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« Ndâ Sida »

Dans le document Parler du sida au Nord-Cameroun (Page 100-106)

Henry TOURNEUX

Une toute jeune fille, qui a pris le nom d’artiste de « Princesse Khadîza Oumar », remportait en 2006 le prix de la Lutte contre le sida pour l’Extrême-Nord (Cameroun), dans la catégorie Musique, avec une chanson intitulée Ndâ Sida, « Voici le sida ! » L’interprète est la fille d’un ancien directeur d’école de Maroua1. On peut raisonnablement penser que le texte qu’elle chante a été fortement inspiré par lui.

La cassette sur laquelle figure la chanson comporte sept autre titres qui ont été enregistrés à Yaoundé au Studio Césaire « Emombo YDE » et produits en Guinée équatoriale (S. E. Fortunato Ofa). Elle porte la date de

« 05/2005 ». Cette cassette a donc été produite avant que la chanteuse ait obtenu son prix.

Le texte de la chanson compte 316 mots, dont 56 % sont constitués de sida (14 %), wayyo (33 %) et ndaa (9 %). La dominance accordée à wayyo – le mot figure dans le refrain – confère à l’ensemble un caractère pathétique de désespoir. En effet, wayyo est une interjection qui permet d’exprimer une douleur physique, ou, comme c’est le cas ici, un profond désespoir, comparable à celui que l’on ressent lorsque l’on perd un être cher. Faute d’un équivalent en français, nous l’avons traduite ci-dessous par « Ô mon Dieu ! »

Texte et traduction Nanee, nanee, nanee, nanee

[ndaa sida

Écoutez, écoutez, écoutez, écoutez, voici le [sida ! Wayyo, wayyo, wayyo, wayyo Ô mon Dieu ! Ô mon Dieu !

Ndaa sida e duniya Voici le sida en ce monde Derke’en worße e rewße Jeunes gens et jeunes filles

Useni ßißße duniyaaru S’il vous plaît, enfants de ce monde Ummee lee kawten Levez-vous et unissons-nous Ngam ndiiwen sida Pour chasser le sida

1. La Tribune sahélienne n° 2, septembre 2006, p. 5.

Wayyo, wayyo, wayyo, wayyo

Sida, •um nyawu yiide Le sida, c’est une maladie de l’amour Sida, •um nyawu mbaroowu Le sida, c’est une maladie mortelle Woodaa ßur•o nyawgo sida Personne n’est plus fort que la maladie du

[sida Koo ßi••o e reedu nyawan

[sida

Même un enfant dans le ventre peut être [malade du sida

E onon rewße te’aaße Et vous les femmes mariées Useni ndeentee lee her teele

[mon

S’il vous plaît, protégez-vous dans votre [mariage E onon baaba calaaje Et vous les pères de famille

Kakkilanee ceerle e ßaÑle Faites attention au divorce et au mariage Wayyo, wayyo, wayyo, wayyo Ndotti’en worße e rewße Hommes et femmes âgés

Useni ßißße duniyaaru S’il vous plaît, enfants de ce monde Ummee lee kawten Levez-vous et unissons-nous Ngam ndiiwen sida Pour chasser le sida Wayyo, wayyo, wayyo, wayyo

LA CHANSON DE PRINCESSE KHADÎZA OUMAR 103 E onon worße te’ooße Et vous, hommes qui vous mariez

Kakkilanee rewße suddiiße Faites attention aux veuves E onon ßißße rewße derke’en Et vous, jeunes filles

Useni kiimee lee te’anße on S’il vous plaît, réfléchissez à ceux qui vont [vous épouser

Sida, •um nyawu kawtal Le sida, c’est une maladie sexuelle Sida, •um nyawu mbaroowu Le sida, c’est une maladie mortelle Reeza, duweeje e baate La lame de rasoir, l’aiguille à tresser les

[cheveux, la seringue

‹esngu [...]2 hokkan sida L’accouchement [...] peuvent donner le sida Wayyo, wayyo, wayyo, wayyo Derke’en worße e rewße Jeunes gens et jeunes filles

Useni ßißße duniyaaru S’il vous plaît, enfants de ce monde Ummee lee kawten Levez-vous et unissons-nous Ngam ndiiwen sida Pour chasser le sida Wayyo, wayyo, wayyo, wayyo

Sida, •um nyawu yiide Le sida, c’est une maladie de l’amour Sida, •um nyawu mbaroowu Le sida, c’est une maladie mortelle Woodaa ßur•o nyawgo sida Personne n’est plus fort que la maladie du

[sida

2. Ici figure un mot que nous n’avons pu comprendre.

Koo ßi••o e reedu nyawan [sida

Même un enfant dans le ventre peut être [malade du sida

E onon rewße te’aaße Et vous les femmes mariées Useni ndeentee lee her teele

[mon

S’il vous plaît, protégez-vous dans votre [mariage E onon baaba calaaje Et vous les pères de famille

Kakkilanee ceerle e ßaÑle Faites attention au divorce et au mariage Wayyo, wayyo, wayyo, wayyo

Le texte de la chanson appelle les auditeurs, jeunes gens et jeunes filles, femmes mariées et pères de famille, hommes et femmes âgés, à se lever (à se mobiliser) et à s’unir pour « chasser le sida ». Le sida est hypostasié en quelque sorte. On doit donc pouvoir le chasser, comme on chasse les mauvais esprits. C’est là une rhétorique largement utilisée dans le cadre officiel de la « lutte contre le sida ».

Le sida est également présenté comme une maladie : « une maladie mortelle » (3 occurrences), « une maladie de l’amour3 » (2 occurrences), une maladie sexuelle (littéralement : ‘maladie de l’union4’) (1 occur-rence). Nous sommes donc très loin de la notion de « syndrome ».

3. À ne pas confondre avec la « maladie d’amour ».

4. Le mot peul utilisé, kawtal, est un dérivé du verbe hawta, « rassembler, (se) réunir ». Le dérivé signifie « union, réunion, association ». Il est employé couramment comme euphémisme pour désigner le coït.

LA CHANSON DE PRINCESSE KHADÎZA OUMAR 105 Les « victimes » potentielles de la « maladie » appartiennent à toutes les catégories d’êtres humains (« Personne n’est plus fort que la maladie du sida »), même l’enfant dans le ventre de sa mère n’est pas à l’abri.

Les situations de risque auxquelles il est fait allusion tournent toutes autour du mariage : femmes mariées, pères de famille, jeunes filles qui doivent se marier (ou plutôt ‘être épousées’, la nuance est de taille). Les veuves, les divorcées et les épouses multiples constituent un danger particulier pour les hommes qui se marient.

Les relations sexuelles sont nettement indiquées comme source de l’infection, bien que cela soit dit de manière euphémique (litt. : ‘le sida, c’est une maladie de l’amour et de l’union [sexuelle]’), mais il n’y a pas la moindre allusion au fait que bien des relations sexuelles ont lieu hors amour et hors mariage. Le contexte social général auquel il est fait référence tient de l’image d’Épinal : jeunes gens et jeunes filles doivent faire attention à qui ils/elles vont épouser ; les personnes mariées courent des risques lorsqu’elles entrent dans le cadre de la polygynie – polygynie que l’on devine en filigrane lorsque l’on dit au père de famille de « faire attention au mariage ».

Le parolier ne manque pas de signaler la possibilité d’infection hors relation sexuelle : lame de rasoir, aiguille à tresser les cheveux et seringue sont désignés comme des agents d’infection – ils peuvent « donner le sida » – ; l’accouchement est classé dans la même catégorie. Implici-tement, on voit que le sang est désigné comme vecteur de la « maladie ».

Conclusion

Comme toujours dans le cas de la communication relative au sida, il est difficile de tester l’impact de telle ou telle action en direction de la population générale. On peut simplement dire que cette chanson reprend les thèmes éculés de la « lutte contre le sida » ; tout en disant : « Levez-vous et unissez-Levez-vous pour chasser le sida », le parolier ne donne aucun conseil positif à l’auditeur ni aucune information susceptible de l’aider à comprendre en quoi consiste réellement le sida. Il lui recommande de se méfier de certains dangers, sans toutefois lui conseiller aucun moyen de

« lutte ». Le sentiment que suscite l’ensemble est plutôt celui d’une peur diffuse et démobilisatrice. En outre, en désignant une fois de plus le sida comme une maladie mortelle, on suscite dans le public le réflexe de l’autruche, qui pense pouvoir écarter un danger en s’enfouissant la tête dans le sable.

La perception du préservatif masculin

Dans le document Parler du sida au Nord-Cameroun (Page 100-106)