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legatus Augusti et Marc-Aurèle

II. 2 : Le montanisme à Lyon ? Le status quaestionis

II. 2 : Le montanisme à Lyon ? Le status quaestionis

Suite à l’analyse des passages mentionnés ci-dessus, il apparaît que les chrétiens décrits dans les portraits faits par le rédacteur sont liés, dans une certaine mesure, aux Églises d’Asie mineure et de Phrygie. Il apparaît aussi que ces attitudes sont à l’origine tant de la haine de la population locale envers les chrétiens que de la formulation des accusations des institutions. Cela a conduit certains chercheurs à considérer une relation entre cette communauté lyonnaise et le montanisme, notamment à expliquer cette attitude particulièrement virulente de la population païenne et les décisions que le pouvoir politique a pris en réaction comme dépendante directement des caractéristiques particulières de ce mouvement religieux.

Nous éclaircirons alors tout d’abord ce point. É. Griffe a déjà esquissé cette hypothèse dans son ouvrage dédié à la Gaule chrétienne à l’époque romaine279 alors que pour H. Kraft l’ambiguïté du point de vue linguistique présente dans la Lettre est le témoignage d’une communauté qui pourrait être mixte. Voici ce qu’il

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278 1, 63. 373 - 380 : « Et ils ont fait cela en s’estimant capables de vaincre Dieu et pour empêcher leur régénération, afin que, comme ils disaient : ‘ils ne gardent pas l’espoir de la résurrection, puisqu’ils lui font confiance, ils ont insinué chez nous cette nouvelle et étrangère, vulgaire superstition et ils méprisent les supplices en étant prêts d’aller dans les bras de la mort avec joie. Maintenant, voyons s’ils ressusciteront et si leur Dieu pourra les secourir et les soustraire de nos mains’ ». Nous adoptons ici une traduction personnelle : NEYRAND (p. 263) traduit le mot θρησκεία par ‘culte’ alors que BOST -POUDERON (p. 277) et RONCHEY (p. 91) utilisent le mot ‘religion’, ‘religione’. Cependant, le mépris montré par les païens, nous fait penser à une signification qui soit plutôt négative : LSJ « 3. in bad sense [...] vulgar superstition ».

279 É.GRIFFE, La Gaule chrétienne à l'époque romaine I, Des origines chrétiennes à la fin du IVe

! )#! a soutenu lors du colloque de Lyon en 1977280. À son avis l’adresse de la Lettre évoque une formulation paulinienne qui la situe dans une tradition apostolique, une formulation aussi traçable dans le Martyrium Polycarpi. Cela est fait pour donner une certaine autorité au contenu de la Lettre : il serait clair que le ton eschatologique de la Lettre marque un désir de suivre le Christ à travers le chemin de la souffrance et de la douleur et que ce message doit parvenir aux communautés chrétiennes d’Asie mineure et de Phrygie. En outre, Kraft remarque que le message contenu dans la Lettre est adressé aussi à la chrétienté en général, un message capable donc d’aller delà des différences ou plus précisément au-delà du schisme entre les montanistes et la Grande-Église. Il note qu’il n’y a pas le mot ἐκκλησία pour spécifier les expéditeurs ou les destinataires, un mot utilisé pour la première fois au début du paragraphe 49 de la Lettre. De plus, il affirme que le mot διάκονος (1, 17. 85) est le seul qui renvoie à une charge ecclésiastique : pour designer l’évêque Pothin, le rédacteur dans le passage 1, 29. 167 - 168 utilise cette expression : « ὁ τὴν διακονίαν τῆς ἐπισκοπῆς ἐν Λουγδούνῳ πεπιστευµένος ». Il s’agirait d’une phrase pour contourner les divergences entre les différentes composantes de la communauté lyonnaise, les montanistes et les membres de la Grande-Église puisqu’elle ne désignerait pas le véritable évêque de Lyon mais plutôt un διάκονος qui agirait à la place d’un évêque. Par ailleurs, il présume que le christianisme a été introduit dans la vallée du Rhône par des gens provenant d’Asie mineure. Par conséquent, les deux communautés doivent être liées entre elles.

Cette hypothèse est soutenue par l’observation que la communauté de Lyon aurait eu les mêmes structures collégiales que celles d’Asie où tout élément hiérarchique est absent. Ce lien étroit est conforté aussi, selon Kraft, par le rôle d’Irénée qui fut envoyé d’Asie en Gaule pour succéder à Pothin dans la foncions de presbytre. Mais pourquoi donne-t-on dans l’autre récit attaché à la Lettre (H.E. V, 4. 1) ce titre à Irénée ? À ce propos, Kraft mentionne Eusèbe (H.E. V, 24. 11 - 18) qui rapporte deux récits où Irénée, qui fut évêque de Lyon pendant environ vingt ans après la persécution, discute avec l’évêque de Rome, Victor, sur la question de la Pâques. Eusèbe (H.E. V, 24. 11) dit que Irénée écrit au nom des frères qu’il dirigeait en Gaule. Cela montre, selon Kraft, qu’il ne s’agit !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

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! )$! probablement pas de la lettre d’un évêque, mais plutôt d’un homme si charismatique qu’il est considéré comme le véritable chef de la communauté. Dans ce même texte (ap. H.E. V, 24. 14) Irénée, lorsqu’il se réfère à Victor, mentionne ses prédécesseurs par le titre de πρεσβύτερος. Ce choix est adopté aussi par Irénée pour designer Polycarpe (ap. H.E. V, 20. 7) afin de l’ériger en véritable successeur des apôtres. Victor est également appelé πρεσβύτερος et reçoit ainsi la même autorité que les autres évêques de l’Asie mineure. Le choix du terme indiquerait donc la volonté d’Irénée de différencier la charge charismatique indiquée par le terme πρεσβύτερος de la charge institutionnelle indiquée par ἐπίσκοπος. Voici pourquoi Pothin ne serait pas appelé directement évêque : pour indiquer une charge qui soit aussi reconnue parmi les montanistes. Par ailleurs, dans l’autre récit rattaché à la Lettre, les martyrs de Lyon évoquent Éleuthère (H.E. V, 4. 2) l’appelant πάτερ et Irénée ἀδελφός et κοινωνός, c’est-à-dire frère et compagnon. Ces derniers termes sont présents dans une citation de l’Apocalypse de Jean 1, 9 qui marque le ton eschatologique des récits et donc la perspective des chrétiens qui ont subi la persécution. En conclusion, Kraft dit qu’il n’y a que la charge de diacre à Lyon qu’Irénée a reçue, très probablement, par le πρεσβύτερος Polycarpe, un véritable disciple des apôtres, en Asie mineure. En outre, selon Kraft, ce lien avec la partie orientale de l’Église est aussi souligné par la présence d’Alexandre et d’Attale : le premier avec Vettius Epagathus est le seul qui s’auto-dénonce : il s’agit d’un geste qui contrebalancerait celui du phrygien Quintus (Mart. Pol. 4), Attale (1,17.87-88) et Alexandre (1,49.291-295) sont donc présentés dans la Lettre comme les véritables « piliers » de la communauté de Lyon. Kraft souligne à cet égard que le rédacteur aurait fait référence au passage vétérotestamentaire de Jérémie 1 : 18 afin de reprendre cette image du « pilier », un terme qui décrit un prophète. En outre dans l’Apocalypse de Jean 3 : 6 de l’Apocalypse de Jean par rapport à l’Église de Philadelphia et dans la Lettre aux Philadelphiens d’Ignace d’Antioche, le mot pilier désigne une charge charismatique. Cela démontre, selon Kraft, que les lyonnais devaient connaître ces témoignages et que donc, jusqu’au IIe siècle l’association entre ce mot et la valeur charismatique devait être connue. Et le charisme est donné par ceux qui ont sacrifié leur vie pour la foi : les martyrs. Quelle relation alors entre ce massacre et le montanisme ? Selon Kraft, le titre de « pilier » qui peut apparaître comme exagéré est, par contre, justifié par le charisme qu’Attale

! )%! démontre lorsqu’il apprend par révélation prophétique qu’un certains Alcibiade provoquait le scandale chez les chrétiens à cause de son alimentation (H.E. V, 3. 1 - 3) : cet Alcibiade, qui menait une vie déplorable (αὐχµηρός), montrait des restrictions alimentaires, c’est-à-dire qu’il ne consommait que du pain et de l’eau pour toute nourriture. Eusèbe précise que ces habitudes alimentaires sont antérieures à l’emprisonnement et qu’Alcibiade, même en prison, essaya de vivre de la sorte. Nous voyons donc qu’il n’est pas immédiatement caractérisé de manière négative du fait de son alimentation : le jeûne qu’il pratique apparaît donc comme un des motifs de scandale dans la communauté de Lyon. En tout cas, grâce à la révélation d’Attale, Alcibiade fut convaincu de manger toutes les créatures de Dieu (H.E. V, 3. 2 - 3) et reconnait l’autorité prophétique d’Attale. Or, si à la suite d’une première lecture, cet épisode pourrait conduire à un jugement négatif de la Prophétie montaniste chez les chrétiens de Lyon, par contre le chercheur allemand affirme que

« Erst beim sorgfältigen Lesen wird klar, dass dieses Urteil über die Prophetie günstig war, dass es die montanistischen Charismen als Gaben des Geistes anerkannte, und das es uns aus eben diesem Grund nicht überliefert wurde »281.

À partir de ces considérations, Sordi, au cours de la discussion qui a suivi sa propre communication au colloque de Lyon, a affirmé qu’elle ne croyait pas que les chrétiens lyonnais aient été montanistes au sens strictement théologique du terme. À son avis, le montanisme a été plutôt un état d’esprit très répandu comme cela a été démontré par le philosophe Celse qui attribue aux chrétiens une attitude montaniste au sens de provocatrice282. En effet, ailleurs et à plusieurs reprises la chercheuse italienne a affirmé que Marc-Aurèle était responsable de cette persécution à cause d’un « tragico equivoco », à savoir qu’il aurait confondu les chrétiens dans leur globalité avec les montanistes qui auraient été des véritables antisociaux et subversifs à l’égard des institutions. Ainsi, la dimension sacrificielle si forte chez les montanistes aurait conduit Marc-Aurèle à redouter l’attitude des chrétiens face à la mort comme cela serait confirmé dans le passage

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281 KRAFT, Die Lyoner Märtyrer…, p. 242. 282

! )&! Pensées XI, 3 avec l’expression « κατὰ ψιλὴν παράταξιν »283. Enfin Sordi soutient que les apologistes Claude Apollinaire évêque de Hiérapolis et Miltiade, qui ont assuré la fidélité des chrétiens au princeps dans leurs ouvrages, sont anti-montanistes 284. I. Ramelli se place aussi dans le même sillon285 puisqu’elle renforce davantage le lien entre la dimension du martyre montaniste et l’indignation de Marc-Aurèle en faisant référence à la mort spectaculaire de Pérégrinus Protée, un philosophe grec cynique de Parion en Mysie (aujourd’hui Kemer en Turquie), à Athènes pendant la dernière nuit des jeux olympiques de l’année 165. À son avis, comme nous le montrerons plus bas, les attitudes de Pérégrinus, surtout celles exprimées lors de son suicide, sont typiques d’un véritable montaniste. Cependant, dit Ramelli, elles auraient été interprétées par Marc-Aurèle comme typiques du christianisme en général.

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