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Moyen Âge Il profite à l'auteur en lui donnant une valeur plus authentique Qui plus est,

Dans le document André Fortin un mythe en devenir? (Page 37-41)

l'authenticité prend valeur de trait distinctif. Différent et singulier, le mythifié ne peut que rencontrer de l'incompréhension de la part de son entourage immédiat. Cette incompréhension est constante dans la formation des poètes maudits, d'autant plus qu'elle est un élément supplémentaire qui les pousse vers la mort.

Le poète maudit est ce nomothète vivant dans une tension perpétuelle entre

l'ordre ancien et l'ordre nouveau; il est celui par qui le novum arrive, celui

qui, par les multiples refus qu'il oppose aux instances officielles de reconnaissance et les ruptures esthétiques qu'il opère, par le sacrifice consenti de sa personne et de son intérêt immédiat, impose de nouvelles règles de jeu. Ses actions le désignent comme le nouveau héros, pur et

désintéressé, d'un ordre social dégradé, régi par la loi du louis d'or. La

figure du poète maudit, valorisée par les artistes de l'art pour l'art trouvant

leur intérêt dans le désintéressement, s'entoure ainsi d'une aura et d'une

mystique55.

54 P. BRISSETTE, Nelligan [...], p. 49-50.

Cette tension contradictoire et ces refus sont nécessaires à l'établissement du mythe.

Nous l'avons déjà expliqué, il n'y a pas de mythe de l'ordinaire, de l'établi. Le mythifié

doit nécessairement avoir accompli quelque chose de particulier afin d'obtenir son statut

qui ne sera pleinement perçu qu'après sa mort. Ce n'est qu'après le décès que l'artiste semble alors être compris ou, du moins, entendu. Souvent, un sentiment de culpabilité et d'impuissance de la part des survivants s'ensuit. Ces sentiments contribuent certainement à faire valoir le génie et à magnifier la figure qui en résulte, car dans un tel contexte, démontrer les points faibles de celui qui est décédé peut sembler amoral.

La troisième et dernière conséquence de la mort reliée au mythe concerne la relecture de l'œuvre du mythifié. Les survivants cherchent alors le plus souvent à trouver des signes

annonciateurs de cette mort, à repérer les indices qui auraient été semés dans l'œuvre, à

l'instar de ce qui se passe avec la trajectoire biographique, réinterprétée en fonction du point d'arrivée. Ainsi, toute l'œuvre sera relue dans cette perspective, comme si elle pouvait avoir été touchée par ce « personnage » funeste qui rôdait autour de l'artiste.

Cette relecture touche évidemment l'œuvre des suicidés, mais parfois également celle de

gens qui ont connu un destin tragique sans le provoquer, comme si la fatalité était déjà inscrite quelque part. « La clairvoyance de Nelligan est un élément majeur du mythe qui

nourrit le sentiment tragique que le poète marchait au châtiment de son plein gré. 56»

Neuvième critère : les icônes

Le dernier critère d'analyse, que l'on retrouve chez Chevandier et Melançon, concerne les objets, caractéristiques physiques, lieux ou tout autre élément matériel rattachés au

mythifié. Ces objets, même présentés isolément, suffisent alors à évoquer le mythifié pour une majorité. Chevandier inclut les surnoms à ce critère. Ainsi, plusieurs icônes

peuvent être associées à Renaud, son sujet d'étude : son foulard rouge, l'argot et le

verlan, ainsi que son surnom (Renard). Du côté des mythes québécois, on peut associer

l'île d'Orléans à Félix Ledere, et Maurice Richard à son numéro de joueur, le 9, ou à son

regard enflammé. En se fondant sur les définitions combinées de Melançon et Chevandier, on peut identifier plusieurs icônes représentant Fortin, soit son surnom (Dédé); le motif rayé (noir et blanc ou bleu marine et blanc) qu'il a porté en gilet, en tuque ou en foulard; ainsi que ses lunettes d'aviateur dont il se parait souvent vers la fin

de sa carrière, à la manière d'un bandeau à cheveux. Suite à l'analyse, je serai en mesure

d'étayer celles-ci par le biais des descriptions qui seront faites de Fortin. Les icônes pourront se retrouver dans les mots employés pour le décrire, tout comme dans les photos et les représentations graphiques utilisées pour illustrer certains articles.

Certes, les notions d'icônes ne sont pas réductibles aux seuls mythes. Ce n'est pas parce

qu'une personne est associée à un objet en particulier qu'elle est ou deviendra un mythe. Ce qui est commun à la fois à l'icône et au mythe, c'est qu'ils ont tous deux affaires à la mémoire collective. Plus une figure prend une place importante dans cette mémoire, plus

elle a de chance de combiner tous les éléments nécessaires au mythe. Ainsi, ce n'est pas

parce qu'une marque de pouding et une coupe de cheveux sont associées à René Simard depuis plusieurs générations qu'il évoluera automatiquement sous la forme d'un mythe

dans notre mémoire collective. La dimension mythique outrepasse largement le statut de vedette populaire.

***

Comme il a été exposé plus tôt, ces critères sont issus de la synthèse de diverses études portant soit sur la notion de mythe, soit sur une figure mythique particulière. Cette grille d'analyse que j'ai constituée est l'outil qui, selon moi, me permettra le mieux de percevoir l'édification de la figure de Fortin en mythe. Ces critères ne peuvent être pris

individuellement, car aucun d'eux n'est, à lui seul, garant de la mythification. Même

regroupés, ils ne peuvent cautionner une mythification à long terme; ils en sont toutefois

un bon indice. Seul le temps peut véritablement témoigner de l'établissement d'un mythe.

Rappelons toutefois que je soutiens ici l'hypothèse selon laquelle nous assistons

actuellement à l'accélération de tels processus.

Le prochain chapitre présentera ce qui a été dit sur et par Fortin entre 1993 et 2000 en regard de chacun de ces critères. Puis, dans le chapitre subséquent, j'exposerai ce qui a été publié après sa mort, selon les mêmes critères. L'évolution et les changements dans

les discours seront alors visibles, et cela me permettra de démontrer la constitution du mythe fortinien.

L'homme dans les médias écrits (1993-2000)

Selon Gérard Bouchard, la création d'un mythe suppose une adaptation de son contenu biographique; pour ce faire, les éléments contradictoires sont supprimés ou omis. Ainsi, le mythe est un récit équivoque, c'est-à-dire une suite d'événements et de caractéristiques

Dans le document André Fortin un mythe en devenir? (Page 37-41)