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Importance de la sélection dans les processus adaptatifs

Face aux contraintes de l’environnement, les caractères phénotypiques les mieux adaptés dans une population sont favorisés par la sélection naturelle. Toutefois, les pressions environnementales étant variées sur l’ensemble de l’aire de répartition d’une espèce, les différentes actions de la sélection naturelle sont susceptibles de générer des différentiations entre populations, reflet d’une adaptation locale avec émergence des phénotypes présentant les meilleurs fitness (Kawecki et Ebert 2004). Des facteurs anthropiques comme les variations climatiques notamment, sont considérés comme des pressions de sélection susceptibles d’induire des adaptations locales (Thomas 2005, Joshi et al 2001, Jump et Penuelas 2005, Huey et al 2000). Dans le domaine marin, des phénomènes d’adaptation local du poisson extrêmophile (Poecilia mexicana) à un milieu enrichi en sulfure d’hydrogène ont par exemple été décrits (Plath et al 2007). La compréhension de l’impact de tels changements sur les populations, et plus particulièrement de leur capacité à répondre à ces contraintes, est donc fondamentale dans une démarche de conservation.

Ce potentiel adaptatif des populations est directement lié au niveau de diversité génétique additive disponible pour des caractères adaptatifs, c’est à dire à la variabilité transmissible des gènes contrôlant l’expression des caractères adaptatifs (Soulé 1987, Howe et Brunner 2005). C’est donc sur la part héritable des caractères corrélés avec le succès reproducteur que la sélection agit pour produire des changements adaptatifs, ceci selon trois modalités: (i) la sélection directionnelle qui va favoriser le développement d’un caractère (situé dans la partie extrême de la distribution) au détriment d’un autre, (ii) la sélection stabilisante qui aura tendance à éliminer les formes extrêmes d’un caractère au bénéfice des individus moyens, (iii) la sélection disruptive qui va favoriser les formes les plus extrêmes d’un caractère. La sélection directionnelle fait généralement suite à un changement environnemental majeur (réchauffement global, augmentation des polluants dans l’air, l’eau, maladie affectant une population) et une étude de Frankham et Weber (2000) a par ailleurs permis de mettre en évidence les conséquences que ce processus avait eu sur de nombreuses espèces (modification des taux de reproduction et de croissance, modification du comportement, tolérance aux métaux lourds…). Le processus de sélection disruptive est plus fréquemment observé dans le cas des populations fragmentées. Les contraintes sélectives agissant dans des directions opposées sont susceptibles de générer d’importants niveaux de divergence entre de telles populations (Rueffler et al 2006), favorisant l’installation d’adaptation locale, voire à terme d’un isolement reproducteur.

Traditionnellement la recherche de gènes impliqués dans la variation des caractères adaptatifs a été abordée par la cartographie de loci à effet quantitatif (QTL), basée sur des associations statistiques significatives entre marqueurs moléculaires et variation de caractères quantitatifs au sein de pedigrees (Borevitz et Chory 2004), mais plus rarement au sein de populations naturelles (Slate 2005). Néanmoins, de nombreuses études

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ont été menées afin d’évaluer le potentiel adaptatif des individus dans un environnement variable (O’Donnel et al 2009, Usenko et al 2008, Kong et al 2005) et le développement de la génomique a aujourd’hui ouvert la voie vers l’étude des bases moléculaires de l’adaptation.

Avec l’arrivée de la PCR quantitative dans les années 1980, de nombreuses fonctions géniques ont pu être corrélées à des variations des paramètres environnementaux, le principe étant de mesurer l’expression différentielle de gènes candidats15 chez des organismes maintenus dans des conditions expérimentales variables et contrôlées. La PCR quantitative s'avère être la méthode la plus appropriée pour quantifier l’expression de gènes chez les espèces dans lesquelles des gènes candidats sont d’ores et déjà identifiés. Dans les années 1990, une autre démarche, appelée banque soustractive (SSH16) a permis d’élargir le nombre de gènes analysés pour un paramètre environnemental donné, grâce à l'analyse ciblée des régions différentiellement exprimées. Bien que largement répandues, ces études sont souvent le reflet d’une réponse individuelle dans des conditions d’expérimentation parfois très éloignées de celles que rencontre l’organisme dans son milieu naturel. Elles consistent la plupart du temps à évaluer la génotoxicité de certaines molécules sur les fonctions physiologiques des organismes ou bien à différents stades de développement, de sorte que le potentiel adaptatif et évolutif de la population dans l’écosystème impacté reste inconnu. De ce fait, les approches menées sur des populations naturelles dans leur écosystème et non pas en milieu contrôlé, apparaissent comme particulièrement pertinentes.

Le modèle biologique Macoma balthica a fait l’objet de nombreuses analyses éco-physiologiques et éco-toxicologiques. Ces travaux ont mis en évidence chez cette espèce, une forte sensibilité à l’augmentation de température (Jansen et al 2007) et une grande tolérance aux variations de salinité (Väinölä et Varvio 1989) ainsi qu’aux environnements pollués notamment par les métaux lourds (Sokolowski et al 1998, 2002, 2007, Hummel et al 2000).

En l’absence de données génomiques disponibles chez cette espèce et désireux de mener nos investigations sur des populations en conditions naturelles, nous avons été confronté à un choix méthodologique pour inférer les bases moléculaires de l’adaptation. La réalisation d’une banque soustractive SSH sur des individus issus des trois sites a été envisagée puis rejetée du fait (i) de la difficulté de prélever des individus dans les mêmes conditions physiologiques (stade de développement, maturité) sur des sites aussi éloignés géographiquement, (ii) du risque de perdre des transcrits rares du fait de la normalisation de la banque d’ADNc.

Notre choix s’est finalement porté sur les nouvelles technologies de séquençage à haut débit permettant l’analyse en parallèle de la quasi totalité des gènes exprimés dans un

15 Gènes candidats: tout gène susceptible de déterminer des différences dans les caractères entre organismes, d’être impliqué dans des fonctions physiologiques.

16 SSH: Substractive Suppressive Hybridization (Banque soustractive); permet de révéler uniquement les gènes différentiellement exprimés par comparaison de transcriptomes.

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tissu, voire un organisme entier. Un pyroséquençage 454 a ainsi été mené sur Macoma

balthica, avec un double objectif:

Identifier des gènes candidats chez Macoma balthica, notamment des gènes impliqués dans la réponse générale au stress ;

Comparer l’ensemble de transcrits (ARNm) issus de 3 populations naturelles prélevées sur trois sites soumis à des stress environnementaux différents.

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Chapitre I

Les nouvelles méthodes de séquençage