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Motivation générale

5.2 Rôle de la non-monotonie

5.2.1 Motivation générale

Du point de vue applicatif

Pour mettre en avant l’importance de ne pas négliger la non-monotonie en modé-lisation discrète des réseaux de régulation biologique, nous présentons ici un exemple simple, issu de la biologie moléculaire. Pour ce faire, rappelons l’un des principes fon-damentaux en matière de régulation génétique, qui établit qu’un gène est une portion de l’A.D.N. qui est transcrite (grâce à l’ouverture de la chromatine) en A.R.N. mes-sager (le gène est alors dit exprimé) qui est lui-même traduit en une ou plusieurs protéines, que l’on appelle couramment les produits des gènes. Plus précisément, tant qu’un gène reste exprimé, les protéines qui lui sont associées sont produites et leur concentration augmente. Cette concentration protéique diminue par dégradation progressive lorsque le gène devient inhibé. Ces protéines ont la capacité d’influencer les opérations de transcription et de traduction et sont les media par lesquels les gènes peuvent interagir les uns avec les autres. L’effet d’une protéine dépend de sa concentration dans la cellule. Ainsi, si un gène gj influence l’expression d’un gène gi par l’un de ses produits p, alors, il peut le faire différemment selon la concentration de p dans la cellule, ce qui induit de la non-monotonie dans une modélisation à l’aide des réseaux d’automates booléens.

Afin d’illustrer ces propos, considérons l’infection de la bactérie Escherichia coli par le phage λ [Led50]. Les régulations génétiques qui permettent au phage λ d’entrer

112 Robustesse structurelle des réseaux et rôle de la non-monotonie

dans ses cycles lysogénique et lytique6 impliquent principalement deux gènes, le gène

cro et le gène ci. À haute température [EBPJ70, TT95], cro s’influence lui-même et la nature de cette influence est différente selon la concentration de la protéine pcro qu’il produit. Plus précisément, prenons comme référence le modèle de la régulation génétique du phage λ proposé dans [TT95]. Tout d’abord, remarquons que ce modèle est un réseau d’automates soumis au mode de mise à jour asynchrone et qui n’est pas booléen car l’état de cro peut prendre trois valeurs dans{0, 1, 2} tandis que ci, lui, est booléen. Les règles d’interaction dans le modèle sont les suivantes : (i) cro est globalement inhibé par ci et par lui-même lorsque son état est maximal (égal à 2), c’est-à-dire lorsque sa protéine est présente en forte concentration dans la cellule ; (ii) ci est inhibé à la fois par Cro et lui-même. Les auteurs ont montré que, à haute température et ce quel que soit l’état de ci, l’état de cro va de l’état 0 à l’état 1 (qui correspond à son expression dite basale), de l’état 1 à l’état 2 (qui correspond nécessairement à une auto-activation de cro car, sinon, ci à l’état 1 inhiberait cro en le faisant passer de l’état 1 à l’état 0 ; plus précisément, cela implique que l’auto-activation de cro est plus forte que son inhibition provoquée par ci) et de l’état 2 à l’état 1 (qui correspond à l’auto-inhibition de cro). La figure 5.8 illustre le graphe d’interaction étiqueté ainsi que le graphe de transition asynchrone du modèle proposé par les auteurs de [TT95] qui respecte le comportement évoqué à haute température. Précisons que ce graphe est issu du formalisme adopté par Thomas : les étiquettes sur les arcs représentent les signes des interactions et les niveaux d’expression à partir desquels ces interactions s’appliquent. Un tel comportement montre que la nature de l’auto-interaction de cro est double : c’est à la fois une auto-activation et une auto-inhibition. Or, dans un réseau booléen, la seule façon permettant de représenter sur cro une auto-activation (une boucle positive lui permettant de rester dans l’état actif) et une auto-inhibition (une boucle négative qui lui permet de changer d’état), sans pour autant augmenter la taille du réseau, est d’utiliser une boucle booléenne doublement signée. Or, une telle dualité dans la nature de l’influence d’un gène sur un autre correspond précisément à la notion formelle de non-monotonie locale définie à la page 24.

Du point de vue théorique

Dans la lignée des travaux sur la classification de robustesse structurelle présentée dans la section précédente, nous donnons dans la proposition 5, la caractérisation des réseaux de type 2 de taille minimale et montrons qu’ils entretiennent une relation particulière avec le concept de non-monotonie.

Proposition 5. Les réseaux de taille minimale qui appartiennent à la classe 2 de robustesse structurelle sont totalement non-monotones.

Démonstration. SoientR un réseau et Gα R etGγ

R ses graphes de transition asynchrone

et général, respectivement. Comme nous l’avons expliqué dans la section précédente, pour que R ne soit pas robuste au synchronisme, Gγ

R doit contenir au moins une

transition non-séquentialisable. Montrons les conditions qui doivent être satisfaites parGγ

R pour queR soit de type 2 et de taille minimale. Tout d’abord, la taille de R 6. Le cycle lysogénique du phage λ correspond à l’étape où son génome est inséré dans celui de la bactérie. Le cycle lytique est l’étape à partir de laquelle le génome du phage se réplique, entraînant la mort de la bactérie.

Rôle de la non-monotonie 113 0 1 f0, f1 ∈ {x ↦ (x0⊕ x1), x ↦ ¬(x0⊕ x1)} x0 {0} {1} {0},{1} {1} x0,1 x x1 {1} {0} {0} x0 {1},{0, 1} {1} {0} {0},{1},{0, 1} x0,1 {1} x1 x {0},{0, 1} {0} {0 , 1}

Figure 5.9 – (haut) Graphe d’interaction et définition des quatre réseaux de taille minimale de niveau 2 de robustesse au synchronisme ; (bas) leurs graphes de transi-tion génériques (gauche) asynchrone et (droite) général.

doit être au moins égale à 2 pour que le concept de synchronisme ait un sens. S’il est de taille 2, alors, pour queGγ

R ait une transition non-séquentialisable, il faut

impéra-tivement qu’il contienne le sous-graphe générique (avec des transitions asynchrones seulement) de la forme suivante :

x0 {1} x {0} x1 {0} {1} x0,1 ,

où, pour rappel, xi,j= x{i,j}= xij (cf. (2.1) de la section 2.3.1). Ce sous-graphe est le plus petit nécessaire àGγ

R pour avoir une transition non-séquentialisable x xi,j). Il est facile de voir qu’il ne peut y avoir qu’une seule transition synchrone non-séquentialisable dansGγ

R. De plus, afin de garantir queR soit de type 2, étant donné que les points fixes sont conservés d’un mode de mise à jour à l’autre, la transition synchrone x xi,j doit nécessairement partir d’un ensemble de configurations appartenant à une oscillation stable. Or, il n’y a qu’une seule manière de créer une oscillation stable asynchrone dans le sous-graphe donné plus haut. Elle consiste à ajouter les transitions xi x et xj x. Sur cette base, pour que la transi-tion non-séquentialisable fasse qu’un comportement asymptotique « se vide » dans un autre, la configuration xi,j doit être un point fixe de R. En effet, si ce n’est pas le cas et que xi,j précède l’oscillation stable, l’ajout de synchronisme maintient for-cément les configurations récurrentes asynchrones. Donc, puisque xi,j est un point fixe, l’ajout de la transition x xi,j fait que xi,j devient l’unique comportement asymptotique dans Gγ

R. Par conséquent, Gγ

R doit avoir la forme présentée dans la

figure 5.9 (en bas à droite). Seules deux fonctions locales de transition sont alors possibles. Si, dans la configuration x ci-dessus, x0= 1, alors, f0(x) ∶ x ↦ x0⊕ x1. Si x0 = 0, alors f0(x) ∶ x ↦ ¬(x0⊕ x1). La fonction f1 est définie de manière analogue. En conclusion, il existe quatre réseaux de taille minimale satisfaisant les propriétés

114 Robustesse structurelle des réseaux et rôle de la non-monotonie {0},{0, 1} x0,1 x0,1 {0},{0, 1} x0,1 x0 {1},{0, 1} {1} {1} x1 x {0} {0 , 1} {0} {1} {0},{0, 1} x0 {1},{0, 1} {1} {1} x1 x {0} {0 , 1} {0} {1},{0, 1} {0} x0 {1} {1} x {0} {0} {1} {1},{0, 1} x1 {0} {0},{0, 1} {0 , 1} {0 , 1}

Figure 5.10 – Graphes génériques de transition généraux des réseaux de plus petite taille appartenant à la classe 1 de robustesse au synchronisme.

de la proposition. Ils sont de taille 2, sont définis par les fonctions locales de transi-tion f0 et f1 qui sont soit x↦ x0⊕ x1 soit x↦ ¬(x0⊕ x1), et sont par conséquent totalement non-monotones.

Remarquons que parmi ces quatre réseaux, ceux définis par :

{ f0(x) = x0⊕ x1

f1(x) = ¬(x0⊕ x1) et {

f0(x) = ¬(x0⊕ x1) f1(x) = x0⊕ x1

(5.10)

sont isomorphes, ce qui fait que trois sont réellement différents. Remarquons éga-lement que, bien sûr, le réseau non-monotone mis en évidence lors de la réduction du réseau défini dans (5.9) à la section précédente est bien retrouvé ici. Ce résultat met en relation la non-robustesse structurelle et la non-monotonie. En effet, les plus petits motifs d’interaction qui présentent des singularités comportementales fortes vis à vis de l’ajout du synchronisme sont des réseaux totalement non-monotones. Il est par ailleurs facile de voir que la robustesse structurelle de type 2 s’applique aux réseaux totalement non-monotones de plus grande taille. Enfin, pour aller plus loin tout en reproduisant le même schéma de preuve, on peut caractériser les réseaux de plus petite taille qui appartiennent à la classe 1. Il en existe douze en tout et sont

également de taille 2. Parmi ces douze, cinq sont isomorphes deux à deux, ce qui fait qu’on peut raisonnablement considérer qu’il en existe sept différents dont les graphes génériques de transition généraux sont illustrés dans la figure 5.10. La particularité, ici encore, est que parmi ces sept, les quatre qui correspondent aux deux premiers graphes de transition de la figure 5.10 sont partiellement non-monotones (les trois restant étant monotones). Ces résultats, combinés à la méthode de réduction qui permet de passer de graphes monotones de type 2 à des graphes non-monotones, confirme l’influence de la non-monotonie sur les singularités comportementales des réseaux vis-à-vis du synchronisme. Par ailleurs, ces réseaux non-monotones sont en lien direct avec la notion cycle critiquement frustrable puisqu’ils intègrent le concept en un minimum d’espace (c’est-à-dire en utilisant un nombre minimal d’automates).