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La nature du principe de faveur lui permet également de déployer des effets considérables sous l’angle du contrôle qu’exercent les instances judiciaires des cantons et, en dernière instance, le Tribunal fédéral.

On sait en effet que la juridiction constitutionnelle qui a cours en Suisse fonctionne sur la base de la règle de l’article 190 Cst. Pour faire obligation au Tribunal fédéral et aux autres instances judiciaires du pays d’appliquer, en toutes circonstances, les lois fédérales, cette disposition n’empêche certes pas leur contrôle juridictionnel. Sous l’angle de la sanction d’une éventuelle inconstitutionnalité, elle fait par contre obstacle à leur mise à l’écart96. Le Tribunal fédéral rappelle à intervalles réguliers, au reste avec un bonheur variable97, qu’il doit en toutes circonstances appliquer les lois votées par l’As-semblée fédérale, lié qu’il est par les choix politiques émanant des représen-tants du peuple et des cantons, lesquels sont de surcroît susceptibles d’être contrôlés en votation populaire98.

Seulement, l’article 190 Cst. contient également une référence qui, dans le sillage du principe exposé à l’article 5 alinéa 4 Cst., fait obligation aux juges helvétiques d’appliquer le droit international. En son temps, l’hypothèse d’un conflit entre une loi fédérale et un engagement international ratifié par la Suisse a suscité une controverse passionnante, à laquelle le jubilaire, pour avoir été l’un des premiers auteurs à prendre position sur la question, a apporté une clé de résolution tout à la fois originale et déterminante99.

Aujourd’hui, en dépit de l’absence de contrôle effectif de la constitu-tionnalité des lois fédérales, il est admis qu’en cas de conflit irréductible entre une loi fédérale et une règle internationale destinée à déployer des effets directs dans l’ordre juridique suisse, c’est cette dernière qui doit l’emporter100.

96 Giusep Nay, « La loi sur le Tribunal fédéral dans le contexte de la réforme de la justice », in : Foëx/

Hottelier / Jeandin (éd.) (note 86), p. 25.

97 Voir par exemple l’arrêt X., ATF 132 II 234, 236, dans lequel le Tribunal fédéral relève qu’il n’est pas habilité à contrôler la constitutionnalité des lois fédérales et qu’il peut, « tout au plus », leur appliquer le principe de l’interprétation conforme à la Constitution si les autres méthodes d’in-terprétation laissent subsister un doute sur le sens d’une loi fédérale.

98 ATF 131 II 562, 567 X. S.A.

99 Giorgio Malinverni, « L’article 113 al. 3 de la Constitution fédérale et le contrôle de conformité des lois fédérales à la Convention européenne des droits de l’homme », in :Mélanges Otto K.

Kaufmann, Berne 1989, p. 381.

100 ATF 131 V 66, 70 M. ; 129 III 656, 662 I.; 128 III 113, 116 M. W.; 125 II 417, 425A. ; 119 V 171, 178 X. ; voir également Giorgio Malinverni, « L’indépendance de la Suisse dans un monde interdépen-dant », RDS 1998 II, p. 56.

Ce principe découle de la nature même de la règle internationale, hié-rarchiquement supérieure à toute règle interne101. Certains arrêts la font éga-lement découler des principes généraux du droit international, en lien avec l’obligation de respecter les engagements internationaux (pacta sunt servanda) au sens de l’article 26 de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969102, et son corollaire, celui de l’inopposabilité de toute règle de droit in-terne contraire au traité au sens de l’article 27 de cet instrument103.

De fait, l’instauration, par voie prétorienne, d’un véritable contrôle de la conventionnalité des lois fédérales a ainsi permis de passer outre, si l’on peut dire, l’immunité qui caractérise ces lois et d’introduire une once de juridic-tion constitujuridic-tionnelle à leur égard, en particulier dans le domaine des droits de l’homme104. Et il n’est plus rare de voir le Tribunal fédéral contrôler et, le cas échéant, refuser d’appliquer des lois fédérales, au motif que celles-ci contreviennent à une garantie contenue dans la CEDH.

En bref, là où la justice constitutionnelle doit, en matière de droits fonda-mentaux, abdiquer et faire profil bas face aux choix politiques du législateur fédéral, le respect des droits de l’homme peut conduire les juges à faire exac-tement l’inverse au nom de la justice conventionnelle. Sous l’angle du choix des normes de référence auquel procède le Tribunal fédéral lorsque la contra-riété au droit supérieur d’une décision fondée sur une loi fédérale vient à être invoquée, le principe de faveur conduit à ce constat pour le moins curieux, qui voit les instruments internationaux de protection des droits de l’homme auxquels la Suisse est partie détrôner la protection, traditionnellement ré-putée plus favorable, qu’est censée accorder la Constitution. Cette situation a pour effet de priver de toute efficacité le catalogue des droits fondamen-taux de la Constitution fédérale à l’égard des actes normatifs immunisés par l’article 190 Cst.105, alors même que les garanties de la CEDH, qui n’offrent pourtant qu’un standard minimal de protection, s’appliquent pleinement, aussi bien devant notre Cour suprême que, le cas échéant, devant la Cour de Strasbourg. La Cour est ainsi habilitée à condamner la Suisse en raison d’un contrôle qui n’est pas exercé au niveau des instances nationales.

Il existe pourtant un moyen extrêmement simple de parer à ce genre de déconvenue. Il suffirait en effet que le juge interne, guidé par une application

101 ATF 122 II 485, 487 S.

102 RS 0.111.

103 ATF 131 II 352, 355 A. ; 128 IV 201, 205X., Y. und Z.; 125 II 417, 424 A. ; 122 II 485, 487 S.

104 Giusep Nay, « Koordination des Grundrechtsschutzes in Europa – Die schweizerische Perspek-tive », RDS 2005 II, p. 100 ; Nicolas Michel, « L’imprégnation du droit étatique par l’ordre juri-dique international », in : Thürer / Aubert / Müller (éd.) (note 23), p. 70.

105 Jean-Claude Beguin, « La situation paradoxale des droits fondamentaux dans la nouvelle Cons-titution suisse », in :Mélanges Michel Fromont, Strasbourg 2001, p. 45.

systématique du principe de faveur dans le cadre de la juridiction constitu-tionnelle, privilégie les garanties conventionnelles lorsqu’est entreprise une décision fondée sur un acte normatif immunisé par l’article 190 Cst. De fait, chaque fois que la mise en œuvre de la règle de l’article 190 Cst. a pour ef-fet d’empêcher un contrôle complet de la constitutionnalité sous l’angle d’un droit fondamental énoncé par la Constitution qui trouve son pendant dans la Convention ou un autre instrument de protection des droits de l’homme, la conversion du moyen en cause devrait intervenir d’office, de manière à privi-légier le contrôle de la conventionnalité et assurer du même coup la meilleure protection des intérêts individuels sur le plan procédural.

Cette position judiciaire, favorable par nature aux intérêts du justiciable, devrait prévaloir chaque fois que la violation d’un droit protégé par la Cons-titution fédérale est soulevée, indépendamment du fait que le recourant se réfère, en parallèle, à la Convention ou à un autre instrument de même nature106.

Conclusion

En Suisse, les droits fondamentaux et les droits de l’homme ne sont pas agen-cés dans un rapport hiérarchique. Ils forment au contraire un tout et tous revêtent la même valeur juridique, sans rapport de subordination. A l’image des règles de la Constitution elles-mêmes107, ils doivent par conséquent être appréhendés dans une perspective de coordination fondée sur une considé-ration globale des uns et des autres, d’éventuelles contradictions devant être levées par la voie de l’interprétation.

Cette identité de valeurs repose sur le contenu des garanties qui, cha-cune à sa manière propre, sont censées contribuer à assurer le respect de la personne humaine. C’est donc un critère éminemment matériel qui fonde la coordination, et non un critère formel, tenant à la procédure d’adoption des droits fondamentaux ou des droits de l’homme. De fait, les droits de l’homme ne sauraient être considérés comme des garanties de seconde zone au motif que leur support figure dans un traité international, dont la procédure d’ap-probation en droit interne n’a pas, le cas échéant, suivi la procédure d’adop-tion des normes formellement constitud’adop-tionnelles.

Patiemment forgé au cours des âges, présent aussi bien en droit interne qu’en droit international, le principe de faveur est un mode précieux de ré-gulation des droits fondamentaux et des droits de l’homme. Sans introduire

106 Auer / Malinverni / Hottelier (note 87), p. 666.

107 Aubert (note 3), p. 89.

de rapport général de subordination ou de subsidiarité, il conduit à orienter le choix du justiciable et du juge dans la perspective de la meilleure protec-tion de celui-là. Loin de se cantonner au seul champ d’applicaprotec-tion matériel des diverses garanties en concours, il domine, plus largement, aussi bien la substance que la mise en œuvre des droits fondamentaux et des droits de l’homme.

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