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CHAPITRE IV MODÈLE D’INTERACTION

4. Modalités des interactions

4.2. Morphologie et usage

Les avancées techniques de ces dernières années en matière d’interface tactile et l’adoption progressive de cette technologie par les utilisateurs ont conduit les industriels à intégrer, voire à remplacer les périphériques d’entrées traditionnels (claviers, souris, boutons physiques), dans les dispositifs interactifs. Au cours du chapitre II, nous avons vu que les recherches sur les technologies tactiles ont abouti sur des techniques et des configurations

différentes en fonction de contraintes techniques (qualité des données tactiles, efficacité de la détection, robustesse) ou selon la configuration du produit (miniaturisation, portabilité, etc.) En fonction de la morphologie et de l’usage des dispositifs, un type de périphérique d’entrée tactile sera préféré à un autre.

Cette différence pourrait demeurer insignifiante si l’on considérait que l’utilisateur était déjà suffisamment occupé à s’approprier de nouvelles techniques d’interaction sans qu’on lui impose en plus de saisir leur nature. Toutefois, en considérant les différences morphologiques et techniques des dispositifs tactiles, nous pouvons faire le constat qu’elles suscitent d’une part des modalités d’interactions qui leur sont propres et qu’elles imposent aux designers d’interface de prendre en compte ces différences pour la conception de nouveaux modèles d’interactions. Il serait alors présomptueux de penser qu’une heuristique d’interaction unique serait applicable à l’ensemble des systèmes interactifs multi-tactiles. La configuration d’un dispositif influence considérablement les conditions de son utilisation et dans le cas des technologies tactiles, certains facteurs sont déterminants car ils influencent considérablement les modalités des interactions gestuelles. Il s’agit de propriétés intrinsèques au dispositif comme la taille de la surface interactive, la technologie tactile embarquée, la portabilité du dispositif ou encore son inclinaison par rapport à l’utilisateur. Je propose de dresser une typologie des interactions possibles selon divers dispositifs tactiles.

La taille de la surface interactive peut varier de quelques pouces à plus d’une centaine en fonction du dispositif. Les plus petits d’entre eux, à l’instar de l’iPod nano, ne mesurant seulement qu’un pouce et demi, ne disposent pas d’une taille suffisante pour permettre des interactions à plus de deux doigts simultanément. De plus, l’amplitude des mouvements, relativement restreinte, diminue la précision d’une interaction dynamique puisque l’interprétation des mouvements se fait sur une échelle très faible. Dans ce cas, les mouvements du bras sont quasi-inexistants puisque les degrés de liberté des doigts suffisent à eux seuls pour couvrir tout l’écran. Les petites surfaces ont également la particularité de n’afficher que de petits objets graphiques qui peuvent dans le cadre d’une interaction tactile, être recouverts par le doigt lors de la manipulation. Le manque de visibilité des actions de l’utilisateur sur l’objet de la manipulation entraîne une perte significative du feedback visuel dont le rôle est pourtant si précieux en tant que retour immédiat des actions effectuées par l’utilisateur.

Les écrans des lecteurs de médias ou des téléphones portables, dont la taille varie généralement entre trois et quatre pouces, autorisent davantage de liberté de mouvements. Le nombre de points de contact que la technologie utilisée est capable de détecter simultanément est généralement lié à la taille. L’écran de l’iPhone 3GS permet par exemple de distinguer jusqu’à cinq points de contact différents. Dans ce cas, la quasi-totalité des interactions se fera avec une main et plus précisément avec un ou deux doigts puisque l’anatomie de la main offre davantage de liberté aux mouvements grâce à l’opposition du pouce et de l’index, conditions de la préhension chez l’homme. La combinaison de ces deux doigts est particulièrement intéressante pour la manipulation d’objets graphiques comme le pincement (ou pinch) pour zoomer, ou la rotation du poignet pour effectuer une opération de rotation selon deux points de contacts. Pour les interactions à un doigt, l’index est celui qui est généralement utilisé par l’utilisateur, étant donné que c’est le doigt de la main dont l’homme se sert par défaut afin de montrer une direction ou pour appuyer sur un bouton. Dans le cas des téléphones mobiles, la portabilité de ces dispositifs permet de les tourner à 90° afin de les tenir à deux mains. Dans ce cas, il est courant de voir des interactions réalisées avec les pouces. C’est le cas de certaines interfaces de jeux vidéo dont les commandes sont représentées en bas de l’écran sous la forme de joysticks virtuels manipulables avec le pouce.

Les tablettes présentent une taille d’écran plus large, d’environ dix pouces, qui offrent l’avantage de pouvoir utiliser les deux mains de manière simultanée. C’est le cas par exemple de l’iPad d’Apple qui dispose d’une technologie d’écran capacitif capable de détecter jusqu’à onze points de contact simultanés. Cette fonctionnalité permet notamment d’utiliser un clavier virtuel en disposant ses mains comme dans le cas d’un clavier physique ordinaire. La taille de la surface interactive est également suffisante pour manipuler deux objets graphiques de manière indépendante et autorise l’utilisation d’interactions plus complexes à trois doigts et plus.

Enfin, les écrans larges, à partir de trente pouces, se déclinent principalement sous deux formes en fonction de leur inclinaison : les surfaces horizontales comme les tables interactives et les surfaces verticales comme les écrans ou les murs d’images. D’un côté, la taille importante de ces dispositifs offre à l’utilisateur l’avantage de pouvoir utiliser sans contrainte ses deux mains et de bénéficier d’interactions bi-manuelles. De plus, en fonction du nombre de points détectés par la surface interactive, plusieurs utilisateurs peuvent

interagir simultanément sur des espaces d’interactions individuels. Dans certains cas, il est même possible pour le système de reconnaître quel est l’utilisateur à l’origine d’un point de contact (cf. Mitsubishi Diamond Touch). D’un autre côté, la taille excessive d’une surface interactive peut entraîner certains problèmes d’ergonomie. Comme le font remarquer Shahzad Malik, Abhishek Ranjan et Ravin Balakrishnan180, certaines situations peuvent nuire à l’interactivité comme atteindre des cibles distantes, naviguer d’un côté à l’autre de l’écran ou tout simplement avoir une vue d’ensemble de l’interface qui peut être rendue difficile si la taille d’écran est trop large et si l’interface n’est pas suffisamment fragmentée.

Les interactions sur de grandes surfaces impliquent des mouvements de l’ensemble du corps : se rapprocher de l’écran, s’en éloigner, aller vers la gauche, aller vers la droite, lever et tendre le bras pour saisir un objet graphique trop éloigné, se baisser pour saisir une icone trop basse, sont autant de mouvements qui diminuent les performances de l’utilisateur et augmentent rapidement le stress et la fatigue musculaire de l’utilisateur. Il est possible dans le cas des tables interactives de s’asseoir autour de la table et de réduire ainsi les coûts de fatigue physique générée par les interactions. Cependant, la position statique de l’utilisateur deviendra une contrainte lorsque celui-ci devra manipuler un objet graphique hors de portée ou si celui-ci produit des points de contacts involontaires en s’appuyant sur la surface ou par le contact de la manche d’une veste par exemple.

Détailler les interactions selon la morphologie des dispositifs nous a permis de mettre en exergue plusieurs propriétés qui sont autant de critères nécessaires à la classification des technologies multi-tactiles. Jusqu’ici, nous avons identifié les caractéristiques suivantes :

- La taille de la surface interactive, - La portabilité du dispositif, - L’inclinaison de la surface,

- La manualité (doigts, main dominante / non dominante), - La bi-manualité (deux mains sont utilisables simultanément), - La place pour plusieurs utilisateur.

180

MALIK Shahzad, RANJAN Abhishek et BALAKRISHNAN Ravin. Interacting with large displays from a distance

with vision-tracked multi-finger gestural input. In Proceedings of the 18th annual ACM symposium on User interface software and technology (UIST '05). ACM, New York, USA, 2005, pp. 43-52

Chaque dispositif offre des caractéristiques et des technologies que d’autres ne possèdent pas forcément en fonction des usages qu’ils impliquent. Dans l’idée de développer une application multi-tactile, il serait dommage de ne pas pouvoir tirer profit de la totalité des avantages et des fonctionnalités de la technologie utilisée. Les différences fondamentales relevées précédemment nous invitent à penser qu’un développement multiplateforme n’est pas concevable et qu’il appartient au designer d’interface d’adapter les modalités d’interaction en fonction du dispositif spécifique qui a été choisi. Comme le soulignait déjà Baeker en 1980, « bien que la portabilité soit facilitée par l’indépendance du développement vis-à-vis des terminaux, l’interactivité et l’usabilité sont améliorés par un développement spécifique au terminal.181 » Il s’agit principalement de pouvoir s’abstraire des standards gestuels afin de profiter des spécificités propres aux dispositifs et voir ainsi émerger de nouveaux modèles gestuels et interactifs.

181

« Although portability is facilitated by device-independence, interactivity and usability are enhanced

by device dependence. » In BAECKER R. M. Towards a characterization of graphical interaction. In Human-computer interaction. Morgan Kaufmann Publishers Inc., San Francisco, USA, 1987, pp. 471-482