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CHAPITRE IV MODÈLE D’INTERACTION

1. Interface utilisateur naturelle

1.2. Métaphore du réel

L’homme interagit avec l’environnement grâce à la richesse de ses moyens de perception, de communication et d’action dans le monde physique. Il bénéficie de la vue, de l’ouïe, du gout, de l’odorat et des facultés de perception tactilo-kinesthésiques et proprioceptives qui lui permettent d’appréhender l’espace physique des objets. Nous utilisons les gestes et la richesse de nos prédispositions anatomiques pour communiquer et manipuler les objets. En comparaison, les interactions homme-machine traditionnelles nous semblent bien limitées. Le paradigme des interfaces utilisateur naturelles propose de dépasser cette limitation en explorant de nouvelles modalités d’interaction en exploitant les canaux de communication et de manipulation que nous utilisons naturellement et quotidiennement. C’est le cas des interfaces utilisateur tangibles qui créent un espace de communication et d’action mixte et

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celui des interfaces haptiques ou multimodales qui donnent au corps la possibilité de s’exprimer dans l’espace réel. Les surfaces interactives multi-tactiles s’inscrivent également dans cette heuristique d’interactions en accordant au geste un espace d’action (manipulation) et d’expression (gestuelle) plus étendu.

En 2008, Jacob et al.167 introduisent le concept d’ « interaction basée sur le réel » (Reality-based interaction ou RBI) qui, selon les auteurs, permettrait d’analyser et d’avoir une meilleure compréhension du rapprochement des interactions homme-machines à celles du réel. L’emploi du terme « réel » peut poser problème car il renvoie à différentes interprétations selon le contexte social et culturel, c’est pourquoi nous précisons qu’il fait référence au monde physique des objets en opposition avec le monde numérique des machines, des processus et des périphériques. Afin de proposer un cadre conceptuel au concept des RBI, Jacob et al. distinguent quatre thèmes déterminants dans l’émergence de de ces nouvelles formes d’interaction :

- La physique naïve (naïve physics). La physique naïve correspond à la faculté informelle humaine de percevoir les principes physiques élémentaires, c’est-à-dire la connaissance du comportement des objets dans le monde physique. Nous avons tous, d’une certaine manière, plus ou moins consciente, des notions de gravité, de vitesse, de forces de frottement, d’inertie et d’échelle. Dans le domaine de l’intelligence artificielle, la physique naïve fait référence aux tentatives pour décrire le monde physique, par des algorithmes, davantage du point de vue de l’homme que de celui des sciences physiques. Dans le cas des interfaces tactiles, si la manipulation d’objets graphiques répond à une certaine logique physique, l’utilisateur aura instinctivement une meilleure compréhension des modalités d’interaction. Le déplacement d’une image peut être soumis par exemple à l’illusion d’une gravité et de forces de frottements qui vont lui conférer son accélération, sa vitesse et son inertie. Les objets numériques réagissent à la manipulation comme le feraient des objets physiques, ce qui renforce l’impression de contrôle chez l’utilisateur.

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JACOB Robert J.K., GIROUARD Audrey, HIRSHFIELD Leanne M., HORN Michael S., SHAER Orit, SOLOVEY Erin Treacy, et ZIGELBAUM Jamie. Reality-based interaction : a framework for post-WIMP interfaces. In Proceeding

of the twenty-sixth annual SIGCHI conference on Human factors in computing systems (CHI '08). ACM, New

- La conscience du corps (Body Awareness). Il s’agit principalement des facultés naturelles de l’homme à connaître son corps, indépendamment de son environnement. C’est la conscience que nous avons de notre motricité, des positions relatives de nos membres (proprioception) et des degrés de liberté des articulations qui nous donnent la connaissance de notre zone d’actions et de mouvements. C’est également notre capacité à coordonner plusieurs mouvements afin de réaliser des tâches d’apparences triviales comme marcher ou conduire une voiture et qui pourtant font appel à la coordination de plusieurs centaines de muscles et articulations. Dans le cadre des interactions multi-tactiles, cette faculté peut être mise à profit, notamment lorsque l’interface propose des interactions bi-manuelles. Les deux mains peuvent agir simultanément à l’accomplissement d’une même tâche (un zoom à deux mains) ou au contraire s’acquitter de tâches individuelles (déplacer deux images indépendamment).

- La conscience de l’environnement (Environment Awarness). Nous avons tous la capacité de nous situer dans notre environnement spatial, composé d’objets arrangés dans un espace en trois dimensions. Cette faculté nous donne les dispositions nécessaires à notre orientation et aux notions d’échelle et de distance dont nous nous servons par exemple pour nous diriger. Cette faculté peut s’avérer utile dans le cas d’univers virtuels en trois dimensions où l’utilisateur doit intégrer la disposition spatiale des objets graphiques et les manipuler. Naviguer dans un univers virtuel en trois dimensions est également simplifié par notre prédisposition à évoluer dans l’espace réel. Nous avons développé la faculté de manipuler les objets dans leur environnement, en les saisissant (préhension) ou en appliquant une force afin de modifier leurs propriétés (forme, position, etc.). C’est cette prédisposition qui est exploitée lorsque l’utilisateur fait défiler des images en les déplaçant d’un point à un autre, comme s’il s’agissait de photos posées sur une table.

- La conscience sociale (Social Awarness). L’homme a conscience de la présence des autres individus et il a développé des aptitudes pour communiquer et interagir dans un contexte social. Dans le cadre des interfaces tactiles, deux possibilités sont offertes au designer d’interaction. D’une part, il peut profiter des gestes sémiotiques existant comme le geste déictique qui indique une direction et peut représenter la

cible d’un déplacement d’objet graphique ou créer de nouvelles unités sémantiques, ou lemmes, dans un champ lexical propre à son application comme poser dix doigts sur la surface pour donner l’indication au système de faire apparaître un clavier virtuel. Dans le contexte social, notre rapport à l’autre est aussi défini par les interactions physiques qui interviennent au travail ou de manière générale comme donner et recevoir un objet ou s’entraider pour la réalisation d’une même tâche. Analyser les modalités de ces relations peut aider à concevoir des systèmes multiutilisateurs ou des plateformes collaboratives de travail où la présence de l’autre est soit physique (autour d’une table interactive par exemple) ou représentée par un avatar (interactions en réseau).