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De multiples hypothèses alternatives ou complémentaires évoquées auprès de la

D. Autres modalités d’une régulation

1. De multiples hypothèses alternatives ou complémentaires évoquées auprès de la

On évoquera ici diverses propositions avancées au cours des consultations de la mission que celle-ci se devait de rapporter même si leur faisabilité peut prêter à discussion ou qui, au contraire, pourraient trouver utilité à l’appui des divers scénarios de sortie de crise évoqués précédemment.

a. Des quotas d'exposition pour les plateformes et des règles de référencement des œuvres européennes ?

Exprimant un point de vue sans doute partagé par d’autres acteurs, M. Denis Ladegaillerie, dirigeant de la société d’agrégation Believe, a fait part de sa conviction que des mesures impératives de régulation devraient être prises en vue d’assurer une exposition minimale des œuvres européennes et d’expression française sur les différentes plateformes et leur assurer un accès plus équitable aux systèmes de référencement, de recherche ou de promotion.

Ce point de vue prend en compte le rôle croissant que les services en ligne, streaming au premier chef, tendent à jouer au regard du pouvoir traditionnel de découverte et de recommandation que joue la diffusion radiophonique. Il entend atténuer dans un objectif de diversité culturelle l’attractivité particulière propre à certains éléments du répertoire international et l’encouragement additionnel que peuvent leur apporter les avantages négociés par les producteurs les plus puissants en termes de «mise en avant» et de recommandation des œuvres les plus porteuses de leur catalogue.

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De son côté, la SACEM exprime de sérieuses inquiétudes sur les pressions pouvant s’exercer sur les plateformes depuis la fragmentation des répertoires et des négociations avec les principaux éditeurs musicaux et sur les risques en découlant pour l’exposition des répertoires locaux. Elle considère que la directive sur la gestion collective en cours de négociation devrait au minimum introduire un principe de proportionnalité propice à la diversité culturelle en obligeant les offres de service à proposer ces répertoires dès lors qu’elles s’adressent au public d’un territoire donné.

Pour sa part, NRJ souligne la disparité au détriment des radios traditionnelles que constitue le fait que ni les services de streaming ni ceux de type webradio interactive ne soient soumis à des obligations d’exposition de la production locale.

Le sujet, qui avait inspiré l’engagement n° 12 issu de la mission Hoog, relève pour l’essentiel de la mission confiée à M. Jean-Marc Bordes. On se limitera donc à trois remarques générales :

• En premier lieu, il n’est pas assuré qu’un tel objectif puisse être atteint par voie d’obligations unilatérales, du type de celles imposées aux diffuseurs traditionnels en contrepartie de leur autorisation hertzienne. Elle relèverait plutôt d’un régime d’engagements conventionnels à moduler selon le «format» des offres concernées et s’assortissant de conditions et contreparties individualisées tel que l'envisage la proposition n° 7 du rapport Lescure78.

• Par ailleurs, quelle qu’en soit la voie d’édiction, des normes quantitatives en la matière ne sauraient à elles seules contrecarrer la tendance à un repli du nombre relatif et absolu des enregistrements d’album d’expression française dans la production des majors et de nombre d’autres labels79. Pour les nouveaux services comme pour les diffuseurs traditionnels, le

réalisme des obligations ou éventuels engagements de diversité culturelle appelle donc, du côté de la production, des mesures volontaires ou incitatives propres à opérer une redistribution plus favorable de l’investissement.

Les représentants des services déjà soumis à quotas, comme le groupe NRJ pour les radios hertziennes ou les webradios, font ainsi valoir, selon les termes de l’ESML, la dissymétrie entre l’obligation qui leur incombe et le fait que « les producteurs de phonogrammes français, de leur côté investissent de moins en moins dans la production de chansons françaises, en particulier dans la production de nouveaux talents et de nouvelles productions, alors même qu’ils bénéficient eux de mesures avantageuses d’aides à la création comme le crédit d’impôt et le reversement d’une quote-part de la rémunération pour copie privée, sans aucune obligation ou contrainte en contrepartie ».

• Enfin, comme le suggère l’expérience récente des services de vidéo à la demande depuis la publication du décret n° 2010-416 du 27 avril 2010, l’application et le contrôle de telles règles

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79 Sans contester la légitimité de ses obligations légales en termes de quotas de diffusion, le groupe NRJ a souligné auprès de la mission, à partir des données quantitatives publiées par le SNEP, la gravité de cette baisse tendancielle de la production locale. Les producteurs contestent que cette baisse fasse obstacle au respect des obligations de diffusion à leur niveau actuel.

et la simple identification des services auxquels elles s’appliquent, s’exposent sans doute à quelque difficulté.

b. Le passage en gestion collective obligatoire des droits numériques des auteurs et des éditeurs ?

Lors de l’audition de l’ESML, son président M. Axel Dauchez, par ailleurs dirigeant de Deezer, a exprimé à titre personnel l’opinion selon laquelle les risques encourus par toute la filière du fait du fractionnement des droits des principaux éditeurs pourraient appeler la mise en gestion collective obligatoire des droits d’auteurs pour le numérique, et non plus simplement volontaire comme c’était traditionnellement le cas sous l’égide de la SACEM- SDRM.

Une telle proposition ne s’inscrit guère dans les prévisions d’évolution du droit communautaire telles qu’elles sont balisées par la proposition de directive sur la gestion collective et les réactions à son égard des pouvoirs publics et des organismes français concernés.

Elle manifeste pour le moins la gravité des préoccupations qu’inspirent les incertitudes juridiques et économiques nées de la fragmentation des droits et des cadres de négociation avec les principaux éditeurs. Il est significatif des lourds aléas qui menacent sa position propre dans l’avenir, que la SACEM elle-même, sans la faire sienne, n’oppose pas d’objection de principe à une telle hypothèse, dès lors que la société y conserverait son rôle de négociateur des accords.

c. Une gestion collective volontaire pour des expérimentations ?

Le journaliste Philippe Astor80 a souligné tout l’intérêt qui s’attacherait pour la filière

musicale à s’inspirer d’une expérience envisagée dans les années 1990 en Grand-Bretagne à l’initiative du spécialiste Nic Garnett sous le nom Digital Content Incubator Scheme (DCIS) en vue de créer une plateforme expérimentale qui aurait, sur une base de gestion collective, octroyé des licences sur des portions de leurs catalogues mis à sa disposition par les producteurs pour des projets expérimentaux de services.

Il évoque également l’initiative d’EMI qui, avant son récent rachat, avait proposé aux développeurs d’applications sous le nom d’Open EMI, un accès à l’ensemble du catalogue de jazz Blue Note en vue de créer un système ambitieux de recommandation.

Dans ces deux exemples, l’ouverture à l’expérimentation part d’une mise à disposition a priori consentie par les producteurs d’une fraction de leur catalogue. L’encouragement à des modèles d’offre et de recommandation innovants pourrait prendre une autre voie, où, dans l’hypothèse où la musique en ligne resterait pour l’essentiel régie par les accords individuels de gré à gré, les sociétés de gestion collective de producteurs accepteraient, en accord avec leurs associés, d’étendre le champ de leur gestion collective volontaire à l’accès au catalogue de projets d’offres alternatifs, notamment du point de vue des usages pour l’auditeur ou des répertoires couverts.

80 « Mission Phéline : au-delà du partage de la valeur (4) », Électron Libre, 27 septembre 2013.

Une telle approche permettrait de résoudre, de manière souple et sélective, le problème rencontré par des porteurs de projets d’offres atypiques notamment du point de vue de la ligne de partage actuelle entre les domaines en négociation individuelle et les quelques utilisations que, par exception, les producteurs ont choisi de placer en gestion collective volontaire.

Deux cas peuvent être cités des contre-temps ainsi rencontrés.

Les difficultés d’autorisation de certains services atypiques susceptibles de renouveler et diversifier l’offre musicale en ligne, pourraient être évitées si les sociétés d’auteurs et de producteurs s’accordaient pour mettre en place un système de gestion collective volontaire, assorti de règles adaptées de tarification et de garanties contre le risque, propres à soutenir le lancement de telles expérimentations.

Le cas de Yasound

Cette jeune société, aujourd’hui en liquidation judiciaire, a tenté de développer un service de

webradio interactif original devant accéder à un financement publicitaire, où l’auditeur créait le

cadre de sa playlist mais ne choisissait pas le titre écouté relevant d’un algorithme fondé sur l’analyse de l’audiothèque enregistrée dans son téléphone portable.

Si la SACEM a d’emblée traité cette offre comme une webradio commerciale, la négociation des droits voisins a connu des allers retours coûteux en temps entre un début de négociation avec les sociétés de producteurs au titre de la gestion collective volontaire, un renvoi à des discussions de gré à gré, puis en définitive, après intervention de l’ESML, un accord passé sous le régime du

webcasting non interactif.

Dans les deux cas, des minima garantis annuels ont dû être acceptés, du fait de la modicité des revenus de départ attendus.

S’il s’interroge rétrospectivement sur les diverses faiblesses du modèle envisagé, M. Sébastien Metrot, l’actuel responsable de Yasound81 met aussi en cause la complexité peu encourageante du parcours de négociation, au regard de la méthode employée par d’autres acteurs qui ont préféré régulariser leur situation après avoir engrangé les premiers fruits d’un lancement opéré dans l’illégalité vis-à-vis des ayants droit.

81 Le fondateur de la société, M. Jean-Marc Plueger, est mort en début d’année.

Le cas du projet RF8 ( Radio France )

Le diffuseur public a négocié avec la SACEM et les sociétés de producteurs des accords couvrant ses diffusions délinéarisées, comportant pour les droits voisins la stricte obligation que les titres aient été préalablement radiodiffusés. Devant la désaffection des jeunes pour le média radio, il souhaitait cependant développer une offre interactive innovante (appelé RF8) de prescription à destination des internautes sous la forme de playlists de 8 titres signés par des spécialistes de Radio France, associée à un flux linéaire programmé à partir de ce stock de programmes et un outil d’export vers les plateformes d’écoute payantes.

Accoutumée au système de gestion collective de la rémunération équitable et aux accords avec la SACEM, la société aurait souhaité que les droits voisins sur ce projet puissent être gérés en gestion collective volontaire. L’offre étant plus interactive qu’une simple smartradio, la SCPP et SPPF ont cependant renvoyé ses promoteurs à des négociations de gré à gré avec les producteurs s’ouvrant en référence à un tarif de 0,03 € par écoute, difficile à justifier pour un financement sur la redevance de l’audiovisuel public.

Cette rigidité des modes de négociation a en définitive conduit le diffuseur à abandonner son projet initial pour s’orienter vers une offre de configuration bien différente. Celle-ci pourrait combiner un flux relevant d’un contrat classique de webradio et une écoute à la demande recourant à des partenariats avec une ou plusieurs des plateformes de streaming audio ou vidéo existantes.