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L’instance compétente représente une variable qui illustre de manière évo-catrice la signification du principe de faveur. En Suisse, il est de nos jours communément admis que le Tribunal fédéral et, à son exemple, les instances judiciaires des cantons sont compétents pour statuer indistinctement sur la violation des droits fondamentaux, quel que soit le rang respectif qu’occupent ces garanties.

Fondé sur l’article 189 alinéa 1 Cst., l’article 95 LTF énonce les motifs susceptibles d’être articulés dans le cadre des recours unifiés prévus par les articles 72 ss LTF. Chacun de ces recours peut être formé pour violation du droit fédéral, lequel comprend aussi bien les droits fondamentaux protégés par la Constitution fédérale que les droits de l’homme. L’article 95 lettre c LTF permet en outre au justiciable de s’en prendre à la violation des droits consti-tutionnels de rang cantonal86. Il n’en a toutefois pas toujours été ainsi.

Jusqu’en 1874, c’était le Conseil fédéral qui était compétent pour statuer sur les recours mettant en cause les droits fondamentaux, l’Assemblée fédé-rale fonctionnant alors comme instance de recours. Le Tribunal fédéral ne pouvait connaître que des cas que lui transmettait l’Assemblée fédérale87. Sous l’empire de la Constitution fédérale du 29 mai 1874, une dualité de voies de recours a également prévalu pendant un certain temps.

Alors que le Tribunal fédéral disposait de la compétence de veiller au respect des droits fondamentaux consacrés par les constitutions cantonales, le Conseil fédéral avait conservé, à teneur de la loi fédérale d’organisation judiciaire alors en vigueur, des compétences juridictionnelles pour les cas mettant en jeu certaines garanties spécifiques, compte tenu des enjeux poli-tiques et administratifs qui leur étaient inhérents. Tel était le cas de la liberté

86 François Bellanger, « Le recours en matière de droit public », in : Bénédict Foëx / Michel Hottelier / Nicolas Jeandin (éd.), Les recours au Tribunal fédéral, Zurich 2007, p. 153 ; Hansjörg Seiler / Nicolas von Werdt / Andreas Güngerich, Bundesgerichstgesetz (BGG). Bundesgesetz über das Bundesgericht, Berne 2007, p. 404 ; FF 2001 4132.

87 Andreas Auer / Giorgio Malinverni / Michel Hottelier,Droit constitutionnel suisse, Vol. I, L’Etat, 2eéd., Berne 2006, p. 686 ; Alfred Kölz,Neuere schweizerische Verfassungsgeschichte.

Ihre Grundlinien in Bund und Kantonen seit 1848, Berne 2004, p. 802.

religieuse88, de la liberté du commerce et de l’industrie89, de la liberté d’éta-blissement, du droit à l’enseignement primaire gratuit ou encore des droits politiques cantonaux90. Ces compétences ont progressivement été attribuées au Tribunal fédéral, en 1893, puis en 191191.

Même si l’essentiel de la casuistique du Tribunal fédéral a, durant la pé-riode qui s’étend de 1875 à 1915, concerné le principe d’égalité de traitement92, il n’en demeure pas moins que, dans l’intervalle, des conflits positifs de com-pétences n’ont pas manqué de se poser entre le Tribunal fédéral et le Conseil fédéral. Tel a été le cas pour les recours qui, pour certes porter, ratione loci, sur des droits fondamentaux d’origine cantonale, relevaient ratione materiae de la compétence du Conseil fédéral93.

Notre Cour suprême a résolu ce conflit en se référant à l’étendue de la protection propre aux garanties cantonales, le droit réputé le plus favorable déterminant, du même coup, l’instance compétente.

Quelques-unes des belles pages de l’histoire suisse des droits fondamen-taux et du principe de faveur ont été rédigées à l’époque – en caractères go-thiques de surcroît94–, par le Tribunal fédéral. Lorsque les compétences du Tribunal fédéral dans le domaine de la juridiction constitutionnelle ont été étendues, le principe de faveur a été à nouveau utilisé pour marquer, sur le plan du droit matériel cette fois, la ligne de démarcation entre les droits fon-damentaux de rang fédéral et les garanties de droit cantonal.

De nos jours, la détermination de l’instance compétente ne présente plus guère d’intérêt dans le cadre de la mise en œuvre du principe de faveur en Suisse. Il en va autrement pour ce qui concerne les mécanismes internatio-naux de contrôle du respect des droits de l’homme, à un double égard.

Le premier cas concerne la Cour européenne des droits de l’homme. Via le contrôle qu’exerce la Cour de Strasbourg, le droit conventionnel bénéficie incontestablement, dans certains domaines, d’une protection originale, par-fois plus étendue que les droits fondamentaux d’origine interne, ainsi que

88 ATF 6. 599, 606 Conseil paroissial de Porrentruy.

89 ATF 3. 256, 258 Alpgenossenschaft Redeten.

90 ATF 1. 343, 345 Uehlinger.

91 Auer / Malinverni / Hottelier (note 87), p. 687 ; Kölz (note 87), p. 805 ; Müller (note 10), p. 59 et les références citées.

92 Kölz (note 87), p. 806.

93 Voir Otto K. Kaufmann, « Verfassungsgerichtsbarkeit 1875-1974-19… ? », RDS 1974 I 341 ; Theodor de Joncheere,Der Rechtsschutz in Verfassungsstreitigkeiten durch die politischen Bundesbehörden, Zurich 1958, pp. 42 et 61.

94 Voir par exemple les arrêts Bank in St. Gallen und Toggenburgerbank, ATF 5. 334, 335 et Obrist, 7. 502, 512.

l’atteste par exemple la casuistique développée au sujet de la liberté d’expres-sion à l’égard de notre pays. La Cour est ainsi compétente pour se prononcer sur des aspects de la liberté d’expression qui, sous l’angle du droit suisse, sont réputés échapper au champ d’application des articles 16 et 17 Cst., à l’image du discours relevant des relations commerciales, que le Tribunal fédéral place plutôt dans le giron de la liberté économique. Il en résulte que le regard que portent les juges de Strasbourg sur des affaires appréhendées en Suisse par la liberté économique peut s’avérer fondamentalement – le terme est adé-quat – différent de celui des juges de Lausanne, ainsi que la Suisse en a fait la douloureuse expérience dans l’affaire Hertel95.

Le second cas concerne la pluralité des mécanismes internationaux de contrôle à disposition du justiciable. Lorsqu’un Etat a ratifié plusieurs instru-ments internationaux dotés d’un mécanisme de contrôle de type contentieux, le risque n’est en effet pas exclu qu’un même droit soit simultanément pas-sible de plusieurs procédures distinctes.

On peut songer par exemple à la lutte contre la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants en cas d’éloignement d’étrangers indé-sirables au sens des articles 3 CEDH ou 3 de la Convention contre la torture ou encore à la lutte contre la discrimination raciale au sens des articles 2 et suivants de la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discri-mination raciale. La Suisse a en effet souscrit au droit de communication in-dividuel institué par ces deux derniers instruments, en sorte que ces procé-dures peuvent entrer en concours, le cas échéant, avec une éventuelle saisine de la Cour, qui ne détient ainsi plus le monopole en ce domaine.

Dès lors qu’en principe, ces procédures présentent un caractère exclu-sif les unes par rapport aux autres, le justiciable qui envisage d’agir sur la scène internationale doit ainsi opérer un choix délicat, dont les conséquences peuvent s’avérer déterminantes pour la protection de ses droits : la même ga-rantie revêt-elle une portée identique en fonction des divers instruments qui lui servent de support ? Est-elle interprétée de la même manière ? Dans quel délai la requête sera-t-elle examinée ? Est-il possible de solliciter des mesures provisionnelles conduisant à la suspension de la mesure attaquée pendant la durée de la procédure ? Une procédure interne de révision de la décision nationale attaquée est-elle envisageable en cas d’admission de la requête sur le plan international ?

Toutes ces questions appellent des choix délicats, auxquels le principe de faveur n’est naturellement pas étranger.

95 ACEDH Hertel c. Suisse du 25 août 1998, Rec. 1998-VI, p. 2298.

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