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La musique comme variable du rituel

Première forme de service, l’action rituelle pour les divinités familiales fait l’objet d’une demande expresse de la part des comman- ditaires aux spécialistes. Les rituels menés d’une part, par les Pul.l.uvan (pa¯m. pin tul.l.al « tremblement, agitation des serpents ») et d’autre part, par les Man.n.a¯n (Chant de Bhagavati et Chant de Vis.n.uma¯ya, Bhaga-

vati pa¯t.t.u’/ Vis.n.uma¯ya pa¯t.t.u’) se déroulent selon un schéma séquentiel

semblable. Plus précisément, ces rituels prennent la forme du

kal.ameluttu’ pa¯t.t.u’, expression qui signifie « chant et écriture de

kal.am ». Le kal.am (« aire ») est un large dessin de plusieurs mètres carrés, réalisé sur le sol au moyen de poudres de couleur. Epicentre autour duquel se déroule l’ensemble de l’action rituelle, il manifeste visuellement les puissances divines invoquées. Ce dessin est par ailleurs toujours accompagné de chants (pa¯t.t.u’). Deux éléments, visuel et sonore, permettent ici de définir une même forme de culte. Les spécialistes pul.l.uvan ou man.n.a¯n chargés de tracer ce dessin et d’enton- ner les chants appropriés sont donc à la fois dessinateurs et musiciens. On verra plus loin que leur fonction rituelle est en réalité bien plus étendue et que la forme de kal.ameluttupa¯t.t.u’ impliquent l’intervention d’autres acteurs (pu¯ja¯ri, chef de famille, possédés, etc.).

L’objet du présent chapitre est de rendre compte des multiples interactions qui se jouent dans le temps rituel et d’analyser comment la musique les médiatise à chacune des étapes du rite. Je présenterai tout d’abord la trame générale des rituels observés dont le déroulement est toujours fixe. Je concentrerai ensuite mon analyse sur un cas exem- plaire, un rituel aux serpents (pa¯m. pin tul.l.al), tel que j’ai pu l’observer en octobre 1999 dans la maison de Prabhakaran, un commanditaire de caste ı¯lava (malafoutiers). Cette description permettra d’envisager le rituel comme le lieu où se tisse une interdépendance entre des familles, des individus, des divinités, des sons et des images. Chaque

séquence sera analysée comme un assemblage de relations complexe dont participent toujours au moins trois acteurs et dans laquelle la musique opère comme une variable discrète.

L

ES SÉQUENCES RITUELLES

De manière schématique, les rituels menés, d’une part, par les Pul.l.uvan et d’autre part, par les Man.n.a¯n suivent une progression simi- laire. Dans la cour de la maison commanditaire, les divinités sont dessinées sur le sol au moyen de poudres colorées (technique du kal.am). Dans le cas des rituels aux serpents, ceux-ci sont représentés entrelacés les uns aux autres, en général en nombre pair, formant ainsi différentes formes géométriques. Dans le cas des rituels à la déesse et à Vis.n.uma¯ya, le kal.am peut représenter les puissances divines sous forme humaine ou au moyen de dessins géométriques abstraits.

Des offrandes de nourriture sont ensuite disposées tout autour du dessin : différents types de riz, bananes, noix de coco, raisins secs, poudre de curcuma, noix d’arec, feuilles de bétel, etc. Elles sont complétées de bâtons d’encens, de mèches enflammées et de pétales de fleurs. Ces offrandes s’adressent aux divinités que l’on dit « habi- ter » dans les différentes directions de l’image dessinée. Situées aux quatre points cardinaux et aux quatre directions intermédiaires, chaque puissance reçoit un hommage (pu¯ja). Leurs noms peuvent être mentionnés, mais pas nécessairement. Cette série de pu¯ja est généra- lement accompagnée de musique instrumentale que les spécialistes appellent « rythme » (ta¯l.am) en opposition à « chant » (pa¯t.t.u’), qui comporte une exécution vocale.

La séquence suivante est purement musicale : les spécialistes entonnent collectivement différents chants du répertoire (pa¯t.t.u’). Certaines pièces décrivent et commentent les gestes rituels qui vien- nent d’être effectués. D’autres chants consistent à narrer l’origine des divinités invoquées et leur geste, tout en célébrant leur nature divine. Le rituel se poursuit par une séance de possession (tul.l.al). Un ou plusieurs membres de la famille commanditaire, le plus souvent désignés au préalable, sont invités à se tenir, assis ou debout, sur le

dessin. Dans le cas du rituel aux serpents, il s’agit de jeunes femmes ou filles (en général non mariées) qui occupent l’image en position assise. On les appelle les vierges (kanya¯kanma¯r) ou « oracles » (ko¯maram). Destinées à être possédées par les serpents, leur corps à été rituellement préparé (repas végétarien, bain purificateur). Dans le cas du rituel pour la déesse et Vis.n.uma¯ya, ce sont toujours des hommes qui assurent cette fonction (appelés aussi ko¯maram ou « porteur de lumière » vel.iccappa¯t.u’), en position debout ou assise. Ces séances de possession se font quasiment toujours en musique. Les pièces consis- tent généralement en un appel aux divinités à se manifester et en une description des mouvements corporels de la transe à venir (rotations, tremblements, etc.). Adoptant la gestuelle et les attitudes identifica- toires des puissances divines, les possédés effacent finalement le dessin à l’aide d’une inflorescence d’aréquier (cas du pa¯m. pin tul.l.al et du rituel pour Vis.n.uma¯ya) ou par des petits bonds avec les pieds (cas du possédé par la déesse).

Séquence rituelle finale, les divinités incarnées sont interrogées. La divination consiste en une interaction entre les officiants - et parfois des membres de la famille - et les possédés dont il faut diagnostiquer les paroles exprimant satisfaction ou griefs à l’encontre de la famille. Cette succession formalisée de séquences, commune aux rituels observés, définit la forme cultuelle privilégiée des divinités familia- les1

. Ces repères une fois posés, envisageons à présent un exemple précis d’action rituelle pour les divinités serpents, telle que j’ai pu l’observer en octobre 1999 chez Prabhakaran, propriétaire terrien de caste ı¯lava.

1. Malgré l’extrême fixité des séquences rituelles, les imprévus sont assez nombreux. Il arrive, par exemple, que des possessions non attendues aient lieu durant le rituel (ex : manifestation des ancêtres de la famille, de l’ancien propriétaire de la maison, etc.). Dans d’autres cas, la manifestation des puissances invoquées peut être momentanément empêchée par la présence d’esprits néfastes (ex : esprits des mauvais morts pre¯tan). Autant de cas particuliers à chaque situation familiale auxquels les spécialistes doivent s’adapter tout en conduisant les gestes rituels dans un ordre approprié. La forme kal.ameluttupa¯t.t.u’ se retrouve, par ailleurs, dans de nombreux autres cultes kéralais (théâtre rituel mut.iye¯rru’, différents cultes à la déesse, à la divinité Ayyappa, etc.). Soulignons ici que chaque culte possède cependant ses propres répertoires de kal.am, de musique instrumentale et de chant. Cette diversité, on l’a vu, implique une certaine pluralité des castes de spécialistes chargés de les réaliser et ce, en fonction des puissances invoquées et du statut des commanditaires.

U

N RITUEL AUX SERPENTS

Prabhakaran organise chaque année chez lui trois nuits de rituels pour les divinités serpents de son domaine. Comme l’année précé- dente, Pul.l.uvan Narayanan et sa famille ont été contactés pour y officier. En arrivant, Narayanan se dirige au fond du jardin et repère l’emplacement du bosquet aux serpents (pa¯m. pin ka¯vu’). À l’abri d’un arbre, deux petites constructions de pierre surmontées d’un toit pyra- midal (citraku¯t.am « beau mont ») représentent « le serpent vierge » (Kannina¯gam) et « le serpent joyau » (Man.ina¯gam)2

. Une troisième pierre, plus petite, manifeste le Na¯gabhu¯ta présenté par Narayanan comme « le gardien du trésor des serpents »3

.

Préparatifs

Vers 15 heures, Narayanan et son fils montent le dais de cérémonie (pantal) dans la cour de la maison, quatre poteaux surmontés d’un cadre sur lequel ils tendent un système de cordage en guise de toit. Tout près, les femmes pul.l.uvan (Parvati et Sreesusha, épouse et fille de Narayanan) taillent et tissent aux côtés de leurs maris les décora- tions de feuilles de palme (kuruto¯lla). Paons, oiseaux, étoiles, perro- quets et motifs géométriques sont ensuite fixés sur le dais de cérémonie ainsi que dans le bosquet aux serpents (ka¯vu’) situé au fond du jardin. Durant les préparatifs, les espaces qu’occupent les différents participants sont clairement délimités. Alors que les Pul.l.uvan installent

2. Ces divinités sont désignées parfois leur nom puranique (Kadru et Vinata). Différentes pièces du répertoire pul.l.uvan présentent le détail du panthéon : le chant « Je récite la noble histoire des serpents » (sarpavarn.n.an.n.al.e salkatha collunnu)

décrit chaque serpent par son nombre de têtes et par son appartenance « sociologi- que » (serpents de varn.a brahmanes, ks.atriya, vais´ya et s´u¯dra). Les Pul.l.uvan font, par ailleurs, référence aux « huit serpents » de la mythologie pan-indienne (as.t.ana¯ga). 3. Comme d’autres divinités du panthéon hindou, les serpents sont accompa- gnés de divinités secondaires, souvent dangereuses, qui composent leur escorte ou armée (bhu¯ta). Elles reçoivent au cours du culte des offrandes sacrificielles. Sur l’armée des bhu¯ta au Kerala, leur mode d’incarnation dans différentes formes rituelles et leur lien avec la malemort, voir les travaux de G. Tarabout (1986, 1993b, 1994, 1998, 1999, 2001).

et décorent l’aire rituelle, les femmes de la maison commanditaire, assises dans la véranda, préparent les différentes offrandes nécessaires aux pu¯ja. Elles découpent les pétales de fleurs ixora (teccippu¯vu’) et les feuilles de tul.asi (plante médicinale proche du basilic) et entrepo- sent soigneusement les différents ingrédients et nourritures (bétel, noix d’arec, bananes, raisins secs, sucre candy, camphre, plusieurs kilos de riz paddy, blanc, brun et soufflé)4

. En cuisine, des femmes de la maison préparent la cuisson du riz pour le repas du soir tandis que d’autres terminent de moudre les différentes poudres qui serviront au tracé du kal.am : farine de riz (blanc), curcuma (jaune), feuilles (vert), balles de riz consumées (noir). Seule la préparation de la poudre rouge est confiée à une femme pul.l.uvan qui mélange, peu avant le tracé du dessin, de la poudre de curcuma avec de la chaux éteinte.

Près du dais de cérémonie, les Pul.l.uvan installent ensuite leurs nattes sur lesquelles ils déballent leurs instruments de musique : deux gros pots kut.am (monocorde à tension variable), deux vièles vı¯n.a et deux paires de cymbales ilatta¯l.am. Puis, la « grand-mère » de la maison (valiya tarava¯t.t.amma), représentante de la lignée maternelle5, entame des circumambulations autour de l’aire rituelle. Assistée de Pul.l.uvan Sudarman, elle tient en main une lampe à huile munie de mèches incandescentes (sandhya¯dı¯pam). Cette première « associa- tion » marque le début d’une alliance entre pul.l.uvan et commanditaire pour mener une action commune. La lampe est ensuite posée au centre de l’aire rituelle.

Balan, pu¯ja¯ri de caste na¯yar, utilise cette flamme pour allumer les autres lampes entourant le dais. Ce jeune homme de vingt-cinq ans a été formé, depuis plusieurs années par Narayanan lui-même. Il remplit précisément la fonction de « chef dans le kal.am » (kal.attil

kammal.)6 consistant à effectuer la série de pu¯ja dans les différentes

4. La famille commanditaire a la charge complète des ingrédients. C’est au moment de la commande du rituel, passée quelques semaines plus tôt, que les spécialistes pul.l.uvan établissent une liste précise des offrandes et accessoires à prévoir en fonction du nombre de nuits de rituel.

5. Le rôle rituel de la « Grand-mère » constitue l’un des vestiges du système de filiation matrilinéaire. Sur le système de parenté chez les Na¯yar (marumakka-

tayam), voir T.K Panikkar (1983 : 34-53), A. Sreedhara Menon (1979 : 83-92), ainsi

que les analyses de C.J. Fuller (1976), Jeffrey R. (1976), M. Moore (1983, 1985) et D.L. Neff (1995).

directions du dessin. Narayanan, est le seul du district à se rendre chez ses patrons avec son pu¯ja¯ri attitré. Généralement, le rôle revient à un des hommes de la maison commanditaire mais rares sont ceux, aujour- d’hui, qui maîtrisent ce savoir. Dans la plupart des cas, le pu¯ja¯ri apprend sur le tas et se fait guider de près par l’homme pul.l.uvan qui, de par son statut de caste inférieur, ne peut manipuler les offrandes de ses propres mains. Pour éviter ces situations de pollution, « à risque » du point de vue de l’efficacité rituelle, Narayanan a décidé de former lui-même un pu¯ja¯ri. Balan est de caste na¯yar comme la majorité des familles qui commandent les rituels.

Mise en œuvre d’une action commune

À 18 heures 30, le rituel commence par une pu¯ja pour Gan.apati et Sarasvati, divinités que l’on invoque avant toute nouvelle entreprise. Balan, le « chef du kal.am » effectue ce rite préliminaire tandis que le public s’installe peu à peu de part et d’autre du dais. Des voisins musulmans se sont joints à la fête et viennent s’asseoir non loin de l’aire. À la fin de la pu¯ja, Balan fait passer le prasada¯m (« clarté, joie, faveur »), une flamme de camphre qu’il fait tourner d’abord au-dessus des instruments kut.am puis vers les personnes présentes.

Ces préliminaires terminés, l’action rituelle commence par l’ins- tallation du ku¯ra, tissu de couleur rouge destiné à recouvrir le dais de cérémonie. Censé « retenir » les puissances divines sous le pantal afin qu’elles ne s’échappent pas, la pose du tissu permet aussi de marquer une relation d’alliance entre deux autorités : le chef de famille (appelé

ka¯ran.avan7

) et l’homme pul.l.uvan le plus âgé. Prabhakaran, chef de la famille, apporte le tissu rouge sur un plateau accompagné d’hono- raires rituels (argent, bétel, arec). Il est précédé du pu¯ja¯ri Balan qui le conduit dans ses déplacements autour du dais. Prabhakaran se place ensuite à l’Est tandis que Narayanan, officiant pul.l.uvan principal, se

Il signifie « celui qui possède, qui dirige ». Le kal.attil kammal. est donc le « chef

dans le kal.am », autrement dit le pu¯ja¯ri, « celui qui effectue la pu¯ja ».

7. Ce terme de parenté désigne d’abord l’oncle maternel, celui a qui revient l’autorité dans le système de filiation matrilinéaire. Actuellement, le terme désigne le chef de famille, c’est-à-dire le père ou le frère aîné. Au sens le plus large, il désigne une personne honorable.

place à l’Ouest. Dans ce face à face, Narayanan lui indique les phrases qu’il doit prononcer :

Je contemple en pensée les divinités du domaine (na¯t.t.il parade¯vata), la déesse (de¯vi), les serpents et les ancêtres décédés. Je réalise ainsi ce

kal.am pour vous. Tous les dieux doivent venir à l’intérieur, être favorables

et satisfaits (santo¯s.am). Et vous devez créer la prospérité dans la quatrième maison du zodiaque8.

Narayanan prend à son tour la parole :

Ô Gan.apati et Sarasvati ainsi que la déesse (De¯vi) qui est la divinité présidant au village ! Après avoir contemplé ceux qui sont morts, se souve- nant des ancêtres avec inclinaison,[effectuant une pu¯ja] avec du riz et des

fleurs ; ayant salué la lampe et leku¯ra ; ayant fait trois tours du magnifique pantal, se tenant avec le ku¯ra déplié ; le ka¯ran.avan [l’homme le plus âgé]

des Pul.l.uvan se tenant du côté Est, récite en contemplant la tradition

[pa¯ram. paryam : la lignée des ancêtres de la famille]. Le meilleur du

Serpent vierge (Kannina¯gam), Serpent joyau (Man.ina¯gam), Serpent-conque

(S´am. khuna¯gam), Serpent-joyau-antimoine (Añjanaman.ina¯gam), Serpent

noir (Karina¯gam), Serpent-joyau-bleu (Nı¯laman.ina¯gam), Na¯gayaks.i, Roi Serpent (Na¯gara¯ja¯ve¯) [noms des huit serpents du panthéon], pour vous- mêmes. Même s’il y a pollution, si les arbres du bosquet (ka¯vu’) ont été coupés et enlevés, s’ils ont été volés ; si les petits, les œufs ont été brisés, si les effigies de serpents (na¯gapratis.t.ha, citraku¯t.am) ont été détruites, si elles ont été ruinées, si un kal.am n’a pas été donné depuis longtemps – d’une manière correcte, ouvertement et clairement, nous espérons enten- dre quelques mots de vous ! Ô dieux du domaine, Ô serpent jasmin ! Sans plus tarder, venez l’esprit ouvert. En vérité, j’espère entendre vos ordres !

Dans cette série d’invocations aux divinités, Narayanan mène l’échange verbal avec Prabhakaran en lui indiquant les phrases qu’il doit prononcer. Il agit en effet dans sa position de spécialiste : lui seul connaît le détail des séquences à venir et des gestes appropriés que chacun des acteurs principaux est censé réaliser. C’est en partie de cette formalisation que dépend l’efficacité du rite et ce, à chacune de ses étapes. Tous deux, face à face, sont les représentants de deux familles, celle des commanditaires et celle des spécialistes.

8. Dans le diagramme zodiacal – établi généralement par les astrologues en fonction de l’étoile de naissance des individus –, la quatrième « maison » est celle qui correspond à la famille.

L’action commune de déploiement du ku¯ra, s’accompagne ensuite de phrases fixes et répétées trois fois de suite par les deux acteurs principaux. Pul.l.uvan Narayanan s’adresse au chef de famille : « Peut-on fixer le ku¯ra ? » demande-t-il tout en lui indiquant ce qu’il doit précisément répondre : « vous pouvez fixer le ku¯ra ». Tous deux déplient ensemble le tissu rouge et le fixent sur le toit du dais. Cet échange verbal indique que l’officiant pul.l.uvan prend la permission auprès de son « patron » de fixer le tissu. Il affirme ici sa position de spécialiste non plus en tant que détenteur d’un savoir, mais en tant qu’exécutant d’un service. L’action rituelle est menée pour le compte d’une famille commanditaire qui en retirera, seule, les bénéfices.

M

ISE EN ŒUVRE DE SAVOIR

-

FAIRE SPÉCIALISÉS

La séquence suivante, assurée par les seuls Pul.l.uvan, consiste à produire de la musique instrumentale puis à tracer le kal.am représen- tant les divinités serpents. Ces savoir-faire impliquent une certaine répartition familiale des rôles qui, on va le voir, est commune à l’exé- cution de la musique et du dessin.

Ouverture instrumentale et tracé du kal.am

À dix-neuf heures, Pul.l.uvan Narayanan et son gendre Naraya- nankutti ouvrent la cérémonie par une succession de battements ryth- miques aux kut.am, en accelerando. Une première division est obser- vable au sein de la famille : les hommes jouent des kut.am, tandis que les femmes (Parvati et Sree Susha) marquent les temps forts du cycle aux cymbales. Cette manière de répartir les parties musicales est spéci- fique au contexte rituel9

.

Puis, sur un nouveau cycle rythmique (ta¯l.am), trois parties se différencient : les cymbales marquent les temps forts, un kut.am répète le cycle en boucle (Narayanankutti) tandis que Narayanan assure le

9. Les femmes jouent par ailleurs du kut.am, généralement de plus petite taille, lors de leurs tournées au porte-à-porte.

jeu du kut.am soliste : sa partie consiste à improviser des variations sur la structure rythmique réalisée par ses compagnons. Dans cette séquence musicale, Narayanan prolonge sa fonction d’autorité pul.l.uvan. En tant que chef de famille, il conduit la progression ryth- mique au moyen d’un jeu improvisé.

Si, dès le début du rituel, Narayanan représente l’autorité pul.l.uvan, son fils Sudarman, prend en charge le tracé du dessin. Il commence par invoquer Gan.apati, divinité des commencements, avant d’appliquer les premières poignées de poudre pour tracer le kal.am : il trace sur le sol l’inscription lui rendant hommage (« hari s´rı¯ ») et l’efface de la main. Il prend ensuite une poignée de poudre noire et la dépose au centre de l’aire rituelle. La première étape du kal.am consiste en effet à étaler cette première couche sur toute la surface. Sudarman est toujours le premier à commencer le tracé. Il esquisse les principaux repères de symétrie et marque en blanc sept lignes parallèles à l’intérieur desquelles seront tracés les corps de serpents. Balan l’assiste en rechargeant les récipients de poudre. Parvati pose la première la poudre rouge à l’aide d’une demi-coque de noix de coco percée de petits trous (cheretta).

Alors que Sudarman entame le tracé des corps de serpents, les autres officiants (Narayanankutti et Balan) commencent à remplir les formes de couleurs et à surligner les contours. Parvati se charge d’appliquer les couleurs à l’intérieur des têtes de serpents et de tracer le détail des yeux.

Durant ces heures de travail, la répartition des rôles a sensible-

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