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Les acteurs de l’opération : le cintre

Le cintre des stèles de donation représente l’opération qu’elles commémorent à travers une scène d’offrande faisant intervenir ces différents protagonistes. Complémentaire au texte, cette représentation symbolique est présente sur toutes les stèles rassemblées par Dimitri Meeks, alors que leur inscription est pragmatique et se concentre sur les éléments les plus utiles dans le présent. Notre commentaire s’est jusqu’ici concentré sur ce que nous apprend l’inscription ; nous allons désormais examiner les scènes d’offrande du cintre.

a) La source de l’autorité

Nous avons vu 352 que l’identité du donateur était souvent délicate à déterminer. C’est toutefois le roi qui apparaît sur le cintre de la plupart des stèles en train de présenter le champ sous le forme du signe

sḫ.t. Cela correspond au fait qu’il demeure le véritable propriétaire du sol égyptien ; même si la donation

émane d’un particulier, il semble nécessaire que le roi offre la parcelle sur le cintre.

Cette souveraineté absolue du roi fut toutefois contrariée dans les faits au premier millénaire. L’apparition de dynastes locaux à la place du roi dans le cintre de la stèle fut donc interprétée comme une usurpation de l’autorité royale sur le sol par ses grands « vassaux » turbulents ou même ses concurrents directs. De tels exemples sont flagrants à l’époque libyenne, au cours de laquelle le Delta était divisé en plusieurs chefferies qui ne relevaient plus qu’officiellement du pouvoir royal. C’est sous les règnes de Chéchonq III et de Chéchonq V que se concentrent de telles compositions 353.

Le roi peut être accompagné de différents intervenants. Ainsi le gérant peut-il apparaître derrière le

352 Cf. « Donations privées », p. 110 ; « Donations royales », p. 112.

353 MEEKS Dimitri, « Les donations aux temples dans l’Égypte du Ier millénaire », dans LIPIŃSKI Edward (dir.), State and

Temple Economy in the Ancient Near East, t. 2 (OLA 6), Louvain, 1979, p. 605-687, p. 627, n. 82 : stèles nos 22.0.30, 22.8.3,

22.8.14 (le dynaste concerné se trouvant être l’héritier du roi), 22.8.15, 22.8.22, 22.8.31, 22.8.32, 22.10.00a, 22.10.15, 22.10.19, 22.10.36, 22.10.38 et 23.10.1.

roi354, derrière le dieu qui reçoit la donation355 ou même seul face au dieu356 ; un donateur privé peut aussi figurer derrière le roi 357. En tout cas, la présence du roi affirme son autorité sur la terre ; à ce titre les rares cintres sur lesquels il ne figure pas (et où il n’est pas évincé par un dynaste présomptueux) s’expliquent difficilement. Sur quelques exemples 358, c’est le gérant qui est représenté seul devant la divinité, et dans un cas exceptionnel 359, le donateur et le gérant figurent ensemble sur le cintre face au dieu. Le cas de terres transférées d’un domaine divin à un autre complique la situation.360

b) La question de l’intermédiaire

Dans un certain nombre de cas, il semble que la donation ne soit pas directement transmise du donateur au bénéficiaire, mais qu’elle passe par une sorte d’intermédiaire.361 C’est notamment le cas des donations royales, qui font parfois intervenir un prince de sang362, un haut dignitaire (surtout le « fils royal de Ramsès » à la XXIIe dynastie363, mais d’autres officiers de la cour jouent ce rôle364) ou une autorité locale

354 Ibid., p. 627, n. 83 : stèles nos 22.10.15 et 26.2.4.

355 Ibid., p. 627, n. 83 : stèles nos 26.1.22 et 26.5.34.

356 Ibid., p. 630 : stèles nos 23.1.23, 23.IX.10a et 23.IX.10b.

357 Ibid., p. 627, n. 83 : stèles nos 22.5.16 et 26.1.22.

358 Ibid., p. 627, n. 884 : stèles nos 22.0.11, 23.1.23, 23.IX.10a & 23.IX.10b.

359 Ibid., p. 627, n. 83 : stèle no 26.1.00.

360 Ibid., p. 627, n. 85 : sur la stèle no 22.8.30, le dieu Sopdou apparaît à la place du roi et peut-être en tant que donateur.

361 Ibid., p. 630-640 ; DE MEULENAERE Hermann, « Quelques remarques sur des stèles de donation saïtes », RdÉ 44, 1993,

p. 11-18, p. 12-14 ; MENU Bernadette, « Fondations et concessions royales de terres en Égypte ancienne », DHA 21-1, 1995,

p. 11-55, p. 35 ; pour un récapitulatif des prépositions qui les introduisent dans les inscriptions, cf. fiche récapitulative donnée en annexes (« Prépositions d’usage particulier » et « Cas “ litigieux ” »).

362 MEEKS Dimitri, « Les donations aux temples dans l’Égypte du Ier millénaire », dans LIPIŃSKI Edward (dir.), State and

Temple Economy in the Ancient Near East, t. 2 (OLA 6), Louvain, 1979, p. 605-687, p. 636, n. 123 : un « fils royal » (no

26.5.55), si toutefois ce titre désigne véritablement un parent du roi et non un fonctionnaire particulier (cf. note suivante). 363 Ibid., p. 631 et p. 632, n. 105, d’après laquelle le « fils royal de Ramsès » pourrait être une sorte de vizir ou

d’administrateur d’une partie du Delta, comme le « fils royal de Kouch » et le « fils royal de Nékheb ».

(wr ꜥꜣ « grand chef » aux XXIIe et XXIIIe dynasties365, ḥꜣty-ꜥ « gouverneur » de la métropole provinciale à l’époque saïte366). Ces intervenants apparaissent ainsi parfois dans le cintre de la stèle, derrière le roi.

Dimitri Meeks a commencé par supposer qu’il était nécessaire que les donations passassent par un intermédiaire, en notant toutefois qu’il existait un exemple de donation royale pour laquelle le roi était introduit par une préposition qui correspond d’habitude à cet intermédiaire, -r ; il en a conclu que l’intermédiaire était peut-être superflu dans la capitale même.367 Herman de Meulenaere a réexaminé les donations susceptibles de faire intervenir un intermédiaire à l’époque saïte ; pour lui, il s’agissait plutôt d’un personnage représentant le roi au cours de l’opération afin de transmettre la parcelle.368 Cela expliquerait en outre que le roi lui-même apparaisse dans cette position lorsque la donation s’effectue dans sa capitale.

Par ailleurs, à l’époque saïte, l’« intermédiaire » chargé de transmettre la donation au temple est très souvent le ḥꜣty-ꜥ « gouverneur » de la métropole provinciale ; Dimitri Meeks leur a ainsi attribué le rôle de diriger le clergé de leur province369 (qui constitue en somme un département administratif parmi d’autres).

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