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Partie II : Domestication et variabilité génétique chez les poissons

VII. Niveau 5

Le cinquième niveau de domestication comprend 30 espèces de poisson et se caractérise par

l’application de programmes de sélection et d’amélioration génétique pour ces espèces

(tableau 1). Cependant la variabilité génétique entre les populations naturelles d’origine et captives et entre générations captives successives n’a été étudiée que pour 12 espèces, dont quatre marines : le cardeau hirame Paralichthys olivaceusa (Coughlan et al., 1998 ; Liu et al., 2005 ; Bouza et al., 2007 ; Exadactylos et al., 2007), le turbot Scophthalmus maximus (Psetta maxima) (Bouza et al., 1997 ; Coughlan et al., 1998 ; Stefansson et al., 2001 ; Bouza et al., 2002, 2007 ; Exadactylos et al., 2007), la daurade royale Sparus aurata (Youngson et al., 2001) et le bar Dicentrarchus labrax (Youngson et al., 2001 ; Chatain & Chavanne, 2009); six espèces dulcicoles : l’ombre chevalier Salvelinus alpinus (Lundrigan et al., 2005 ; Wolters et al., 2013), le tilapia Oreochromis niloticus (Brummett et al., 2004), le poisson rouge

Carassius auratus (Wang et al., 2013), la carpe commune Cyprinus carpio, le barbue de rivière Ictalurus punctatus et la perche argentée Bidyanus bidyanus (Rowland, 2009); et trois espèces diadromes : la truite commune Salmo trutta (Moran et al., 1996), le saumon de

l’Atlantique Salmo salar (Youngson et al., 2001) et la truite arc-en-ciel Oncorhynchus mykiss

(White et al., 2013).

En se référant aux quatre niveaux évoqués précédemment, on constate qu’au cours d’un

processus de domestication, la prise en compte de la variabilité génétique survient toujours

tardivement. En effet, la caractérisation génétique des stocks d’élevage est souvent réalisée après avoir déjà mis en place les programmes de sélection et développé différentes souches.

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Donc la plupart des études comparant la variabilité génétique entre populations naturelles et captives et entre différentes générations captives, ont utilisé des stocks sélectionnés, c’est -à-dire des populations déjà très avancées dans le processus de domestication. Par exemple, pour le cardeau hirame, la comparaison entre une population sauvage non sélectionnée et deux populations sélectionnées a démontré que la diversité génétique a fortement diminué chez ces

dernières (en terme de nombre d’allèles, de fréquences alléliques et d’allèles privés) (Liu et

al., 2005). Pour le turbot, une réduction de la variabilité génétique est détectée au sein de plusieurs stocks d’élevage; elle atteint les 86% (de l’hétérozygotie observée) par rapport aux

poissons sauvages capturés dans certains cas (Exadactylos et al., 2007). Coughlan et al. (1998) et Bouza et al. (2007) sont les seuls à ne pas détecter une réduction de variabilité génétique ; mais ils montrent une perte d’allèles rares.

Pour bien expliquer l’évolution de la variabilité génétique d’une espèce domestiquée et

décrire les différentes conséquences sur les populations non domestiquées, je vais prendre le saumon de l’Atlantique comme exemple. En fait, cette espèce est l’une des espèces qui dominent l’aquaculture marine. Son élevage a débuté vers les années 1970 avec une forte expansion au cours des années 80 jusqu’à nos jours. Le saumon et la truite arc-en-ciel sont les plus étudiées du point de vue génétique. La distribution génétique des populations en milieu

naturel est fortement structurée, étant donné que c’est une espèce anadrome et que la reproduction se déroule dans des frayères d’eau douce bien précises (Verspoor et al. 1991, 1999; Jordan et al. 1992; Garant et al. 2000). En comparant les populations captives avec les populations sauvages fondatrices, plusieurs études ont montré des différences du pool génétique (Cross & King, 1983; Stahl, 1983; Crozier & Moffett, 1989; Koljonen, 1989; Cross & Challanain, 1991). Une réduction de la variabilité génétique a été détectée au niveau des stocks captifs par rapport aux populations naturelles, en terme de richesse allélique,

d’hétérozygotie ou même d’équilibre Hardy-Weinberg (Cross & King, 1983 ; Stahl, 1983 ; Crozier & Moffett, 1989; Koljonen, 1989). L’analyse de deux stocks issus d’une cinquième génération d’élevage au sein d’une écloserie en Irlande a montré une forte réduction de variabilité génétique par rapport à la population naturelle (Cross & King, 1983). Huit ans plus tard, Cross & Challanain (1991) ont analysé les cinq lignées captives qui constituaient 90% de la production du saumon en Irlande avec la population naturelle ; ils ont trouvé que quatre

stocks captifs présentaient la même diversité génétique que la population naturelle et qu’un

seul stock manifestait une diversité moindre. De plus, les cinq stocks captifs présentaient des

compositions génétiques différentes les unes des autres bien qu’ils aient la même origine sauvage. Ceci peut être expliqué par une introgression progressive entre les poissons

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d’élevage échappés dans le milieu naturel et les individus sauvages. En effet, chaque année,

des saumons échappés sont trouvés dans le milieu naturel. Entre les années 1989/1991, 40% des captures totales de saumon correspondaient aux poissons échappés (Youngson et al., 2001). Généralement, les performances de reproduction des poissons sauvages sont meilleures

que celles des poissons d’élevage qui manifestent des déficiences comportementales lors de la reproduction en milieu naturel. Cependant, étant donné que le nombre de poissons issus

d’aquaculture dépasse largement le nombre de poissons sauvages, un faible taux d’échappés

correspond à une fréquence élevée dans le milieu naturel. Ces poissons se reproduisent avec les individus sauvages et des interactions de compétition se mettent en place entre les deux populations. En conséquence, un stock de poissons domestiqués ayant subi une dépression de sa variabilité génétique se retrouve avec un stock ayant une plus forte variabilité génétique. Suite aux introgressions, aux flux génétiques et à la consanguinité, la variabilité génétique « s’équilibre » entre les deux groupes (sauvages et captifs), au bout de plusieurs années. En

milieu naturel, les échappés et les sauvages interagissent, se reproduisent et s’adaptent aux

nouvelles conditions. Par conséquent, après un certain temps, les populations naturelles ne

représenteraient plus les populations sauvages d’origine.

Dans la majorité des fermes d’élevage de saumon, des programmes d’amélioration génétique

sont appliqués à chaque nouvelle génération visant des traits biologiques bien précis comme les taux de croissance et de résistance aux maladies. En plus de cette sélection active, il ne faut pas oublier la sélection non volontaire. En outre, des échanges de souches génétiquement améliorées a toujours lieu entre les entreprises et autres partenaires (laboratoires) qui les ont

aussi croisées avec d’autres souches. Les croisements de différentes souches et différentes origines conduisent souvent à une augmentation de la diversité génétique de ces populations domestiques qui divergent génétiquement et au niveau de leur fitness (taux de croissance, âge à maturité sexuelle, durée de ponte, résistance aux maladies) des populations sauvages

d’origine (Youngson et al., 2001). Le maintien de la variabilité génétique dans les stocks d’élevage ne dépend pas que de l’origine des poissons, mais aussi des stratégies de reproduction et des pratiques d’élevage mises en œuvre en captivité. Avant de commencer un programme de sélection, certaines informations sont primordiales. Tout d’abord, il faut maîtriser entièrement le cycle de vie de l’espèce pour pouvoir contrôler et suivre les traits sélectionnés. Puis, il faut bien déterminer les objectifs de sélection et les traits à améliorer.

Ensuite, il faut qu’une variation génétique soit associée à la variabilité phénotypique observée pour ces traits. Enfin, l’ampleur et l’intensité de la variation phénotypique et génétique des

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nombre de paramètres : les variations phénotypique et génétique, la moyenne et la déviation standard ou le coefficient de la variation génétique et phénotypique, l’héritabilité du trait en

question et la corrélation phénotype - génotype entre les différents traits (Gjedrem, 2000).

Pour résumer, maintenir la diversité génétique dans les stocks d’élevage est un enjeu très

important pour les futures stratégies de reproduction, pour les futurs programmes de sélection

et l’adaptation des animaux aux différents systèmes d’élevage et changements environnementaux. D’ailleurs, pour certaines espèces de poisson et dans certaines structures

d’élevage, des poissons sauvages sont toujours ajoutés malgré une maîtrise totale du cycle de

vie et la mise en place de programmes de sélection. Le bar, une espèce produite surtout dans les pays du bassin méditerranéen, est le meilleur exemple pour l’illustrer (Vandeputte et al.,

2009). En Méditerranée, les populations de bar sauvages sont structurées en trois

métapopulations: celles de l’Atlantique et de la mer d’Alboran, de la Méditerranée de l’Ouest et de la Méditerranée de l’Est (Quéré et al., 2012). En aquaculture, comme pour les autres

espèces marines, les stocks de géniteurs sont établis à partir d’individus sauvages capturés. Dans certains cas, ces stocks sont fondés à partir de la population locale et dans d’autres des œufs sont importés depuis d’autres régions et d’autres fermes. Aucune information publiée n’est disponible à ce sujet, mais selon les pratiques et les informations communiquées (par les

aquaculteurs et les chercheurs), il est certain que certaines fermes ont des stocks composés de

populations sauvages différentes (Vandeputte, 2012). Aujourd’hui encore, l’ajout d’individus sauvages de différentes origines et l’importation de larves ou de juvéniles depuis d’autres écloseries sont toujours pratiqués, malgré l’intérêt de développer des programmes de sélection

(Youngson et al., 2001). Par conséquent, les stocks d’élevage de bar divergent fortement des populations sauvages situées à proximité des fermes d’élevage et présentent une variabilité

génétique plus élevée dans certains cas (communication personnelle de Pierrick Haffray, 2014).

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