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à vocation industrielle ?

I.2.2. Désimbrication des espaces et des relations ville/usine

I.2.2.2. Mutations des relations ville-usine

Les relations entre la ville et les espaces de production se sont profondément modifiées. La chute de l’emploi industriel et les fermetures d’usines remettent en cause les équilibres économiques et sociaux existant jusqu’alors. Cela se traduit, nous l’avons vu, par une baisse démographique et par une modification du statut des emplois. Par ailleurs, le tissu urbain en est lui aussi le reflet. Le départ des industries a laissé la place à des friches ou des dents creuses, qui nécessitent parfois des travaux de dépollution importants45 avant leur réaffectation et leur requalification. La géographie des relations entre l’espace urbain et l’espace usinier se modifie à mesure que les conséquences de l’internationalisation des entreprises s’impriment dans la ville et dans l’espace vécu de cette ville par les différentes catégories socioprofessionnelles. Ainsi en est-il plus particulièrement des rapports des salariés et des dirigeants des entreprises, se distendant, passant d’une communauté de vie professionnelle dans la même ville à la distanciation des responsables d’entreprises en une autre ville voire un autre pays. Cette distance crée alors une situation d’inaccessibilité physique des dirigeants et un vécu différent de la ville et de ses ressources.

45 La Loi Barnier de 1993 impose au dernier occupant d’assumer les coûts de dépollution. Il reste pourtant le problème posé par les sites dits « orphelins » dont les derniers exploitants sont insaisissables ou insolvables.

I.2.2.2.1. Distanciation des rapports salariat-patronat et des rapports ville-entreprise Jusqu’aux premières délocalisations nationales, sinon le patron du moins un directeur logeait en ville permettant un affrontement direct, mais aussi des négociations plus riches entre les deux parties. Ainsi ce fut le cas au Creusot du temps des Schneider, ou à Bourges pour les usines Mazières par exemple. Ceci d’autant plus que le patron pouvait ajouter aux prérogatives de la vie professionnelle, celles d’être propriétaire des logements. La mondialisation, l’internationalisation des entreprises a introduit dans ces rapports une distanciation physique et donc psychologique entre salariat et direction.

Ainsi, la ville n’est plus le lieu des revendications et de la colère contre une direction, mais le lieu de rencontre d’une autorité locale à qui l’on demande une prise de position, une intervention. Cette défense des salariés dans le conflit ne constitue cependant pas la règle. Elle peut toutefois se faire avec force comme cela a pu être le cas, par exemple, dans les années 1970, lors du premier plan de licenciements chez Chausson46 Gennevilliers, avec une démonstration physique des élus ou des interventions dans la presse, comme a pu le faire plus récemment R. Muzeau47 lors de la fermeture d’une partie du site de production d’Aubert & Duval. Dans ce cas la relation ville-entreprise est devenue quasiment inexistante.

Aubert et Duval

« Roland Muzeau, premier adjoint au Maire, notamment en charge du développement économique et de l’action pour l’emploi a

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En juin 1975, Lucien Lanternier, maire de Gennevilliers et Jacqueline Frenay, maire-adjointe s’asseyaient sur la chaussée de l’avenue Gabriel Péri pour empêcher la sortie des outils de presse de l’usine. Massera, B., Grason, D., Chausson : une dignité ouvrière,Paris, Editions Syllepse, coll. Le Présent Avenir, 2004, 379 p.

demandé à rencontrer M. Iweins, le directeur de la société Aubert & Duval. Dans un courrier qu’il lui adressait fin septembre, le sénateur Roland Muzeau s’étonne : « La presse, ainsi que les salariés d’Aubert &

Duval m’informent de la décision de vente de 31 000 m² de locaux à Gennevilliers. Il m’est indiqué également que quarante emplois seraient supprimés par un nouveau plan social. Il est regrettable que la Ville n’ait jamais été informée ni consultée sur un tel projet. Vous mesurez pourtant la situation très difficile de maintien d’emplois dans la Boucle de la Seine, situation qui s’aggrave avec votre décision. » Une décision

d’autant plus surprenante que, dans son Plan local d’urbanisme, la Ville avait intégré la possibilité d’un développement d’Aubert & Duval. »

Texte 1 - Article de Gennevilliers Magazine. Novembre 2006.

L’espace interface entre la fonction exécutive et la fonction décisionnelle n’est plus compris dans les murs de la ville. Il est à l’extérieur et tend à être de plus en plus virtuel. Pierre Veltz parle d’un processus de « déliaison entre le territoire et l’industrie »48 qui s’est amorcé dès la période des Trente Glorieuses comme une phase suivant l’époque du paternalisme.

Cela se matérialise par une mobilité croissante des entreprises que nous avons précédemment évoquée à propos des délocalisations. Il s’agit à la fois d’une accentuation des logiques de désengagement vis à vis du territoire et d’une logique de constitution des réseaux industriels, notamment en ce qui concerne la centralisation des politiques d’achat dans les firmes. Les coûts de transport ayant longtemps diminué, ils ne constituent plus un paramètre de premier ordre par rapport aux avantages de la centralisation des achats, et ce, sur de longues distances. Cette déliaison peut être illustrée en de nombreux lieux où une entreprise peut être

48 Veltz, P., « Les territoires de l’industrie : sites et réseaux », in Actes du colloque « Y a-t-il une

architecture industrielle contemporaine ? » Institut Claude-Nicolas Ledoux, Saline royale

délocalisée, fermée sans aucun lien avec la localité et les salariés : ainsi la décision, en 2005, de la direction de la société Honeywell Aftermarket Europe située aux Etats-Unis, de délocaliser la plate-forme du port de Gennevilliers à Beauvais. Cette entreprise avait déjà vu fondre ses effectifs de 110 salariés en 2002 à 39 en 2005. La décision ne prend donc apparemment pas en compte le territoire urbain, mais relève d’une seule stratégie de regroupement de sites et d’économies en termes de transports et de stockage. Ce processus de déliaison, voire de déterritorialisation des services de décision des entreprises et du territoire d’implantation a été poussé à son paroxysme avec le cas de Metaleurop à Noyelles-Godault49.

Ainsi, quel que soit l’exemple étudié, les nouvelles logiques mises en œuvre aboutissent de façon systématique à une rupture des liens géographiques entre les sites, leurs sous-traitants et les fournisseurs et, conséquemment, entre les lieux décisionnels et les salariés. Le départ progressif de l’industrie pour diverses raisons (délocalisation, suppression d’un débouché pour la production, etc.) a donc engendré une modification sensible du tissu socio-urbain, tant d’un point de vue économique que du rapport à la ville et l’usage de la ville par les acteurs de l’industrie.

Reste toutefois que ces entreprises ne se développent pas « hors-sol ». Ce désengagement vis-à-vis du territoire traduit l’évolution des éléments pris en compte pour l’implantation d’unités de production dans le cadre de la décomposition internationale du processus productif, les réseaux pèsent aujourd’hui plus de poids que les territoires eux-mêmes dans la prise de décision. Il s’agit bien d’un passage à une géographie de la communication et de l’information, utilisant ces mêmes réseaux.

49 En mars 2003, la restructuration de Metaleurop aboutit à la liquidation de sa filiale Metaleurop Nord qui exploite une fonderie à Noyelles Godault. Pour les salariés, les dépenses ont été

I.2.2.2.2. Relégation des espaces industriels : exurbanisation.

D’autres logiques aboutissent elles aussi à une rupture des liens entre l’unité de production et son territoire d’implantation : problèmes économiques mais aussi de sécurité et de prévention.

Les capacités d’agrandissement, l’accessibilité pour les transporteurs sont souvent déficientes pour les entreprises dans le tissu urbain, ce qui entraîne leur déménagement ou leur aménagement en périphérie des villes, à proximité des échangeurs autoroutiers ou des voies de chemin de fer.

Toutefois, ces éléments ne sont pas l’unique dimension de la situation des établissements. L’usine est de plus en plus ressentie, notamment depuis la catastrophe de l’usine AZF de Toulouse le 21 septembre 2001, comme porteuse de dangers immédiats ou à retardement, posant notamment le problème de la pollution et, à long terme, de l’éventuelle possibilité de réutiliser le sol à des usages qui ne soient pas obligatoirement industriels.

La législation sur le risque industriel et technologique avec, en dernier lieu, la loi du 30 juillet 2003, en prévoyant un plan de prévention des risques technologiques, un zonage, des périmètres de sécurité, participe au processus d’éloignement des établissements industriels du centre-ville.

L’éloignement de ces établissements peut aussi être du fait des acteurs industriels eux-mêmes. Ainsi, le 1er avril 2008, Sanofi-Aventis a présenté un plan de reconversion du site de production de médicaments implanté à Vitry-sur-Seine, à proximité de zones d’habitations. Cette usine, classée Seveso II avait connu précédemment des problèmes liés à ses activités et à un défaut de mise aux normes des installations entraînant des rejets de produits toxiques dans le réseau d’évacuation des eaux usées en fin d’année 2007. Il a alors été question du déménagement de la production d’antibiotiques et de vaccins pour les remplacer par un centre de biotechnologies. Ce plan de reconversion doit se traduire sur quatre ans par la

suppression « d’environ la moitié » des 661 emplois du site50. L’impact de cette décision est donc multiple. D’un point de vue économique, il s’agit d’une perte d’importance de l’activité chimique et du nombre d’emplois au lieu de travail. D’un point de vue environnemental c’est le risque qui est ainsi éloigné.