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c. Anne et sa fille côte à côte

C. Après la mort de Joachim

2. La mort de sainte Anne

Cette iconographie, tardive, reste rare. Elle est en général calquée sur la Dormition de la Vierge.

Le décès d’Anne est figuré sur le volet de droite du Triptyque de la confrérie de Sainte-Anne à Louvain, de Quentin Metsys (1466-1530), conservé aux musées royaux des Beaux-Arts à Bruxelles, le panneau central figurant la sainte Parenté et celui de gauche l’annonciation à Joachim. Dans le panneau central, de la même façon que chez Cranach, les hommes sont à l’arrière-plan, comme parqués derrière une balustrade. Certains des enfants, en particulier celui de Marie Cléophas qui est assis sur le sol, à l’angle inférieur gauche du panneau, est touchant dans sa manière de s’absorber dans la contemplation des images qu’il manipule.

Dans le panneau latéral de droite, Anne est au lit, dans une chambre haute de plafond aux murs tendus de rouge, comme le couvre-lit, entourée de ses trois filles. Les deux Marie

(Cléophas et Salomé) sont agenouillées de part et d’autre du lit, essuyant leurs larmes, la Vierge debout tenant un cierge qu’elle place dans les mains jointes de sa mère couchée et yeux fermés, tandis que Jésus debout sur la gauche, vu de profil, bénit sainte Anne de la droite. De l’autre côté du lit, derrière la Vierge, deux hommes à l’identité incertaine, dont l’un en chapeau, qui pourraient être les deux maris des deux dernières Marie.

Un franciscain espagnol, Francese Eiximensis (1327-1409), mérite de prononcer le dernier mot. Dans sa Vie de Jésus-Christ, il fit preuve d’originalité en relatant la « Mort de sainte Anne, grand-mère de Jésus-Christ » (chap. 241) et en en faisant le paradigme du bien mourir, facilité il est vrai par la présence de Jésus, dans la bouche duquel le franciscain mit les mots suivants : « Ma chère grand-mère, ta vie a plu à mon Père et à moi, car dans ta jeunesse tu as gardé l’innocence, tu as vécu saintement et proprement par la suite, tu as toujours été très dévote et tu as plu à Dieu dans ton mariage. Ayant eu trois maris, tu t’étais unie à eux avec une sainte intention et tu as vécu sans péché avec eux. C’est pourquoi Dieu t’a donné les trois meilleures filles qui soient au monde. Et leurs fils seront parmi les plus grands princes du paradis ». Avec cette promesse, Anne pouvait mourir en paix…

Conclusion

Ce panorama donne assurément à rêver mais n’interdit pas de penser.Il illustre tout d’abord la richissime postérité artistique des écrits non canoniques. Sainte Anne n’en aura rien su, mais elle a contribué à faire de l’art chrétien dans son ensemble une sorte de cinquième évangile… un évangile de contrebande, mais très officiellement reçu dans l’Église, et si attachant…

Pour le reste notre dossier appelle la réflexion méthodologique et théorique dans plusieurs directions. Il permet de d’interroger sur les valeurs culturelles qui s’y disent. Le thème de l’éducation de la Vierge a servi d’emblème à l’alphabétisation de la société, l’apprentissage de la lecture et l’envoi des enfants à l’école. La Sainte Anne ternaire témoigne du prodigieux intérêt du Moyen Âge pour la généalogie. D’autres sujets du cycle comme la Nativité de la Vierge, la sainte Anne ternaire et la sainte Parenté, disent la fierté d’être mère ou grand-mère, plus démonstrative que la fierté d’être père… L’omniprésence du thème sous-jacent de la naissance virginale, que ce soit celle de Marie ou celle de Jésus, tend à exalter le rôle des mères et à faire rentrer les pères dans l’ombre… quand ils ne sont pas purement et

simplement congédiés, comme dans la Sainte Anne de Léonard de Vinci. Ces images furent ainsi comme des miroirs en lesquels une société censément patriarcale s’est avoué qu’elle pourrait obéir secrètement à (ou rêver d’) une autre logique, où le matriarcat compte autant sinon plus que l’ordre voulu par les mâles…

D’autres questions surgissent. Dans la conclusion du livre, nous en donnons plusieurs

exemples. Nous n’en retiendrons ce soir, puisqu’il est déjà tard, que ce qui concerne l’histoire des gestes de la tendresse parentale : Pourquoi le « joue contre joue » des icônes orientales de la Vierge de tendresse (Hodigitria ou Eleousa) apparaît-il aussi rarement dans l’art

d’Occident ? Comment interpréter l’improbable ou étrange nudité de Jésus ? Est-elle une attestation de virilité ? Et pourquoi la petite Marie, elle, n’est-elle jamais montrée

intégralement nue ?

Reste enfin à se demander, non pas en prophète annonçant l’avenir, mais en historien, non pas en s’interrogeant sur la vie des formes au sens de Focillon mais sur la survie (ou l’usure, la mort, la résurgence) des sujets, quelle sorte de destin la figure d’Anne a connu et peut connaître encore, passé le xviie ou le xviiie siècle. On l’a vu, elle ne disparaît pas au xixe siècle, et si l’on se contente de consulter sur ce sujet le Dictionnaire iconographique des saints, ses auteurs n’ont aucun mal à citer toutes sortes d’œuvres (gravures, peintures, sculptures, plâtres, faïences…), mais par des artistes plutôt mineurs et seulement jusqu’aux années 1930. Comme c’est le cas de nombreux thèmes iconographiques chrétiens, il n’est peut-être pas exagérément aventureux de penser que cette tendance douce se poursuit au-delà de ces années-là, comme si le « grand art » avait quand même déserté ce sujet qui donna pourtant naissance pendant des siècles à une cohorte d’œuvres stimulantes et vivantes pour bien des croyants. Il n’empêche qu’on le voit faire des résurgences de-ci de-là, dans l’art chrétien d’Orient, comme au monastère de Kikkos, à Chypre (Annonciation à Anne et Anne ternaire ; puis Rencontre de la Porte Dorée), mais aussi bien, en Occident, ainsi chez Arcabas :

Rencontre d’Anne et Joachim à la Porte dorée ; Éducation de la Vierge. Des toiles datant respectivement de 2010 et 2011…

Les légendes sont tenaces, surtout les plus touchantes d’entre elles…

François BOESPFLUG

[1] Voir le dossier publié par Le Monde des religions,

[2] Cette Légende dorée raconte la vie d’environ cent cinquante saints, saintes et martyrs, ainsi que des épisodes de la vie du Christ et de la Vierge commémorés par le calendrier liturgique. Il s’agit d’une d’une « compilation » de tous les éléments, historiques ou légendaires, qui se racontaient alors à propos de la vie et de la mort de tous ces saints

personnages. Ce fut une mine d’inspiration pour des prédicateurs désireux de disposer d’une réserve de miracles et d’anecdotes où piocher pour prêcher lors des fêtes mais aussi pour de nombreux artistes, surtout au Moyen Âge. Un nombre impressionnant de manuscrits en latin ou en langue vernaculaire – plus d’un millier – lui confèrent jusqu’au xvie siècle le premier rang après la Bible.

[3] Certains sont faciles à interpréter. Celle qui avait « formé la plus parfaite d’entre les filles des hommes » était la plus qualifiée pour devenir la patronne des mères de famille. De ce point de vue, sainte Anne occupe une place particulière parmi les saints vénérés au Moyen Âge : elle mérite de l’être comme mère et comme épouse, mais aussi comme épouse devenue veuve et mariée encore deux fois, le nombre de saintes mariées, et a fortiori celui des saintes remariées, restant minime en comparaison de celui des saintes vierges et/ou martyres.

[4] Elle fut encouragée par certains papes : en 1476, Sixte IV accorde une indulgence pour chaque office qui lui est consacré et, l’année suivante et de nouveau en 1483, il publie deux bulles interdisant aux théologiens de qualifier l’Immaculée Conception d’hérétique, sans pour autant interdire qu’on puisse adopter le point de vue adverse. Elle l’est aussi par certains conciles : concile de Bâle, 1439 ; 5e session du concile de Trente, Décret sur le péché originel,

1546. Elle s’accordait à la fête de la Conception de la Vierge, célébrée comme le premier instant de l’histoire du salut, et surtout au Protévangile de Jacques, ce qui prouve que les apocryphes peuvent avoir parfois une autorité supérieure à celle des plus grands

théologiens…

[5] Ainsi au linteau inférieur du portail de Sainte-Anne à Notre-Dame de Paris. Du point de vue de la composition, la rencontre à la porte Dorée évoque parfois la Visitation (cf. le livre d’Anne-Marie Velu, sur La Visitation dans l’art, aux Éditions du Cerf, Paris, 2012). Comme Anne et Joachim, Marie et Élisabeth tombent dans les bras l’une de l’autre, le couple de Zacharie et d’Élisabeth ayant longtemps connu la stérilité, comme Anne et Joachim.

[6] Pour le seul diocèse du Mans, par exemple, on a pu recenser soixante et une statues et deux tableaux consacrés à ce thème (cf. le livre de Michèle Ménard).

[7] Ces dernières catégories paraissent meilleures car certaines œuvres ne sont au fond ni horizontales ni verticales, par exemple quand Marie, figurée à l’échelle d’Anne, est

simplement décalée par rapport à elle.

[8] Les historiens de l’art ont émis plusieurs hypothèses s’agissant de sa commande et de son historique, et, à dire vrai, sa trace se perd avant la rédaction systématique de

l’inventaire des tableaux de Louis XIV par Le Brun. Mais il est vraisemblablement très vite lié aux collections royales françaises, celles de Louis XII, époux d’Anne (!) de Bretagne, et de François Ier. Comme l’a démontré Stéphane Castelluccio, il était accroché en bonne place, en haut à droite, sur le mur sud de la sixième pièce du cabinet des Tableaux de la

Surintendance des Bâtiments à Versailles en 1684, là où le souverain faisait entreposer les peintures les plus importantes de sa collection afin d’y puiser pour orner ses maisons. C’est de là qu’avec les autres œuvres des collections royales il rejoignit le Muséum, futur musée du Louvre, un siècle plus tard.

[9] Cette légende circule dès le ixe siècle. Haymon d’Halberstadt († 853), un ami de Raban

Maur (première moitié du ixe siècle), en donne l’origine dans son Epitome historiæ sacræ :

« On donnait à Jacques, fils d’Alphée, le nom de frère du Seigneur, parce qu’il était le fils de Marie, sœur de la mère du Seigneur et d’Alphée… En effet, Marie mère du Seigneur, Marie mère de Jacques frère du Seigneur, et Marie mère de Jacques frère de Jean l’évangéliste, étaient trois sœurs, nées de pères différents mais de la même mère Anne. » Elle ne fut jamais complètement admise en dépit de sa popularité. Déjà un Fulbert de Chartres (952-1028) la dénonce comme frauduleuse (Sermo IV. De nativitate Mariæ Virginis, Patrologie latine, vol. 141, col. 320). Même réserve deux siècles plus tard de la part de Thomas d’Aquin (vers 1250). Il n’empêche qu’elle est à l’honneur dans la Généalogie de Nostre-Dame en roumans attribuée à Gautier de Coincy (xiiie siècle) et dans la Légende dorée. Elle se diffuse ensuite largement à partir du début du xve siècle en raison

probablement de la vision de Colette Boilet, alias sainte Colette de Corbie (1381-1447). Née à Corbie en Picardie près d’Amiens d’une mère restée veuve et sans enfants jusqu’à l’âge de soixante ans, âge auquel elle contracta un mariage, sainte Colette fut béguine, puis recluse, puis moniale. Elle désapprouvait le remariage de sa mère jusqu’à ce qu’Anne et ses trois filles lui apparaissent en vision : c’était en 1406. On trouve dans les livres d’heures, à côté des heures de la Vierge, les heures des trois Marie. Certains théologiens, tel Gerson

(1363-1429), inventent des vers mnémotechniques permettant de se souvenir aisément de la descendance d’Anne : « Anna tribus nupsit Joachim, Cleophæ, Salomœque, / Ex quibus ipsa viris peperit tres Anna Marias ; / Quas duxere Joseph, Alphæus, Zebedeusque. / Prima Jesum ; Jacobum, Joseph, cum Simone Judam / Altera dat ; Jacobum dat tertia datque Joannem. » Entre 1496 et 1510, on compte neuf éditions successives de la Legenda sanctissimæ

matronæ Annæ. Attaquée par Luther, la légende fut ardemment défendue par les « romano-catholiques », entre autres, dans un recueil d’homélies, par Jean Eck (1486-1543), un

théologien catholique allemand qui fut l’un des opposants les plus infatigables de Luther – un de ses contemporains l’avait qualifié de « plus illustre gladiateur de plume ».

François BOESPFLUG Professeur d'Histoire de l'art, théologien Strasbourg

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