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Partie II : Domestication et variabilité génétique chez les poissons

V. Niveau 3

Pour le troisième niveau, l’ajout de poissons sauvages dans les stocks captifs est pratiqué d’une part pour éviter une forte divergence entre les individus sauvages et captifs produits dans le but de renforcer les populations sauvages et d’autre part, afin d’éviter les dérives génétiques dans les stocks d’élevage (Tableau 1). Parmi les 61 espèces classées à ce niveau par Teletchea & Fontaine (2014), l’évaluation de la diversité génétique des populations sauvages et captives n’a été étudiée que pour cinq espèces que sont : la morue de Murray (Maccullochella peelii peelii), la sole sénégalaise (Solea senegalensis), la sole commune (Solea solea), le poisson-chat hybride (obtenu par insémination artificielle) (Clarias macrocephalus* C. gariepinus) et le Sampa (Heterobranchus longifilis). Ces espèces ne

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représentent pas forcément la plus grande part de la production mondiale des poissons classés

au niveau 3. Par exemple, la morue de Murray n’a été produite qu’entre 1988 et 1994

(Fishbase, 2015) ; depuis aucune production n’a été répertoriée par la FAO. Pour cette espèce,

13 haplotypes ont été analysés au sein des populations sauvages dans le bassin

Murray-Darling (Australie), ainsi qu’au sein des stocks de géniteurs captifs issus de ces populations

sauvages et de leurs descendances stockés dans les eaux victoriennes en 2001/2002. Les analyses ont montré que les géniteurs reflètent bien la distribution et l’abondance des haplotypes dans le milieu naturel alors que la descendance n’est pas représentative de la

population sauvage en nombre et en proportions des haplotypes. Parmi les haplotypes analysés, six sont présents chez les larves et un nouveau est apparu sans qu’il ne soit présent dans la population sauvage d’origine (Bearlin & Tikel, 2003).

Des populations captives de poisson chat H. longifilis, élevées dans une station de recherche durant quatre générations (poissons issus de poissons sauvages, âgés de trois ans et mâtures

depuis leur première année) ont été analysées à l’aide de 23 isoenzymes. Ces poissons sont issus de trois croisements consanguins d’une femelle et d’un mâle pour chaque génération. L’analyse de la variation isoenzymatique a montré une diminution de la diversité génétique entre les F1 et les F4, en plus d’une diminution des taux de survie et de croissance des larves,

une augmentation du taux de malformation et une plus forte variabilité dans les taux de croissance (Otémé, 1998).

Du point de vue de la variabilité génétique, les poissons plats sont les espèces les plus ciblées pour ce niveau de domestication, notamment la sole commune (Exadactylos et al., 1999; 2007; Danancher & Garcia-Vazquez, 2011) et la sole sénégalaise (Porta et al., 2006a; 2006b;

2007). Pour la sole commune, une réduction de la diversité génétique (sur la base de l’analyse

des allozymes) des individus hétérozygotes et des changements des fréquences des allèles ont été observés au niveau des stocks captifs par rapport à la population sauvage d’origine. De plus, il a été montré que des larves de sole d’écloserie en Norvège et d’écloserie en Irlande présentent des croissances et des temps de métamorphose différents, mais aucun lien n’a été

établi avec la différence génétique observée entre les deux stocks (Exadactylos et al., 1999; 2007; Danancher & Garcia-Vazquez, 2011). Exadactylos et al. (2007) ont analysé des juvéniles de sole de deux populations captives issues de différentes origines (Irlande et Norvège) et trois populations sauvages différentes de la mer d’Irlande, à l’aide de 14 allozymes. La réduction de variabilité génétique dans les stocks d’élevage a été attribuée aux

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génétique entre les cinq stocks étudiés a révélé une homogénéité relative tout en excluant une subdivision des populations.

Dans le cas de la sole sénégalaise, une forte réduction de la variabilité génétique, évaluée à

l’aide de microsatellites, entre deux stocks de première génération F1 et leurs géniteurs

sauvages a été mise en évidence avec une réduction de 50% du nombre d’allèles par locus et une réduction de l’hétérozygotie de 16 et de 26% pour chaque stock F1 (Porta et al., 2006b). Cette forte diminution du potentiel génétique causée par une forte consanguinité serait responsable de la mauvaise performance de reproduction (augmentation du taux de mortalité des larves, mauvaise qualité de sperme..) des stocks (Porta et al., 2006b). De plus, en

aquaculture, ajouter des individus sauvages dans les stocks d’élevage rend la gestion des

ressources génétiques très difficile, comme ici dans le cas des soles (Danancher & Garcia-Vazquez, 2011). En effet, la caractérisation génétique des géniteurs pour cette espèce était

complexe puisque ces stocks sont un mélange de différentes origines, en plus de l’ajout de

poissons sauvages (Porta et al., 2007).

En outre, comme expliqué précédemment, le troisième niveau comprend des espèces élevées soit pour la consommation, soit pour le repeuplement ou le renforcement des populations

naturelles dans une stratégie de conservation. Pour la conservation, l’ajout d’individus

sauvages est voulu pour ne pas créer des souches trop divergentes des populations sauvages. Par ailleurs, la perte de variabilité au niveau des loci neutres reflète souvent ce qui se passe dans les loci sélectionnés et/ou liés à des gènes impliqués dans la performance de l’espèce

(Danancher & Garcia-Vazquez, 2011). Donc ces informations relatives à la diversité génétique ne sont pas uniquement fondamentales pour la gestion des stocks en élevage, mais

aussi pour l’évaluation du relâchement des poissons en milieu naturel. Bien que les poissons

d’élevage relâchés (volontaire) ou échappés (involontaire ou accidentel) soient généralement moins performants que leurs congénères sauvages pour survivre dans le milieu naturel, ils présentent des interactions écologiques et génétiques, soit positives (contrebalancer les risques écologiques et génétiques des populations menacées, augmenter l’abondance des populations pour supporter la pression de pêche) soit négatives avec les populations sauvages (Lorenzen et al., 2012). Les interactions négatives ou « problématiques » d’ordre génétique consistent en

une réduction de la fitness et de la diversité génétique des populations sauvages. En fait, les stocks captifs présentant des dépressions de consanguinité et une réduction de variabilité génétique peuvent altérer la diversité génétique des populations naturelles par le biais

d’introgressions et de flux génétiques. Les flux génétiques unidirectionnels à long terme peuvent même changer et remplacer la composition génétique des populations naturelles. Par

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la suite, même la fitness des populations naturelles réceptrices pourrait être touchée (Bearlin & Tikel, 2003). Les interactions négatives résident dans le déplacement des populations

sauvages, les changements de la dynamique des maladies infectieuses et l’augmentation de la pression de pêche suite à l’augmentation de l’abondance totale des populations.

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