non décelable cliniquement, classification dans un groupe à risques, probabilité d’apparition d’une maladie, exploration dynamique, comparaison de bilans successifs à intervalles réguliers ; chez un individu reconnu malade par une autre approche (diagnostic de laboratoire ou examen clinique par exemple) : surveillance de l’évolution d’une maladie, suivi des effets d’un traitement...).

Nous n’avons jusqu’à présent considéré qu’un biomarqueur isolément. Mais pour appréhender la santé, le raisonnement peut être réalisé sur plusieurs d’entre eux. La santé est un tout global et la variation d’un biomarqueur isolé ne peut pas être interprétée séparément.