• Aucun résultat trouvé

A NALYSE DE DISCOURS ET STRATÉGIES DISCURSIVES : RÉVÉLER LA PERSONNE

P ROBLÉMATIQUE ET MÉTHODOLOGIE

2.3 A NALYSE DE DISCOURS ET STRATÉGIES DISCURSIVES : RÉVÉLER LA PERSONNE

RELATIONNELLE PAR LA LINGUISTIQUE ET L’HOLISME DE SENS

L’approche socio pragmatique du langage (Fortin, 2007) est apparue comme celle susceptible d’arriver à mettre en évidence les actes du langage95 ordinaire (Austin,

1991; Searle, 1972) par lesquels les individus, en l’occurrence les pères homosexuels rencontrés, agissent sur leur environnement par leurs mots. Par l’ironie, la caricature ou encore l’exemplification et l’acte d’informer, actes de langage observés de façon récurrente à des moments précis des entretiens, on a pu accéder aux implicites signifiants, et ainsi passer d’une description « plate » d’un l’individu « identitairement » atomisé à une description « épaisse » d’une personne qui cumule les statuts96 « relatifs et

relationnels » (Théry, 2007). Ainsi, analyser les stratégies discursives derrière la quête

95 Par « acte de langage » ou « acte de parole », il est entendu le fait que la parole, ni vraie, ni fausse,

dépasse la simple réalité de dire quelque chose, mais inclut celle de « faire » également. La communication implique un but avoué ou inavoué, le déclenchement d’une action-réaction sur autrui, et serait pour cette raison à la fois « performative et constatative » (Searle, 1972 ; Austin, 1991).

96 Une personne cumulant les statuts à la fois asymétriques à certains égards et moins à d’autres selon

43

d’un droit à l’indifférence97 au quotidien (Théry, 2007 et 2013; Fraissé, 2013) permet, à

double-titre, de dépasser les explications identitaires et substantielles (Foucault, 1993, 1976; Théry, 2007) qui se glissent dans le langage98 et celles qui oblitèrent de distinguer

autorité et pouvoir dans la compréhension et l’appréhension de ces statuts, asymétriques certes, mais non nécessairement infériorisé99.

Rendre visibles les orientations affectives des interrogés par rapport à des thèmes particulièrement connotés en émotions (la gestation pour autrui et l’égalité des sexes et des sexualités situées, ou encore les rôles parentaux et l’inversion de genre homosexuelle) permet de repérer leur travail de représentations médiées par des symboles communs, tout en les articulant pour les illustrer à leurs pratiques (Glaser et Strauss, 1973). Peut-être plus fondamentalement encore, l’examen des stratégies, discursives dans ce cas-ci, veut recréer un « effet de réalité », un rapprochement avec le lecteur du monde sensible et de sens tel que décrit par les interrogés (Glaser et Strauss, 1973)100. La trame narrative proche de celle d’une histoire de la parentalisation que l’on

raconte obéit à la même raison.

97 Le droit à l’indifférence en constituant une forme de reconnaissance sociale implique des stratégies de

différenciation en même temps que des stratégies d’indifférenciation pour être pareil, mais différent ou soi-même, tout en étant parmi les normaux (Fraissé, 2013 ; Théry, 2007, 2005 et 2013).

98 Les identités, en tant que modalité omniprésente de faire sens au quotidien, sont, derrière leur

apparente rigidité, relationnelles, ou du moins doivent-elles être analysées ainsi même lorsqu’elles tendent à être naturalisées (socialement ou biologiquement) (Théry, 2007). À cet égard, la tentative de naturalisation peut être intéressante à creuser, à savoir pourquoi. Derrière le « je suis homme ou femme », il y a deux niveaux d’analyse à cerner par le chercheur : celui qui inscrit la personne dans l’espèce humaine par l’intégration ou inévitable de l’altérité des corps ou du principe de « distinction par sexe », et celui qui par une opération d’opposition infériorisent naturellement (biologique ou socialement) le sexe opposé en l’enfermant dans une division entre les sexes (Théry, 2007). En aucun cas cette approche relationnelle du langage ne rejette ou aplanit les inégalités; elles les expliquent surtout

différemment. Voir dans le texte.

99 Ce qui est probablement une question de degré et de contexte.

100 Comme le soulignent conséquemment Glaser et Strauss, en discutant de la validité des résultats

(1973) : « cet « effet de réalité », dû à la mobilisation sélective de données produites lors du terrain, n’est pas qu’un procédé rhétorique. Il témoigne aussi de l’ambition empirique de l’anthropologie. Il fait office de garde-fou pour séparer l’interprétation ethnologique empiriquement fondée de l’herméneutique libre, de la spéculation philosophique ou de l’essayisme ».

44

2.4LIMITES, ANGLES MORTS ET DÉFIS FUTURS

Les choix méthodologiques effectués dans le cadre de ce mémoire, de même que certaines considérations pratiques constatées après coup, laissent en suspens certains aspects ou angles morts sur la question. D’abord, le nombre d’entretiens, à raison d’une seule par couple, n’a pas été suffisant pour prendre de la distance par rapport aux discours des interrogés et, ainsi, prendre le temps d’identifier des sous-thèmes susceptibles d’être pertinents à l’analyse (ex. : approfondissement de la question du recours à la gestation pour autrui et du malaise y étant lié, pratiques éducatives genrées, organisation du quotidien et dynamique de couple). Aussi, et en modifiant le procédé des entretiens réalisés par Skype, mener des observations participantes dans les familles afin de recueillir un corpus plus riche et varié des pratiques éducatives (seconde partie du mémoire) aurait permis d’élargir l’étendue et la description des conclusions101. En effet,

loin de devoir être réduites à l’exclusivité d’une discussion en face à face, les entretiens ont tout avantage, le croit-on, à se rendre dynamique en étant combinées à d’autres méthodes d’observation, dont celle participante (Sardan, 1995; Chapoulie, 1991). Cela permet de rythmer différemment la relation chercheur-interrogé et, en la rythmant différemment, d’obtenir des informations plus éclectiques (Sardan, 1995). Ainsi, la saturation des informations constitue, pour ces raisons, une limite importante du mémoire.

Sur la forme, varier les médiums de communication par l’utilisation de l’écriture conjointement aux entretiens, par exemple, aurait probablement augmenté l’aisance des interrogés à se livrer au sujet de la dynamique de couple. Sur certaines questions, telles que les conflits102 qui n’ont pris qu’une place (trop) marginale dans les entretiens, mais

dont l’approfondissement aurait permis de pousser plus loin le rapport aux normes, l’analyse a dû se borner à en présenter un court passage.

101 Ajoutons que les enfants des parents rencontrés étaient, à l’exception d’un seul, très jeunes et, pour

cette raison, l’observation participante aurait été de mise. Cela aurait pu permettre une description et une explication plus en profondeur.

45

L’implication de distinctions sur le plan des origines socio-économiques a été très vite remarquée, mais n’a pu être prise en compte, faute de données supplémentaires. Si la mobilisation sociale caractérise les trajectoires de plusieurs des pères, elle n’efface pas non plus les appartenances d’origines dont les effets s’observent dans les rapports différenciés aux normes/stéréotypes de genre, dans les stratégies de contournement103

privilégiées (Pélage et al. 2016) de même que dans les rapports à l’intime qu’elle encadre.

103 Certaines stratégies de contournement, même si elles peuvent être utilisées indépendamment de la

classe sociale, ne le sont jamais pareillement ni en même proportion, le suppose-t-on. Ainsi, neutraliser ou rendre moins visible les normes et stéréotypes de genre pour se distinguer n’est pas liées aux mêmes explications selon les classes. De même, selon les questions abordées, l’une a davantage tendance à naturaliser le social et l’autre le biologique, et ce en tenant compte de l’importance de créer du lien légitime, de la « vraie famille » (Mailfert, 2002) qui est commune à l’ensemble des parents (Théry, 2007; Gratton, 2008).

46

C

HAPITRE

III :

PARENTALISATION ET TRAVAIL DE

SYMBOLISATION

« On ne nait pas parent, on le devient »- Florent