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Montesquieu et les religions chinoises : un scepticisme envers le pluralisme religieux

Chapitre 3 : la Chine, entre idolâtrie, athéisme et déisme

II- Montesquieu et les religions chinoises : un scepticisme envers le pluralisme religieux

la culture et dans le fonctionnement du gouvernement chinois. Il consacre d’ailleurs quelques

chapitres de L’Esprit des Lois à ce sujet360. La lecture attentive de l’œuvre de Montesquieu avec

au préalable une lecture des écrits missionnaires sur la Chine a permis de relever un travail de filtrage et d’affinage qu’il a fait de son information documentaire. Ce travail antérieur à la rédaction de L’Esprit des lois se remarque dans l’ensemble des domaines analysés, mais plus spécialement dans le chapitre concernant la religion. La raison en est fort simple, c’est

358 Voir à ce sujet, Jacques Gernet, « L’inscription de la stèle nestorienne de Xi’an de 781 vue de Chine », Comptes

rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Volume 151, numéro 1 (2007), p. 237.

359 Les jésuites ont conservé une attitude prudente envers le confucianisme, respectant sa doctrine orthodoxe. À ce

sujet, voir Shenwen Li, Stratégies missionnaires…, p. 203-204.

91 précisément sur ce sujet que « l’entreprise, on le comprendra bien, était la plus délicate à conduire361».

Afin de démêler la problématique religieuse chinoise, Montesquieu se consacre à une lecture attentive et prudente des Lettres édifiantes et curieuses et de la Description de la Chine. Il n’a pas, à la différence de plusieurs de ses contemporains comme Nicolas Fréret, une correspondance personnelle avec les missionnaires jésuites. Il a cependant rencontré des personnages qui lui ont transmis des informations importantes par leurs témoignages, l’ex-jésuite Fouquet en est un bon exemple. Ce personnage représente en effet une source directe sur les religions chinoises, sujet

alors développé dans Le Spicilège362. Montesquieu a également pris en considération les propos

de l’Abbé Renaudot qui est à cette époque un fervent adversaire des jésuites. Puis, le philosophe a lu des récits de voyage en provenance de la France et de l’étranger. Il ne faut toutefois pas oublier que les choix de lectures du Bordelais sont des choix d’écriture.

Montesquieu prend bien soin d’écarter le côté édifiant des lettres pour n’en conserver que les curiosités : « Ces lettres sont pleines de faits très curieux il faut qu’ils disent la vérité lorsqu’ils

n’ont pas d’intérêt de la cacher pour être crus lorsqu’ils veulent mentir 363». En effet, le

philosophe sent très tôt que la puissance de la Compagnie de Jésus en Europe, qui s’appuie entre autres sur les succès des missions, influe sur la plume des pères. Par conséquent, il est fort tentant

pour ces derniers de « brosser un tableau édifiant364 » de leurs aventures missionnaires. Dans

l’œuvre de Montesquieu, on constate que le philosophe tâche de démystifier le pluralisme religieux en Chine tout en saisissant au passage le débat sur l’athéisme et l’idolâtrie des Chinois. Le philosophe s’intéresse plus particulièrement à cette tolérance religieuse chinoise si vantée par les sinophiles en tentant de vérifier si la Chine avait bel et bien été tolérante envers le christianisme, ou si au contraire, cette bienveillance de l’empereur Kangxi envers les jésuites ne cachait pas une autre réalité.

361 Jacques Pereira, op. cit., p. 105.

362 Montesquieu, Le Spicilège, p. 805-807 (notes 481, 483, 484). 363 Montesquieu, Geographica, p. 369.

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a) Le paradoxe d’un empire despotique et tolérant envers les religions

Dès sa première lecture des écrits jésuites, Montesquieu constate que la tolérance de l’empire envers les religions chinoises ne cadre pas avec sa définition du despotisme telle que dévoilée dans L’Esprit des Lois. Une fois de plus, le philosophe découvre qu’une composante de la Chine se trouve en concurrence directe avec sa définition du despotisme qu’il tente d’imposer à tous les régimes orientaux. Montesquieu fait face à deux difficultés ; d’une part, il doit démontrer que la Chine est malgré tout despotique, et d’autre part, il doit saisir avec peine le paradoxe qui fait du despotisme dans l’Empire Céleste un régime tolérant en matière de religions. Afin de remédier à ces difficultés tout en maintenant la cohérence de son œuvre, Montesquieu joue avec la notion de tolérance religieuse dans l’Empire du Milieu. Il en change en effet le sens pour en faire un

« symptôme du despotisme 365». Au chapitre 15 du livre XXV de L’Esprit des Lois, l’auteur

s’explique comme suit : « Tous les peuples d’Orient, excepté les Mahométans, croient toutes les religions en elles-mêmes indifférentes. Ce n’est que comme changement dans le gouvernement,

qu’ils craignent l’établissement d’une nouvelle religion 366». De fait, dans l’esprit du despotisme

selon Montesquieu, la stabilité de l’empire est l’élément le plus important. La Chine est sans doute dans les arrière-pensées du philosophe lorsqu’il écrit ce passage puisque l’Asie tout entière est vue par lui comme despotique à l’époque. Montesquieu traite d’une indifférence, plutôt qu’une tolérance religieuse, mais cette dernière est appliquée tant et aussi longtemps qu’une religion ne fragilise pas le pouvoir de l’État. Si la nouvelle religion ne perturbe pas le calme du gouvernement, elle sera tolérée. Au chapitre 2 du livre XXVI, le philosophe mentionne pourtant un élément qui contrarie la tendance asiatique au despotisme à cette indifférence religieuse dont il traite ; toute chose a ses lois, et ces dernières se doivent d’être durables, comme se doit d’être durable le régime despotique :

Il y a des États où les lois ne sont rien, où n’est qu’une volonté capricieuse et transitoire du souverain. Si dans ces États, les lois de la religion étaient de la nature des lois humaines, les lois de la religion ne seraient rien non plus : il est pourtant nécessaire à la société qu’il y ait quelque chose de fixe ; et c’est cette religion qui est quelque chose de fixe.367

365 Ibid., p. 137.

366 Montesquieu, De l’esprit des lois, Volume 3, 1784 (1748), Amsterdam, (Livre XXV, Chapitre XV), p. 189. Je

surligne.

93 Le philosophe entend ici démontrer que, puisque le régime cherche à durer, la religion qui se pratique dans l’empire doit être un élément qui ne change pas. Cette nature politique amène donc les gouvernements à se montrer intolérants, comme ceux des grands sultanats orientaux. Réalisant toutefois qu’une tolérance religieuse était bel et bien appliquée en Chine sous l’empereur Kangxi, Montesquieu cherche à nuancer cette idée : « Quoique le gouvernement despotique, dans sa nature, soit partout le même, cependant des circonstances, une opinion de religion, un préjugé, des exemples reçus, un tour d’esprit, des manières, des mœurs, peuvent y

mettre des différences considérables 368». Dans l’Empire du Milieu, le confucianisme qui existe à

titre de doctrine officielle permet une certaine cohésion puisqu’elle peut « enchinoiser » les autres

rites369. On se souvient d’ailleurs que les jésuites avaient combiné certaines pensées confucéennes

aux dogmes de leur Église afin d’amadouer les futurs convertis de la Chine.

La principale préoccupation de Montesquieu en ce qui a trait au sujet religieux est de saisir ce paradoxe qui fait de la Chine despotique un empire tolérant en matière de religions. La solution de cette tolérance se trouve en partie dans le confucianisme qui règne en Chine. Selon Montesquieu, il ne faut pas glorifier cette tolérance en Chine, puisque si elle existe, elle n’est appliquée que sous un calcul politique bien pensé. Selon lui, l’empereur de Chine a tout intérêt à adopter cette tolérance pour le bien de la tranquillité publique, et ce, tant et aussi longtemps qu’elle ne vient entraver le pouvoir de l’empereur. Ici, il y a bel et bien une différence majeure

avec l’Europe du XVIIIe siècle. En effet, si une religion est abolie, ce n’est pas parce qu’elle

adhère à des convictions divergentes avec les croyances répandues, c’est plutôt parce qu’elle menace le pouvoir et qu’elle pourrait entraîner le désordre dans l’empire. Montesquieu prend garde de ne pas traiter explicitement de la querelle des rites dans ses Geographica. Il n’a pas voulu, semble-t-il, s’attirer des ennuis en s’impliquant trop sérieusement dans cette polémique. Il mentionne cependant subtilement ces disputes dans ce fameux chapitre 15 du livre XXV de

L’Esprit des lois tout en restant prudent. Montesquieu ne veut certainement pas risquer que son

œuvre majeure, qu’il perçoit sans aucun doute comme avant-gardiste, soit la victime des disputeurs qui s’affrontent sur un terrain étroit et glissant :

368 Montesquieu, De L’Esprit des lois, volume 2, p. 332 (Livre XII, Chapitre XXIX).

369 Au sujet de la pensée chinoise qui est confrontée à l’Occident, voir Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise,

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[…] on tolère d’abord les étrangers, parce qu’on ne fait point d’attention à ce qui ne paraît pas blesser la puissance du prince ; on y est dans une ignorance extrême de tout. Un Européen peut se rendre agréable par de certaines connaissances qu’il procure : cela est bon pour les commencements. Mais, sitôt que l’on a quelque succès, que quelque dispute s’élève, que les gens qui peuvent avoir quelque intérêt sont avertis ; comme cet État, par nature, demande surtout la tranquillité, et que le moindre trouble peut le renverser, on proscrit d’abord la religion nouvelle et ceux qui l’annoncent les disputes entre ceux qui prêchent, venant à éclater, on commence à se dégoûter d’une religion donc ceux mêmes qui la proposent ne conviennent pas 370

Le philosophe bordelais démontre donc dans ce passage que les jésuites ont trop pris de place dans les mœurs de l’empire chinois. Ainsi, peu importe que le régime soit despotique ou monarchique, si les disputes religieuses viennent à nuire à l’harmonie publique, l’État a tous les droits d’intervenir dans la vie religieuse de son peuple. Montesquieu reste donc discret dans son œuvre principale non pas par désintérêt, mais bien par prudence face à la polémique entourant la querelle des rites. Aussi, il ne désire pas entrer dans les détails d’une dispute théologique puisqu’il cultive une profonde amertume envers les jésuites.

Les Lettres édifiantes et curieuses et la Description ont démontré qu’il y avait eu une tolérance religieuse appliquée dans l’empire chinois envers le christianisme. Cette découverte avait de nouveau ébranlé la typologie des gouvernements de Montesquieu, où le despotisme ne pouvait se concevoir comme tolérant en matière de religions. Un autre élément ne manque pas de déranger le philosophe, soit sa découverte de l’existence de plusieurs croyances en Chine. Il tente ainsi de diminuer la valeur du pluralisme religieux en écrivant simplement que « toutes les religions [qui sont] introduites à la Chine ne sont point reçues comme religions nouvelles, mais comme suppléments à l’ancienne ». Il poursuit en affirmant simplement que « Confucius, en

laissant le culte des esprits, a laissé une porte ouverte à ces suppléments371». Les termes

« laissant » et « laissé » n’ont pas été choisis par Montesquieu sans une arrière-pensée. En effet, le philosophe veut plutôt signifier « en maintenant » le culte des esprits, plutôt qu’ « en laissant » ce dernier. Or, le Bordelais ici ne semble pas être au courant du confucianisme ou biaise volontairement les paroles du Maître, puisque cette annotation implicite va à l’encontre des principes de cette philosophie. La sagesse de Confucius amène plutôt les adeptes à « respecter

370 Montesquieu, De l’Esprit des lois, volume 3, p. 190 (Livre XXV, Chapitre XV). Il expose d’ailleurs dans ce livre

XXV : « Lorsque les lois d’un État ont cru devoir souffrir plusieurs religions, il faut qu’elles les obligent à se tolérer entre elles », p. 178 (Chapitre IX).

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les esprits et les dieux tout en les tenant à distance 372». Montesquieu tente tout de même

d’accepter cette particularité de l’empire tartaro-chinois, soit le fait qu’il adopte une certaine tolérance dans le domaine religieux. Le philosophe découvre cependant dans ses sources que les pères font mention, bien que timidement, des tensions religieuses qui ont cours en Chine entre les différents cultes. Il ne manque d’ailleurs pas de le soulever dans ses Pensées :

Inconvénient, arrivés à la Chine par l’introduction des sectes de Foë et de Lao-chium : les guerres et les exécutions sanglantes qui en naquirent. Un empereur de la Chine fut obligé de faire mourir à la fois cent mille bonzes. Le peuple chinois vivait sous une morale, la plus parfaite et la plus pratique qu’aucun peuple qu’il y eût dans cette partie de la Terre. On l’alla entêter, lui et ses empereurs, des illusions d’un quiétisme et d’une métempsycose qui défendait de faire mourir jusqu’aux criminels mêmes et faisait consister tous les devoirs de la morale à nourrir des bonzes373.

Sous l’habit des moines bouddhistes, Montesquieu y voit les missionnaires catholiques qui veulent vainement intégrer une religion étrangère en Chine. L’auteur fixe ici une marge de légitimité dans les limites qu’il convient d’apporter à la tolérance. L’empereur de Chine est maître d’accepter ou non une religion nouvelle, si celle-ci veut s’établir, il faut qu’elle soit

tolérée374. Le scepticisme du philosophe envers le pluralisme religieux existant dans l’empire

chinois dirige et contrôle ses recherches et son analyse. Il cherche à nuancer l’idée même de tolérance afin de mieux accepter que cet empire du bout du monde soit plus transigeant que les gouvernements du Vieux-Continent. Toutefois, le philosophe est encore une fois confronté aux

récits des missionnaires qui nourrissent les rêveries des Européens375. Deux éléments doivent

être pris en compte ; d’une part, la mauvaise opinion qu’a Montesquieu envers le christianisme, et d’autre part, son grand scepticisme envers la tolérance religieuse en elle-même. Il ne faut pas blâmer ce philosophe d’avoir une telle opinion si l’on se réfère aux guerres de religion incessantes qui ont martelé la France au cours de son histoire moderne, et si l’on pense surtout à la révocation de l’Édit de Nantes en 1685. Montesquieu conserve son scepticisme à l’égard de la Chine en insistant sur le fait qu’un gouvernement despotique n’est transigeant que lorsqu’il est

372 Pierre Ryckmans, Les Entretiens de Confucius, Paris, Gallimard, 1986, p. 37. 373 Montesquieu, Pensées-Le Spicilège, p. 496 (no. 1544).

374 Montesquieu, De l’Esprit des lois, volume 3, p. 179 (Livre XXV, Chapitre X).

375 En effet, les missionnaires font découvrir aux lecteurs la présence de musulmans au Tribunal des Mathématiques

de Chine. Les missionnaires ont été d’abord fascinés par cette tolérance religieuse à la Cour puisqu’ils comptaient bien évidemment en bénéficier eux aussi. Par contre, cette présence les gêne rapidement. À ce sujet, voir Jacques Pereira, op. cit., p. 127.

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contraint à faire bonne figure. Une fois de plus, le philosophe doit jongler avec une littérature jésuite qui expose une tolérance religieuse si aisément appliquée en Chine. Cependant, la religion chrétienne qui tente de s’immiscer dans l’Empire Céleste, au départ tolérée, soulève des tensions qui mènent à sa perte, d’abord vers la fin du règne de Kangxi en 1717, puis sous l’empereur Yongzheng en 1724.

Les persécutions qui débutent à l’époque de l’empereur Yongzheng font couler beaucoup d’encre chez les jésuites en Chine. Le Père de Mailla, jésuite à Pékin, expose dans une lettre figurant dans les Lettres édifiantes et curieuses datée du 16 octobre 1724, les persécutions qui ont

lieu dans les provinces chinoises suite aux tensions survenues dans le Fo-Kien376 :

Les premières étincelles, qui ont allumé le feu d’une persécution si générale, s’élevèrent au mois de juillet de l’année dernière dans la province de Fokien. […] Cette chrétienté était gouvernée par les PP. Blaz de la Sierra et Eusebio Ostot, dominicains espagnols, venus depuis peu des Philippines. Un bachelier chrétien, mécontent de l’un des missionnaires, renonça à la foi. Ensuite, s’étant associé plusieurs autres bacheliers, à qui il avait fait part de son mécontentement, ils allèrent ensemble présenter une requête au mandarin du lieu, laquelle contenait plusieurs accusations. Les principales étaient, comme on le verra par l’ordonnance du mandarin, que des Européens qui se tenaient cachés, avaient élevé au grand temple aux frais de leurs disciplines ; que les hommes et les femmes assemblaient pêle-mêle, et qu’on destinait dès leur bas âge de jeunes filles à garder la virginité, etc.377

Ce passage est repris par Montesquieu dans ses Geographica. Comme démontré précédemment, ce philosophe retient les passages qui l’intéressent davantage des Lettres et de la Description en se permettant ensuite d’y insérer ses réflexions. Voyons donc comment il reprend les propos du Père de Mailla :

L’origine de l’expulsion des missionnaires de la Chine vient de ce que dans la ville de Foun Gan Hien deux dominicains qui venaient des Philippines instituèrent des pratiques avec peu de connaissance des usages de la Chine. Les femmes s’assemblaient avec les hommes dans l’église et il y avait des jeunes filles qu’on destinait dès leur bas âge à garder la virginité * (La religion chrétienne renverse tous les principes de celle de

376 Une violente persécution s’est élevée contre les jésuites dans la province du Fo-Kien en 1724 avec l’arrivée de

l’empereur Yongzheng au pouvoir. À ce sujet, voir Lettres édifiantes et curieuses, tome 13, p. 545.

97 Confucius virginité assemblée des femmes dans les églises confession auriculaire des femmes extremonction mariage d’une seule femme) Le mandarin de ce lieu fit un édit contre ces pères et contre les chrétiens.378

On peut constater l’intervention du philosophe par l’astérisque qui s’y trouve. Ces notes sont recopiées de manière très brève et on voit également qu’il ne s’attarde pas à la ponctuation. Montesquieu met l’accent dans ce passage sur la division existante en Chine entre les hommes et les femmes, et se sert de cette séparation pour démontrer l’échec inévitable de la mission chinoise. En général pourtant, le philosophe traite assez peu du confucianisme ; une seule fois

dans L’Esprit des Lois et quelques fragments d’idées dans Pensées-Le Spicilège379. Au stade de

ses Geographica, Montesquieu tente alors de démontrer l’incompatibilité entre le confucianisme et le christianisme, puisque dans l’Empire du Milieu, les femmes ne pouvaient être dans un même

lieu de culte que les hommes380. Il développe davantage cette pensée dans L’Esprit des lois après

avoir retenu l’essentiel des notes de ses Geographica. Voici le passage du livre XIX, chapitre 18 :

Il suit encore de là une chose bien triste : c’est qu’il n’est presque pas possible que le christianisme ne s’établisse jamais à la Chine. […] La religion chrétienne, par l’établissement de la charité, par un culte public, par la participation aux mêmes sacrements, semble demander que tout s’unisse : les rites des Chinois semblent ordonner que tout se sépare. Et comme on a vu que cette séparation tient en général à l’esprit du despotisme, on trouvera dans ceci une des raisons qui font que le gouvernement monarchique et tout gouvernement modéré s’allie avec la religion chrétienne.381

Montesquieu démontre clairement ici cette incompatibilité entre les principes du christianisme et du confucianisme. Le confucianisme, à l’inverse de la religion chrétienne, adopte des rites privés

et non publics, et opte pour la séparation des genres dans un même lieu382. Cela prédispose

davantage la Chine aux manières des États despotiques et à l’Islam, plutôt qu’au christianisme. Il

378 Montesquieu, Geographica, p. 391. Le passage entre parenthèses est repris par le philosophe dans son Esprit des

lois, Livre XIX, chapitre XVIII.

379 Montesquieu, Le Spicilège : « j’ai vu, ce 2 juin 1737, M. l’archevêque d’Apamée qui est un maronite élevé à

Rome […] Il a été en Chine, et dit que toutes les disputes sur les rites de Confucius portaient sur rien […] oh! combien les hommes gâtent tout en matière de religion, parce qu’ils y mêlent toujours leur intérêt et leur orgueil ». P. 870 (no. 643).

380 Cette idée lui vient d’une lettre retranscrit dans ses Geographica: « À la Chine il serait monstrueux d’assembler

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