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Chapitre 1- Etat de l’art

4 Noccaea caerulescens , un modèle écologique plastique

(ii) sélectionner le meilleur modèle qui approxime au mieux les données observées sur la base de variables statistiques choisies par l’utilisateur comme les indices de diversité génétique (richesse allélique, hétérozygotie attendue), les Fst entre paires de populations ou encore un estimateur de réduction des tailles efficaces (indice MGW),

(iii) estimer les paramètres démographiques a postériori par régression linéaire locale. Actuellement, les approches ABC ont été plutôt utilisées pour l’étude des invasions biologiques (Pascual et al. 2007; Guillemaud et al. 2009) mais leur utilisation pour décrire l’histoire démographique des espèces végétales est prometteuse (François et al. 2008; Roux et al. 2011).

4 Noccaea caerulescens, un modèle écologique plastique.

4.1 Une systématique complexe: de Thlaspi à Noccaea.

Le genre Thlaspi (Brassicacée) comprend plus de 80 espèces réparties dans toute l’Europe (Al-Shehbaz, 1986). De même que pour la famille, la classification du genre se fait essentiellement sur la base de la morphologie des fruits et des graines (Schulz, 1936 dans (Beilstein et al. 2006). Ces caractères peuvent être labiles, ce qui amène à confondre homologie et homoplasie. Cela a conduit à la création de groupes polyphylétiques sur la base de ressemblances morphologiques sans préjuger de réels liens génétiques entre les espèces au sein de ces groupes (Mummenhoff et al. 1997; Koch et Mummenhoff 2001).

(Meyer 1979) fut le premier à remettre en cause la classification du genre Thlaspi et proposa de séparer ce groupe en 12 genres dont Noccaea. En 2004, (Koch et Al-Shehbaz 2004) étudient la phylogénie du genre Thlaspi présent en Amérique du Nord. Leur étude porte sur les liens de parenté avec les populations européennes et se base sur un typage moléculaire de deux régions génomiques : ITS (région du génome nucléaire codant pour les sous-unités

44 ribosomiques) et trnL-trnF (région du génome plastidial). Les auteurs montrent alors que le genre européen Thlaspi est monophylétique et qu’il doit être assigné au genre Noccaea. Néanmoins, cette classification ne fut prise en compte qu’au milieu des années 2000 (Koch et al. 2001, 2013).

Au sein du genre Noccaea, la nomenclature et la taxonomie de l’espèce N. caerulescens

furent également remise en cause. L’espèce fut dénommée successivement: T. sylvestre

Jordan, T. occitanum Jordan, T. virens Jordan et T. montanum L. subsp. Alpestre Bonnier & Layens. Enfin, le taxon a également été divisé en deux sous-espèces, T. caerulescens ssp. caerulescens et T. caerulescens ssp. calaminare selon leur provenance édaphique à savoir respectivement les sols non métallifères et les sols métallifères calaminaires. Avec l’émergence du typage moléculaire, la génétique des populations permet de mettre en exergue les relations de parenté entre les populations. Koch et al. (1998) utilisent pour la première fois des marqueurs moléculaires chez cette espèce pour déterminer la structuration des populations grâce à des isozymes et tester la séparation entre les sous espèces. Les auteurs mettent alors en évidence l’absence de différences génétiques entre les sous-espèces citées plus haut. Leurs résultats sont confirmés par une étude similaire portant sur les allozymes (Dubois et al. 2003). Avec la révision systématique et sur l’absence de différenciation morphologique, certains auteurs proposent d’abandonner les sous-espèces ssp calaminare et ssp caerulescens en lien avec la composante des sols. La taxonomie proposée et recommandée par Meyer (2006), et reprise par (Koch et al. 2013), est la suivante : N. caerulescens subsp. caerulescens pour les stations d’Europe de l’Est et les stations ayant récemment colonisé la Scandinavie et Noccaea caerulescens subsp. sylvestris pour les stations d’Europe de l’Ouest ainsi que les stations de Grande-Bretagne.

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4.2 Ecologie de Noccaea caerulescens

Noccaea caerulescens (J. & C. Presl) F. K. Mey. est une Brassicaceae alpine ou subalpine, annuelle, bisannuelle à pérennante dont la période de floraison s’étend d’avril à juin (Dechamps et al. 2011). La plante produit plusieurs longs racèmes. Les fruits sont des silicules contenant jusqu’à six à huit graines. Elle est naturellement présente sur une partie de l’Europe et des populations furent introduites et naturalisées en Scandinavie et au Royaume-Uni (Tutin et al. 1993; Ernst 2006). Les populations de N. caerulescens se distribuent sur un gradient altitudinal allant de 60m pour la population d’Angleur en Belgique (Dechamps et al.

2008b) à plus de 1 500 m d’altitude pour des populations du Massif Alpin Suisse (Besnard et al. 2009). Les stations sont préférentiellement exposées du sud-est au sud-ouest (Molitor et al.

2005). En Europe de l’Ouest, la majorité des populations de N. caerulescens se trouve au niveau de six massifs montagneux : le Massif des Ardennes, le Massif Alpin, le Massif Central, le Jura, le Massif des Pyrénées et le Massif Vosgien (Reeves et al. 2001).

4.3 Système de reproduction

Le régime de reproduction est protogyne c’est-à-dire que la réceptivité du stigmate précède la déhiscence des anthères et la libération du pollen, ce qui favorise l’allogamie. Néanmoins, il n’existe pas de système d’auto-incompatibilité, ce qui rend l’autogamie possible (Riley, 1956). Le pollen est trop lourd pour être dispersé par le vent. La pollinisation serait entomophile (Riley, 1956). En se basant sur des marqueurs moléculaires et le ratio pollen/ovule - autre indicateur du système de reproduction (Cruden, 1977)- (Dubois et al.

2003) montrent une forte proportion de petites populations autogames. De même, (Antonovics 1968) prédisait un plus fort taux d'autofécondation chez les populations adaptées à des conditions extrêmes, comme les milieux à fortes teneurs en éléments en traces. Ainsi,

Noccaea caerulescens possèderait un système de reproduction mixte allant de l’autogamie stricte à l’allogamie selon les populations (Dubois et al. 2003; Besnard et al. 2009). Ce

46 régime de reproduction mixte a pour avantages une assurance de reproduction, la purge des allèles délétères dans les petites populations et de limiter l’effet de la dépression de consanguinité lors d’une reproduction allogame (Goodwillie et al. 2005).

4.4 Variation de l’hyperaccumulation en éléments en traces…

4.4.1 … in situ

La découverte de l’hyperaccumulation du Zn chez N. caerulescens date de 1865 (Baumann dans (Krämer 2010). L’exploration des concentrations foliaires en milieux métallifères -principalement des anciennes exploitations minières ou fonderies (Reeves et al. 2001;

Schmitt-Sirguey 2004)- met en évidence que les populations de N. caerulescens

hyperaccumulent Cd et Zn à des valeurs très élevées au niveaux de ces stations. Deux principales études ont exploré les stations non métallifères in situ : l’une au Luxembourg et l’autre en Suisse (Molitor et al. 2005; Basic et al. 2006b). Dans la moitié des populations suisses, les concentrations en Cd foliaire dépassent le seuil conventionnel d’hyperaccumulation de 100 mg kg-1. Dans les populations luxembourgeoises, les concentrations en Zn varient de 3 000 à 13 000 mg kg-1. Ainsi, quatre des treize populations étudiées dépassent le seuil de 10 000 mg kg-1 mais si l’on considère le nouveau seuil proposé par (Krämer 2010; Van der Ent et al. 2013), l’ensemble des populations sont hyperaccumulatrices de Zn. Les concentrations en Cd varient quant à elles de 11 à 44 mg kg-1 ce qui représente des valeurs élevées étant donné la faible disponibilité de cet élément dans les sols (Molitor et al. 2005). Concernant l’hyperaccumulation du Ni, elle est retrouvée exclusivement dans les stations métallifères sur serpentines (Reeves et al. 2001; Schmitt-Sirguey 2004; Chardot 2007). Ainsi, l’hyperaccumulation en ces trois éléments correspond majoritairement aux stations où ils sont les plus concentrés dans les sols.

Si toutes ces études mettent en évidence une forte variabilité des concentrations en éléments en traces dans les sols et les plantes, leur comparaison reste complexe du fait que les

47 méthodes de dosage des éléments en traces dans les sols varient fortement et renseignent des pools différents à savoir : la fraction échangeable (CaCl2 0,01 M ; Schmitt-Sirguey, 2004), la fraction complexée (EDTA 1 N à pH 4.65 ; Molitor et al., 2005 ou DTPA-TEA à pH 7,3 ; Chardot et al., 2007) et la fraction pseudo-totale (HNO3 2M ; Basic et al., 2006a). De ce fait, il est difficile de conclure sur l’effet de la disponibilité des éléments en traces dans les sols sur leur accumulation par N. caerulescens en conditions naturelles. Dans leurs travaux, (Assunção

et al. 2003) présentent des résultats comprenant les trois milieux mais représentés uniquement par une ou deux populations, ce qui ne permet pas une généralisation des données à l’échelle de l’espèce. Actuellement, il n’existe pas de publications comprenant à la fois le dosage des concentrations foliaires et échangeables dans les sols et un nombre conséquent de populations issues des trois milieux (Pollard et al. 2014).

4.4.2 … en conditions contrôlées

Afin de comparer les capacités d’(hyper)tolérance et d’(hyper)accumulation chez N. caerulescens et de s’affranchir de la variabilité environnementale, de nombreuses cultures en conditions contrôlées ont été réalisées depuis une quinzaine d’années (Meerts et Van Isacker 1997; Frérot et al. 2003; Perronnet et al. 2003; Assunção et al. 2003; Saison et al. 2004; Dechamps et al. 2005; Keller et al. 2006; Escarré et al. 2013). Sur l’ensemble de ces travaux, plusieurs caractéristiques communes ressortent. Ainsi, l’accumulation du Zn est plus élevée chez les populations non-métallicoles que les populations métallicoles calaminaires. A l’inverse, les populations calaminaires accumulent plus de Cd à l’exception des populations calaminaires belges en comparaison des populations luxembourgeoises (Dechamps et al.

2005). Le niveau de concentrations foliaires dépend alors des concentrations d’exposition mais également des ratios entre éléments dans la solution (Assuncão et al. 2008). Enfin, l’interaction avec les autres éléments, notamment les majeurs, et la production de biomasse a été peu explorée.

48 4.4.3 … pour la phytoextraction.

En vue de la phytoremédiation des sols contaminés, les fortes capacités d’accumulation rencontrées in situ font que N. caerulescens est un candidat potentiel, notamment en ce qui concerne les populations issues du milieu métallifère. Parmi les populations les plus étudiées, la population de Ganges (Cévennes dans le sud de la France) accumule 43 fois plus de Cd que la population belge de Prayon lors d’une culture en hydroponie (Lombi et al. 2000; Roosens

et al. 2003). D’où l’émergence de deux écotypes du nom des populations emblématiques : écotype Ganges et écotype Prayon. A partir des travaux de Lombi et al. (2000), (Krämer 2000) propose de focaliser les études sur ces populations, de les propager et de les croiser afin de les rendre disponible pour la communauté scientifique au même titre que les banques de graines issue de mutants ou d’écotypes d’Arabidopsis thaliana.

4.5 Une forte amplitude écologique : vers la définition d’unités

Les populations de N. caerulescens peuvent être séparées selon les différents milieux qu’elles occupent dont les synonymes sont les suivants: métallifères vs non métallifères, miniers vs non miniers, calaminaires vs serpentines vs non calaminaires (Escarré et al. 2000; Dechamps et al. 2005). La distinction est ainsi une simplification excessive car elle ne tient pas compte de possible variation de la structure et texture des sols, de la biodisponibilité des éléments mais aussi des caractéristiques des milieux autres que les éléments en traces (Pollard

et al. 2014). De plus, des unités édaphiques peuvent être définies sur la base des caractéristiques de tolérance et d’hyperaccumulation selon les milieux décrits ci-dessus. L’étude de l’hyperaccumulation et de la tolérance chez N. caerulescens a été principalement focalisée sur la partie ouest de la distribution de l’espèce en Europe et plus précisément sur certaines régions telles que le sud de la France, et certaines populations en particulier. Actuellement, les relations génétiques entre les populations sont méconnues. Les phylogénies obtenues à partir des séquences de l’ITS sont peu résolutives (Peer et al. 2006), de même que

49 celles obtenues à partir de séquences codantes et non codantes de gènes potentiellement impliqués dans la tolérance et/ou l’hyperaccumulation (Deniau, 2010).

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