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Les motivations des participants et leurs usages du dispositif

Troisième partie : Analyse des données

10 La situation d’interaction

10.3 Les motivations des participants et leurs usages du dispositif

Au-delà de l’intérêt que les étudiants manifestent pour les activités proposées (en particulier pour le théâtre), il est possible d’observer d’autres raisons qui justifient leur investissement personnel lors des interventions. Il en ressort que c’est avant tout l’acquisition d’informations sur le VIH, la volonté de pouvoir par la suite conseiller autrui, l’échange d’expériences, ou encore l’acquisition d’un statut privilégié qui font que les membres des core groups participent chaque semaine aux ateliers.

10.3.1 L’acquisition de connaissances pour pouvoir conseiller et aider autrui

Toutes les étudiantes interrogées mentionnent l’envie d’acquérir des connaissances sur le VIH/SIDA dans le but de pouvoir, par la suite, aider et conseiller autrui : « there are a lot

of information that I can get from TfaC » (Natasha, étudiante),

« we have learned many things which can help us maybe to

help others, which they didn’t learn about HIV and AIDS, and we can explain to them : ‘don’t do this ! do this, this, this!’ »

(Joyce, Tadala et Pamela, étudiantes), « I gained some

knowledge in the AIDS issue and how to interact with people telling them that ‘this is not good! this is not good! this has to be like this! this has to be like that!’ » (Diana, étudiante). La plupart

des étudiants interviewés, lorsque je leur demande ce qu’ils ont appris, me disent que maintenant ils peuvent donner des conseils à leurs proches. Ils n’appliquent pas forcément les connaissances acquises pour eux mais les transmettent aux autres : « I do not necessarily apply it [saying no to sex] to my

own side, but to others. I have been teaching them how to say no to sex, assertiveness, so that they may not bring something confusing to their partners » (Chikondi, étudiant). En tant que

futurs enseignants, c’est la transmission des informations qui les intéresse.

Peter se sent investi d’une responsabilité citoyenne de transmettre les bons conseils à son entourage (« where at

home we will remember that TfaC has changed me and we’ll be responsible citizens here in Malawi »). Cette responsabilité

apparaît dans le discours d’autres étudiants, d’ailleurs, l’un d’entre eux, à la fin de l’entretien, s’étonne que je ne lui aie pas demandé ce qu’il comptait faire après sa formation. Il me répond alors qu’il a l’intention de continuer le travail initié par TfaC dans l’école où il exercera son métier d’enseignant. Pourtant, si les concepteurs du programme TfaC au TTC espèrent que les étudiants formés comme animateurs par les pairs continuent de transmettre les messages préventifs à leur communauté et d’animer des ateliers dans leurs classes, un étudiant émet des doutes, il apprécie donner des informations aux personnes qui lui demandent des conseils, mais il pense qu’il ne sert à rien de sensibiliser quelqu’un qui ne veut pas l’être, à l’inverse, cela provoquerait un rejet de la prévention :

[The message of TfaC] you can transmit it, even outside the TfaC, but if that person is willing to do so, because you cannot just start speaking about TfaC, while the friend is not asking you, then it will be shame on you because he is going to deny you […]. But expect somebody to ask you a question about it, […] because that person is willing to know about it, and he has come to ask you (Peter, étudiant).

La volonté des membres des core groups de transmettre les connaissances et compétences acquises lors des ateliers reste limitée, si la plupart d’entre eux affirment vouloir conseiller et aider autrui, c’est surtout au cas où quelqu’un leur demanderait un conseil, une information. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il est pertinent d’engager la discussion et de parler de prévention, sinon, c’est peine perdue.

10.3.2 L’échange et le partage d’expériences

Pour certains participants, l’intérêt des ateliers de prévention est qu’il est possible d’apprendre de l’autre. Ils profitent de

l’espace aménagé par TfaC pour pouvoir discuter de thèmes qui ne se débattent normalement pas en public, ils utilisent l’espace pour pouvoir surmonter les barrières culturelles et apprendre de l’expérience des autres :

We can teach each other that this thing happen like this because there are so many people who are here but they do not know about some situations because of their culture. They know something but they hide it because of their cultural beliefs. They cannot just review it out easily. But as coming here, at the TfaC, we are living open minded; we speak anything and it is very important for us, because we learn things that we could not know. [...] We learn more things here in the TfaC, because we are open, we speak (Peter, étudiant).

Here, it is a college, it is not a secondary school or primary school where we can hide one another, [...] we talk if it is necessary to talk [...]. It is not helping you only but it is helping to that person who is catching it. Because you can tell me about your life experiences and I can learn more from you because it is like an example, so when I'm explaining things by giving examples which are fact (Peter, étudiant). We are able to exchange ideas and experiences. For instance, one may have an experience on condom use but also on the area of the spread of HIV. So on explaining that, I’m able to know my other peers views and ideas” (Atupele, étudiant).

Les interventions de prévention offrent un espace de dialogue au sein duquel les étudiants peuvent discuter, partager des expériences et apprendre de l’autre, alors qu’il ne serait peut-être pas possible de le faire hors du cadre de l’intervention.

10.3.3 Les utilisations parallèles du statut de « membre TfaC »

Le statut des animateurs, au même titre que celui des enseignants, est un statut privilégié au TTC. Un participant

considère que sa position au sein de l’association, surtout auprès des filles, lui donne un certain avantage :

Like when I’m a teacher here, I’m so exposed to a lot of girls, which I might approach without having difficulties because of my status […]. You [women] want somebody who is at a higher status than you. So because I’m a teacher, you might look up on me because of the status, not in term of money (Samuel, animateur).

Les animateurs, de par leur position, ont acquis un statut privilégié qui leur confère une certaine autorité. Ils sont aussi appréciés des étudiants qui les considèrent comme dignes de confiance et plus crédibles que les campagnes de prévention transmises à la radio : « [people] just keep on hearing [HIV and

AIDS] from the radio, but not someone to sensitize them »

(Peter, étudiant), « I had a wide concertation with the

responsible people. Now those bad perceptions have gone away », « after some wide concertations, I think I have now realised that, no, those were just the myths about the condoms

» (Chikondi, étudiant). La plupart des animateurs ont une formation universitaire (en développement communautaire et en lettres et sciences humaines pour deux d’entre eux), ils sont malawites et ont moins de 10 ans de différence avec les étudiants ce qui fait que les interventions qu’ils mènent sont classées dans la catégorie « prévention par les pairs ». L’idée des concepteurs est qu’il est plus facile de discuter de sexualité avec une personne du même âge : « in that social context, it’s

easy for a peer to talk about sex than to talk about sex with someone in another generation, who is older than you. We encourage that peer to peer conversations and activities together to work it out » (Charles, concepteur). Les animateurs,

à travers la position qu’ils adoptent lors des ateliers, ont acquis un statut privilégié, reconnu par les participants.

J’ai aussi pu remarquer lors de mes entretiens que les membres des core groups acquièrent à leur tour un statut privilégié. N’oublions pas que les participants ont été

sélectionnés, ils ont dû passer un entretien, rédiger une lettre de motivation. Il apparaît dans leur discours que c’est un honneur d’être membre TfaC et d’avoir appris des choses : « I

came here and join the TfaC, it has been a honour to me that I have learned more things from them » (Peter, étudiant). Ils

reçoivent aussi une formation d’intervenants par les pairs qui leur donne la possibilité de mener des ateliers de prévention auprès de leurs camarades de classe (ils endossent, le temps d’une intervention, le rôle d’enseignant qui transmet des informations en matière de VIH/SIDA). Ils montent en quelque sorte dans la hiérarchie sociale, ils jouent le rôle d’intermédiaire.

Il apparaît qu’au-delà du cadre spécifique des ateliers, les participants utilisent leur statut de « membre TfaC » dans leurs relations avec les autres étudiants de l’école. Par exemple, deux participants interviewés mentionnent qu’ils utilisent leur statut pour pouvoir aborder les autres filles du groupe et leur poser des questions qu’ils ne pourraient pas poser s’ils n’étaient pas membres. Peter raconte sa propre expérience :

She's open with your question and she can answer you easily because she knows that, this man, he is asking me because we are the members of TfaC. Had it been that I was not a member of TfaC and I'm asking a TfaC girl that ‘please could you tell me about this and this?’, it is very tough for the woman to explain that issue, but because of our status we are the members, we use to learn things at the TfaC together and she can be free and speak to me and she cannot hide anything. [...] It is also strange how a woman outside, without in a relationship is coming to ask you about several things that you could help, it is also tough to review those situation, but being a member, it is very simple to communicate to one another (Peter, étudiant).

Leur position au sein du core group leur permet de poser des questions ouvertement alors qu’il serait impossible de le faire à l’extérieur du cadre établi par TfaC. C’est parce qu’ils sont

membres qu’ils peuvent dépasser les barrières culturelles (qui inculquent une timidité et une pudeur chez les femmes qui les empêchent de parler ouvertement de sexualité avec les hommes) et discuter de problèmes, poser des questions, donner des conseils à propos du VIH/SIDA.

Un autre étudiant, Atupele, mentionne qu’en tant que membre TfaC, il profite de mener des investigations sur le comportement des femmes en ayant plusieurs petites amies: « as I’m a TfaC

member I just do it [having many girlfriends] for investigation »

(Atupele, étudiant). Il est surprenant d’observer que cette utilisation de son statut va à l’encontre des objectifs du dispositif qui visent le changement de comportement des participants dans le sens de la prévention, c’est-à-dire par l’adoption des mesures préventives dont la réduction du nombre de partenaires sexuels. Atupele, lui, à l’inverse, profite de son statut pour accumuler les partenaires et ainsi enquêter sur le comportement des filles.

En guise de résumé, nous avons pu observer que si les étudiants profitent de ces interventions pour récolter des informations sur les expériences des autres, ce n’est pas toujours dans le but de changer leur propre comportement sexuel. De plus, en tant que futurs enseignants, c’est la formation d’animateur qui les intéresse (et peut-être aussi le diplôme qu’ils reçoivent à la fin du cursus, reconnu par une université anglaise), leur motivation est de pouvoir, à leur tour, transmettre l’information dans leur village et dans leur future école primaire. Beaucoup admettent, dans les entretiens, que s’ils n’ont pas encore eu l’occasion d’appliquer les compétences fournies par TfaC dans leur vie, ils conseillent leurs proches. Il est aussi apparu que, malgré la méfiance des communautés envers les campagnes de préventions transmises à la radio, les informations données par TfaC sont considérées comme « vraies » et les préservatifs sont perçus comme dignes de confiance. Par exemple, un étudiant m’avait raconté que lorsqu’il rentrait au village pendant les vacances, des habitants

venaient lui demander des préservatifs : « so far, with the

coming of TfaC I have seen most men asked me to bring the condoms » (Atupele, étudiant).