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2. Naissance de la phrase

Ceux qui n’ont pas entendu ce géant à longues moustaches de Gaulois s’exalter sur une phrase, la face congestionnée, les bras au ciel, prendront dans cette correspondance une idée de cette violence de passion intellectuelle. (99 - BOURGET, P., Etudes et portraits - Portraits d’écrivains. Notes d’esthétique. Paris : A. Lemerre, 1894. 2 Vol., In -16. - t. 1, p. 126)

L’analyse de la proposition occupe une place d’importance dans les lettres à Colet, Leroyer de Chantepie et Sand. Elle traduit l’attention forcenée de l’écrivain à l’égard des éléments moteurs de la mécanique littéraire. Aussi cette confrontation à la phrase oscille-t-elle entre Eros et Thanatos.

L’écriture est la première concubine de Flaubert. Elle est rêvée dans son absolue beauté, contemplée dans ses possibles, jugée à travers ses imperfections. Une phrase élégante qui se cherche et se trouve est à l’écrivain ce que la femme est à la volupté.

Les récits de lectures sont vibrants de cet amour de la phrase. Ils problématisent le plaisir intellectuel. Venant de lire L’Enéide, l’épistolier relate à sa maîtresse : « il y a des phrases qui me restent dans la tête et dont je suis obsédé, comme de ces airs qui vous reviennent toujours et qui vous font mal tant on les aime »1. La satisfaction éprouvée devant un beau texte procède d’une parfaite adéquation entre l’idée et son expression. Cette esthétique au sens étymologique de sensation du Beau -ordonne le rapport à la vie et à l’Autre. Si Flaubert s’abstrait de la société et de la femme, c’est afin de pénétrer avec plus d’intensité les arcanes de cet hédonisme artistique. « ... je peux du matin au soir, et sans qu’aucun incident, si léger qu’il soit, me dérange, suivre la même idée, et retourner la même phrase »2 précise-t-il. Ce souci de la phrase parfaite participe d’une volonté d’unité dans les contrastes de tons, de pensées et de formes. En regard de Madame Bovary, Flaubert formule ce principe fondateur de son écriture : « Il faut que les phrases s’agitent dans un livre comme les feuilles dans une forêt, toutes dissemblables en leur ressemblance »3. Mais le travail de la phrase n’apporte pas que des réjouissances. C’est un supplice sur l’échafaud de la Beauté.

1

(1 - C., 17 septembre 1846, Corr. I, p. 346)

2

(1 - C., 25 octobre 1853, Corr. II, p. 477)

3

Les ombres de Thanatos entachent les moments d’inspiration de l’écrivain. Les quasi cinq cents pages de la version définitive de Madame Bovary sont le fruit de plus de trois mille six cents pages de brouillons et d’une soixantaine de scénari partiels. Ces errances et ces atermoiements constituent des leitmotive épistolaires. L’approche « déconstructiviste » est exprimée par l’emploi du verbe destructeur « redémolisse ». « Ça s’achète cher, le style ! Je recommence ce que j’ai fait l’autre semaine. Deux ou trois effets ont été jugés hier par Bouilhet ratés, et avec raison. Il faut que je redémolisse presque toutes mes phrases »4 remarque Flaubert. L’écrivain confesse ses écueils phrastiques : « ... la Bovary, dont la moindre phrase me semble plus malaisée que tous les articles Pompadour du monde »5. Délicat voire impossible, ce travail de la phrase repose sur la recherche de l’expressivité, la lutte contre les répétitions, et la réflexion sur les articulations du discours.

2.1 - La recherche de l’expression

La connaissance qui leur manque à tous (les littérateurs), c’est l’anatomie du style, comment une phrase se membre et par où elle s’attache. (1 - C., 7 septembre 1853,

Corr. II, p. 427)

La phrase flaubertienne est un dispositif dans lequel les éléments linguistiques sont combinés de façon scientifique. Les finalités d’expressivité et de réalisme sont au coeur de cette démarche. Ici et là dans ses lettres, l’écrivain déprécie un usage grammatical ou une figure de style.

Le déni du démonstratif neutre et des approximations lexicales a voix au chapitre lorsque Flaubert critique L’Institutrice - une comédie de Colet. « J’ai parcouru rapidement le 1er acte de

L’Institutrice. J’y ai vu beaucoup de ça, dont tu abuses encore plus que moi »6 écrit-il à sa maîtresse le 27 mars 1852, « mais que d’abus de ça ! »7 réitère-t-il le 8 avril. Ce refus de l’indétermination modalise son attachement à la précision lexicale.

Cette quête de l’expressivité est liée à la configuration mentale antithétique de Flaubert et a fortiori à ses modalités d’écriture bipolaire.

Q

4

(1 - C., 12 septembre 1853, Corr. II, p. 429)

5

(1 - C., 22 avril 1854, Corr. II, p. 559)

6

(1 - C., 27 mars 1852, Corr. II, p. 67)

7

L’Antithèse est chez l’écrivain un état d’esprit avant d’être un trope. Cette figure est selon Jankélévitch« la « limite » hyperbolique d’une Alternance où les contraires successifs sont devenus simultanés »8. Dans la Correspondance, cette écriture duelle interroge différents motifs : la personnalité de l’écrivain, sa vie, sa sociabilité, son Oeuvre et sa vocation.

« ... à propos de rien il me vient toujours des comparaisons, des rapports, des antithèses dont tu es le centre »9 annonce Flaubert à sa maîtresse. Homme de contrastes, il lie le dysphorique à l’euphorique, le négatif au positif. Il a une attraction naturelle pour les contraires. Le 27 mars 1853, il confesse à Colet son souci de désolation par une anecdote assimilant parfum fruitier et odeur de charnier :« Je veux qu’il y ait une amertume à tout, un éternel coup de sifflet au milieu de nos triomphes, et que la déploration même soit dans l’enthousiasme. Cela me rappelle Jaffa où, en entrant, je humais à la fois l’odeur des citronniers et celle des cadavres ! »10.

Cet instinct de dégradation participe d’un mouvement de construction et de déconstruction. Une série de sèmes contradictoires « joie » VS « douleur », « félicité » et « plaisir » VS « ruine » -rend compte de cette bipartition psychique : « Il faut que chaque joie soit payée par une douleur, que dis-je ? par une, par mille ? Je n’ai donc pas tort de ne pas trop les rechercher ! La félicité est un plaisir qui nous ruine »11. Cette fascination de la corruption s’accompagne d’un large faisceau de métaphores mortifères accentuant le caractère antithétique de la phrase. Le 28 septembre 1851, l’épistolier stigmatise l’architecture paysagiste des cimetières en distinguant de façon appuyée l’« ordre » du « désordre » : « - Je déteste les jardinets autour des tombeaux, avec des plates-bandes ratissées et des fleurs épanouies. Cette antithèse m’a toujours semblé de basse littérature. (...) Est-ce bête, l’ordre ! c’est-à-dire le désordre, car c’est presque toujours ainsi qu’il se nomme »12. Rien n’échappe à cette affectivité à double tranchant, à cette centration négative de la proposition. A propos d’un « grand rangement », Flaubert écrit à Colet qu’il sera « à la fois, très triste et très amusant, très pénible et assez sot »13. L’emploi de la préposition « à la fois » dénote la simultanéité des états de conscience de l’écrivain et la cooccurrence des adverbes d’intensité « très ... très ... très ... assez » manifeste son hyperbolisation constante de l’énoncé.

8

(308 - JANKÉLÉVITCH, V., L’ironie ou la bonne conscience. Paris : PUF, 1950. - 171 p. - p. 121. - (Bibliothèque de Philosophie contemporaine))

9

(1 - C., 17 septembre 1846, Corr. I, p. 345)

10

(1 - C., 27 mars 1853, Corr. II, p. 283)

11

(1 - C., 12 septembre 1846, Corr. I, p. 336)

12

(1 - C., 28 septembre 1851, Corr. II, p. 6)

13

Le rapport de l’épistolier à la femme cristallise cette dualité entre esprit et phrase, sentiments et fragments d’un discours amoureux - comme eût dit Barthes. Les différences relevées entre la personnalité masculine et celle de Colet se matérialisent dans la microstructure épistolaire par un lexique traduisant une inégalité de statut. Le 15 janvier 1847, Flaubert opère une distinction entre majeur et mineur - et par conséquent entre supérieur et inférieur - en ayant recours aux sèmes /grand / VS /enfant/ : « Tu m’as jugé trop grand, enfant. Si tu m’eusses vu comme on voit tout le monde, tu aurais passé près de moi sans me regarder, ou tu m’aurais quitté sans peine. Moi je ne te quitterai pas le premier. Pense toujours à moi, mais tâche de me juger »14. Corollaire menaçant de la relation féminine, l’expression affirmée d’un désaveu de la paternité contribue à enfermer la phrase dans l’opposition. Le 10 octobre 1846, cette négation de la filiation est exprimée par un rapprochement entre naissance et malheur, et autant de fantasmes privatifs - « sans famille », « sans qu’on m’aime » - et d’occurrences adversatives, « sourire (...) coeur » VS « souffrances (...) attractions dangereuses » :

Ne me parle plus du désir que tu as d’avoir un enfant. Quelle tentation te pousse-t-elle au malheur ? Non, non, moins on prend de la vie, et plus vite elle passe. Que ne suis-je né sans famille, seul sans qu’on m’aime. - Oui, on dit tout ça, on le pense et puis à un sourire, à un regard tout votre coeur se fond, l’homme avec tous ses instincts se réveille, la bête parle et on succombe. - Je ne me guinde vers un faux idéal de stoïcisme mais, comme Panurge fuyait les coups « lesquels il craignait naturellement », j’évite les occasions de souffrance et les attractions dangereuses d’où l’on ne revient plus15.

Cette peur d’aimer dépasse de beaucoup le refus d’être père. Elle renvoie à des expériences relationnelles traduites par un lexique antithétique. Les 27-28 août 1846, il s’agit de l’opposition « crié » VS « chanté » : « j’ai trop crié dans ma jeunesse pour pouvoir chanter, ma voix est rauque »16. L’écrivain développe l’idée de cette faille affective née de passions rentrées ou déçues. Affectivement brisé, son rapport aux mots garde l’empreinte de cet échec relationnel. Le 22 septembre 1846, il livre à sa maîtresse le récit d’une entrevue troublée avec une jeune fille - et de ses conséquences :

La mère entra là-dessus, elle comprit tout, et sourit en songeant à la consommation du gendre. Je n’oublierai pas ce sourire. C’est ce que j’ai vu de plus sublime. Il était composé d’indulgence bénigne et de canaillerie supérieure. - Je suis sûr que la pauvre fille s’était laissée aller à un mouvement de tendresse invincible, à une de ces fadeurs de l’âme où il semble que tout ce qu’on a en vous se liquéfie et se dissout, agonie voluptueuse qui serait pleine de délices si on n’était prêt à éclater en sanglots ou à fondre en larmes. - Tu ne peux 14 (1 - C., 15 janvier 1847, Corr. I, p. 428) 15 (1 - C., 10 octobre 1846, Corr. I, p. 384) 16 (1 - C., 27-28 août 1846, Corr. I, p. 316)

pas te figurer l’impression de terreur que j’en ai ressentie. J’en suis revenu chez moi bouleversé et me reprochant de vivre. Je ne sais pas si je m’étais exagéré les choses mais moi qui ne l’aimais pas, j’aurais donné ma vie avec plaisir pour racheter ce regard d’amour triste auquel le mien n’avait pas répondu17.

L’antithèse de l’amour et de la mort est toujours manifeste chez l’épistolier. L’impossibilité de l’Eros - la construction de la relation amoureuse - commande le désir de finitude. Flaubert répète de façon obsessionnelle l’influence et l’étendue des passions de tête de son passé. Le 24 avril 1852, il s’interroge sur le clivage de ses ambitions et de ses déceptions amoureuses - « énergie » VS « tristesses » -, et le contraste entre blocage et élan relationnels - « intérieure » VS « extérieure » :

J’ai été bousculé de passions dans ma jeunesse. - C’était comme une cour de messageries où l’on est embarrassé par les voitures et les portefaix. C’est pour cela que mon coeur en a gardé un air ahuri. Je me sens vieux là-dessus. Ce que j’ai usé d’énergie dans ces tristesses ne peut être mesuré par personne. Je me demande souvent quel homme je serais si ma vie avait été extérieure au lieu d’être intérieure, ce qu’il serait advenu, si ce que j’ai voulu autrefois, je l’eusse possédé18.

Cet éclairage ombrageux d’une jeunesse dépasse le cadre de la correspondance avec Colet. Le 4 novembre 1857, dans une lettre à Leroyer de Chantepie, le travail antithétique du temps - le souvenir de l’amitié associé à la mort et à la métamorphose - et les écueils - exprimés par l’opposition des sèmes positifs /amour/, /gloire/, /beau/ avec les sèmes négatifs /racorni/, /usé/, /flétri/ - enferre la phrase dans un espace de souffrance :

Comment s’est passée votre jeunesse ? La mienne a été fort belle intérieurement. J’avais des enthousiasmes que je ne retrouve plus, hélas ! des amis qui sont morts ou métamorphosés. Une grande confiance en moi, des bonds d’âme superbes, quelque chose d’impétueux dans toute la personne. Je rêvais l’amour, la gloire, le Beau. J’avais le coeur large comme le monde et j’aspirais tous les vents du ciel. Et puis, peu à peu, je me suis racorni, usé, flétri19.

L’expressivité antithétique de ces propositions ne se limite pas à l’exploitation thématique de paradoxes personnels. Elle concerne aussi les questions de l’Art et de l’Oeuvre.

Allergique à la paresse, au bonheur, à la satisfaction, Flaubert considère son investissement littéraire comme une torture et une fatalité. La collusion entre absolu et contingences nourrit son esprit d’analogies dépréciatives. Le 21 août 1853, les notions d’« idéal » et de « soleil » sont opposées aux éléments négatifs « crasses » et « Terre »; les contemporains de l’écrivain - les « aigles » - sont quant à eux démasqués comme de vulgaires « dindons » :

17

(1 - C., 22 septembre 1846, Corr. I, pp. 359-360)

18

(1 - C., 24 avril 1852, Corr. II, p. 82)

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L’idéal est comme le soleil; il pompe à lui toutes les crasses de la Terre. - On n’est quelque chose qu’en vertu de l’élément où l’on respire. (...) Je crois que si l’on regardait toujours les cieux, on finirait par avoir des ailes. (...) A propos d’ailes, que de dindons sont ici-bas ! Dindons qui passent pour des aigles et qui font la roue comme des paons20.

Cette antithèse est filée tout au long de la Correspondance. Elle éclaire les aléas de l’écrivain dans son rapport au monde.

Après avoir prédit à Colet un destin glorieux, Flaubert réfléchit sur son avenir en faisant montre de sa petitesse eu égard à la grandeur de ses références artistiques :

A moins d’être un crétin, on meurt toujours dans l’incertitude de sa propre valeur et de celle de ses oeuvres. Virgile même voulait en mourant qu’on brûlât L’Enéide. Il aurait peut-être bien fait pour sa gloire. Quand on se compare à ce qui vous entoure, on s’admire; mais quand on lève les yeux plus hauts, vers les maîtres, vers l’absolu, vers le rêve, comme on se méprise !21

La contradiction entre récompense littéraire et torture de l’écriture est partie prenante d’un sentiment de faillite. L’écrivain ne désire pas la postérité, doute des possibles résonances critiques de son oeuvre, et s’insurge logiquement contre les propos élogieux de son amante. Le 19 septembre 1852, il lui exprime son pessimisme en employant les sèmes ennemis /gloire/, /avenir/, /acclamations/ VS /résigner/, /travailler/, /nègre/ :

Tu me parles encore de gloire, pauvre chère Louise, de gloire, d’avenir, d’acclamations. Ce vieux rêve ne me tient plus, parce qu’il m’a trop tenu. Je ne fais point ici de fausse modestie; non, je ne crois à rien. Je doute de tout, et qu’importe ? Je suis bien résigné à travailler toute ma vie comme un nègre sans l’espoir d’une récompense quelconque. C’est un ulcère que je gratte, voilà tout22.

Ce sentiment explique le succès épistolaire de la figure de l’écrivain incompris. En décembre 1875, dans une lettre à Sand, les relations de Flaubert avec le monde littéraire sont placées sous le signe de la divergence grâce à l’opposition des sèmes /recherchent/ VS /méprise/ et des termes « s’inquiètent médiocrement » VS « tourmente » :

A propos de mes amis, vous ajoutez « mon école ». Mais je m’abîme le tempérament à tâcher de n’avoir pas d’école ! A priori, je les repousse, toutes. Ceux que je vois souvent, et que vous désignez, recherchent tout ce que je méprise, et s’inquiètent médiocrement de ce qui me tourmente23.

Des antithèses introspectives aux antithèses critiques, des oppositions internes aux contrastes externes, des contrastes en soi aux contradictions d’autrui, de l’amour à l’art, la phrase épistolaire

20

(1 - C., 21 août 1853, Corr. II, p. 405)

21

(1 - C., 19 septembre 1852, Corr. II, p. 160)

22

met en scène toutes les scissions de la personnalité, de la pensée et de la sociabilité de Flaubert. Elle explique pourquoi son écriture romanesque est si riche de rapprochements d’images antagonistes ou incongrues, euphoriques ou péjoratives, et toujours ironiques. N’assimile-t-il pas la voix féminine au piaillement d’une « poule blessée »24 dans Bouvard et Pécuchet ? Cette bipolarisation psychique est liée à une certaine forme de masochisme ainsi définie par Freud:

Ce qui caractérise avant tout cette perversion (le masochisme), c’est que sa forme active et sa forme passive se rencontrent chez le même individu. Celui qui, dans les rapports sexuels, prend plaisir à infliger une douleur, est capable aussi de jouir de la douleur qu’il peut ressentir25.

L’antithèse flaubertienne est à l’épreuve du divan épistolaire. « Il y a quelque chose de faux dans ma personne et dans ma vocation. Je suis né lyrique, et je n’écris pas de vers. Je voudrais combler ceux que j’aime et je les fais pleurer »26 précise l’écrivain à Colet en regard de sa personnalité paradoxale. Poète déçu et impossible amoureux, il extériorise et canalise ses névroses en « surinvestissant » sa pensée dans l’introspection psychologique et la théorisation de l’art. Ses discours sur l’homme, la création et l’Oeuvre empruntent les chemins d’un travail forcené sur l’idée et le mot.

2.2 - Le refus de la répétition

Quelquefois, quand je me trouve vide, quand l’expression se refuse, quand après (avoir) griffonné de longues pages, je découvre n’avoir pas fait une phrase, je tombe sur mon divan et j’y reste hébété dans un marais intérieur d’ennui. Je me hais, et je m’accuse de cette démence d’orgueil qui me fait haleter après la chimère. (1 - C., 24 avril 1852, Corr. II, p. 75)

Si répéter est la base de l’enseignement, elle n’est pas celle de l’écriture de Flaubert. Homme du « singulatif »27 à tous les niveaux de la structure littéraire, l’écrivain n’aime pas à employer ou à voir employer plusieurs fois les mêmes termes. Voilà pourquoi il désavoue les répétitions dans son rapport au langage comme dans sa critique des écrits de Colet.

23

(1 - S., Fin décembre 1875, Corr. IV, p. 1000)

24

(32 - FLAUBERT, G., Bouvard et Pécuchet. Edition de René DUMESNIL. Paris : Les Belles Lettres, 1945. - 2 vol. - p. 56)

25

(219 - FREUD, S., Trois essais sur la théorie de la sexualité. Paris : Gallimard, 1942. - 180 p. - p. 41)

26

(1 - C., 25 octobre 1853, Corr. II, p. 457)

27

(Sur cette notion ,voir GENETTE, G., Figures III, p. 147 In 295 - GENETTE, G., Figures I, Figures II, Figures III. Paris : Seuil, 1966-1969-1972. - 3 Vol. - 268 p., 300 p., 286 p.)

Dans les lettres à la Muse, Flaubert consacre les « répétitions de mots »28 comme une des difficultés majeures de son art. Tourmenté par l’enfermement du sujet de Madame Bovary dans le milieu bourgeois, il ne sait que faire pour parer aux redites. La répétition est affaire de redondance phonétique, et plus particulièrement d’assonances. Elle entraîne des longueurs d’expression dommageables, grève l’alacrité et la finesse du style recherché. « Je passe des journées entières à changer des répétitions de mots, à éviter des assonances ! Et quand j’ai bien travaillé, je suis moins avancé à la fin de la journée qu’au commencement »29 déplore-t-il. « Cauchemar »30 de l’écrivain, la répétition intéresse aussi bien les éléments constitutifs d’une analyse psychologique - « Quelle difficulté qu’une narration psychologique pour ne pas toujours rabâcher les mêmes choses ! »31 écrit-il à la Muse - que la ponctuation théâtrale - « Quelle vilaine manière d’écrire que celle qui convient à la scène ! Les ellipses, les suspensions, les interrogations et les répétitions doivent être prodiguées si l’on veut qu’il y ait du mouvement ! et tout cela, en soi, est fort laid »32 se lamente l’apprenti-dramaturge auprès de Sand. La temporalité épistolaire de cette chasse aux répétitions met en jeu une réflexion sur l’Oeuvre tantôt rétrospective tantôt prospective. Portant à nouveau le regard sur Madame Bovary, Flaubert craint de « découvrir sans doute mille répétitions de mots qu’il faudra ôter »33. A cette crainte personnelle des répétitions, il convient d’associer la verve critique qu’il déploie afin d’affranchir les écrits féminins de l’itérativité.

A la différence de Flaubert, Colet n’envisage pas la littérature comme une discipline scientifique. Femme d’instinct et de passion, elle oppose son vers spontané à la prose ciselée de l’écrivain. Ce qui explique les interminables corrections engagées dans l’espace de la lettre. Critiquant un poème intitulé Hugo, l’épistolier s’indigne des redondances référentielles de sa maîtresse : « Des fronts charmants, des têtes inspirées répétition de la même idée; lourd et surtout bien vague d’expression à côté du détail si précis bordures dorées »34. La précision est une longue patience, observe-t-il à l’heure de La Paysanne. Il voit dans ce poème des lenteurs consécutives à

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