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Nature des droits cédés sur la parcelle

Les stèles de donation commémorent une opération foncière qui consiste en une cession de droits qui ne sont pas explicités, et qui passent du donateur au bénéficiaire, qui lui-même délègue parfois certains de ces droits à un gérant. Les juristes occidentaux distinguent toute une palette de droits et d’exercices de droits, selon des catégories qui ne correspondent sans doute pas à la réalité de l’Égypte antique. Il est par exemple délicat de parler de « propriété » de la terre alors que le roi reste toujours en dernier ressort le

337 MENU Bernadette, « Fondations et concessions royales de terres en Égypte ancienne », DHA 21-1, 1995, p. 11-55, p. 53.

338 DARESSY Georges, « Trois stèles de la période bubastite », ASAÉ 15, 1915, p. 140-147, p. 140 et 143 ; DARESSY Georges,

« Le fils aîné de Chéchanq III », ASAÉ 16, 1916, p. 61-62, p. 62 ; pour une définition du waqf islamique, cf. BEARMAN Peri

J. et al. (dir.), Encyclopédie de l’Islam, t. 2 V-Z, Leyde, 2005 (HUNWICK John O., « Waḳf » p. 65-109) et t. 12 Supplément,

véritable propriétaire du sol.339 De même, les nuances terminologiques du droit français sont évidemment impropres à traduire les notions égyptiennes ; elles sont tantôt trop larges, tantôt trop strictes, et il est bien difficile de comprendre les textes auxquels nous avons affaire en l’absence de glose originale. Il est toutefois nécessaire de s’attarder sur ce que recouvre les notions de donation, propriété, cessions de droit avant de s’interroger sur une éventuelle correspondance de ces définitions avec les mécanismes fonciers égyptiens.

Ainsi, si une donation est, en droit français, un acte par lequel un donateur se dépouille irrévocablement et sans contrepartie d’un bien en faveur d’un donataire consentant340, cette définition doit être adaptée pour s’appliquer aux donations égyptiennes. Ces dernières, en effet, ne nous sont connues que par des traces indirectes, les inscriptions des stèles. Il n’est donc pas certains qu’elles se soient opérées sans contrepartie341. Leur irrévocabilité n’est pas non plus assurée, puisqu’il existe une terre offerte en donation par Apriès qui avait été donnée vingt ans plus tôt par son prédécesseur Psammétique II à Apis.342 Peut-être le roi outrepasse-t-il ici le fonctionnement des donations, ou bien avait-il gardé des droits sur cette parcelle en la confiant au domaine du dieu, et l’a-t-il réattribuée une fois la lignée de prêtres chargés de sa gestion éteinte ?343

Dans l’état actuel de la documentation, il semble que le bénéficiaire d’une donation recevait la possibilité de la cultiver et d’en percevoir les revenus. Il pouvait également transmettre ces droits à un gérant (le contrôle effectué par le bénéficiaire sur la gestion de la parcelle n’a pas été abordé par la recherche – la documentation ne semble pas se prêter à une étude de la question).

Quant à la transmission des droits de la terre à la mort du bénéficiaire ou du gérant, les formules d’imprécations qui terminent les textes des stèles sont claires : elles sont vouées à durer pour l’éternité (même si, comme souvent, cette éternité est en définitive bien relative, comme le prouve l’exemple de la donation redirigée par Apriès). Ainsi la charge de gérant d’une terre et les revenus associés se transmettaient-ils aux héritiers à la mort du titulaire.344

339 MEEKS Dimitri, « Les donations aux temples dans l’Égypte du Ier millénaire », dans LIPIŃSKI Edward (dir.), State and

Temple Economy in the Ancient Near East, t. 2 (OLA 6), Louvain, 1979, p. 605-687, p. 626.

340 Centre national de Ressources Textuelles et Lexicales (http://www.cnrtl.fr/definition/donation, 1er mars 2014).

341 Fussent-elles symboliques (Cf. « Donations privées » p. 110).

342 MEEKS Dimitri, op. cit., p. 653 : stèles JE 36863 (no 26.3.3) et Berlin 15393 (no 26.4.17).

343 MEEKS Dimitri, op. cit., p. 653.

Les terres offertes aux temples peuvent être gérées de deux manières différentes (un ensemble de parcelles données ensemble pouvant être divisé entre ces deux catégories 345). Elles peuvent être transmises directement à des membres élevés de la hiérarchie cléricale ou à leurs parents, ou bien intégrées au « domaine du dieu » (ḥtp-nṯr).346 Les inscriptions ne permettent pas de préciser les différences de ces statuts. À l’époque ptolémaïque (332-30 av. J.-C.), plusieurs siècles plus tard, les revenus des terres confiées aux membres du clergé étaient reversés au temple tandis que celles qui étaient intégrées au domaine du dieu produisaient des revenus destinés au temple et au roi.347 Parmi les terres offertes en donation, toutes celles qui sont destinées au domaine du dieu sont données par le roi (qui effectue aussi des donations au profit de membres du clergé), mais à cette époque, le statut fiscal des temples n’est pas documenté.348 C’est peut-être cette information qui permettrait de comprendre les liens qu’une parcelle offerte en donation entretient avec son détenteur d’une part (le bénéficiaire de la donation) et l’administration d’autre part : la situation est délicate lorsque des donations royales (issue des terres possédées par la Couronne ou nouvellement mises en culture)349 sont effectuées au bénéfice d’un temple, c’est-à-dire d’une autre branche de l’administration.

Que les terres soient transmises à un membre éminent du clergé ou au domaine du dieu, leur gestion était confiée à un nouvel intervenant, le gérant350. Il reçoit le droit de faire cultiver la terre tout en prélevant sur la récolte une rémunération. Son degré de latitude n’est pas connu au cours de cette opération.

Ce procédé correspond au mode de gestion du « démembrement de propriété »351 : des éléments du patrimoine de l’institution sont confiés à certains de ses membres ; il s’agit d’une délégation de droits opérée (vraisemblablement) contre une rémunération qui n’est pas documentée.

345 Ibid., p. 642 : exemple de la stèle 11∣ 125∣13 (no 22.8.0).

346 Ibid., p. 641, n. 66. 347 Ibid., p. 643. 348 Ibid., p. 643-644. 349 Ibid., p. 641.

350 Cf. « La gestion des terres », p. 105.

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