II. La thérapie génique
2. La modulation de l’expression d’un gène
Il est possible de modifier l’expression d’un gène sans modifier sa séquence. Un gène est considéré comme inhibé quand la cellule n’est plus capable de synthétiser la protéine qu’il code. Pour ce faire, différentes méthodes peuvent être utilisées comme l’inhibition de l’ARN messager ou de sa traduction en protéine.
a. ARN interférent
Micro-ARN :
Ce sont des ARN endogènes, non codants, de 20 à 25 nucléotides capables de se lier à l’ARN messager afin de le détruire par clivage. Si la complémentarité entre les séquences du micro-ARN et de l’ARN messager n’est pas totale, le micro ARN ne pourra pas dégrader l’ARN messager, mais restera fixé dessus et inhibera sa traduction en protéine (41).
Les petits ARN interférents (siARN) :
Les siARN sont de petits fragments d’ARN synthétiques doubles brins de 20 à 23
41 homologie de séquence. Les siARN ne peuvent directement être synthétisés par la cellule (42). À la différence des micro-ARN, les siARN dégradent toujours les ARN messager sur lesquels ils se fixent.
Les ARN en épingle à cheveux (shARN) :
Les shARN sont de petits fragments d’ARN synthétiques en forme d’épingle à cheveux.
Cette molécule est formée de deux séquences d'ARN de 19 à 22 paires de bases reliées par une boucle de 4 à 11 nucléotides. Tous comme les précédents, les shARN sont
capables d’induire le clivage de l’ARN messager en s’y liant par homologie de séquence.
Elles peuvent également intégrer le génome cellulaire pour être transcrites en siARN et dégrader l’ARN messager (43).
b. Ribozymes et déoxyribozymes
Les ribozymes et les déoxiribozymes sont des acides nucléiques (respectivement ARN et ADN) capables de couper spécifiquement certains ARN messager. À la différence des ARN interférents, ces molécules n’ont pas besoin des enzymes de la cellule pour fonctionner. Elles sont composées de deux parties (Figure 11) : une séquence de liaison à l’ARN et une boucle catalytique nécessaire pour couper l’ARN messager. Deux nucléotides doivent obligatoirement être présents dans la boucle catalytique pour qu’elle soit active : la guanine en position 5 et adénine en position 14 (44).
Figure 11: Structure d'une molécule de ribozyme (45).
En vert : la séquence complémentaire à l’ARN messager à couper, en rouge les nucléotides nécessaires à l’activité de la molécule et en noir la boucle catalytique. Légende : X : nucléotide, A : Adénine, G : guanine, U : uracile, C : Cytosine.
42
3. L’ajout d’un gène
L’ajout de gêne consiste à insérer un nouveau gène (appelé transgène) dans le génome ou dans le noyau de la cellule cible. L’expression du transgène par la cellule, va lui permettre de produire une protéine « médicament ». Cette dernière devra posséder les mêmes propriétés que la protéine qui faisait défaut à la cellule. Cette méthode est donc celle
privilégiée pour le traitement des maladies causées par l’absence ou la très faible
expression d’une protéine.
Quand le transgène ne s’insère pas dans le génome, il se comporte comme un épisome. Sa réplication est alors indépendante du cycle cellulaire et il peut être perdu lors des divisions cellulaires.
L’intégration du transgène dans le génome cellulaire peut avoir différents effets selon sa localisation :
1. Dans l’hétérochromatine, le transgène ne sera pas exprimé.
2. Dans l’euchromatine, entre les gènes, le transgène sera exprimé normalement sans
impacter les autres gènes.
3. Dans une région régulatrice, l’expression du transgène et celle des gènes
environnants peuvent être dérégulées.
4. Dans la région transcrite d’un gène peut conduire à la synthèse d’une protéine mutée
non fonctionnelle.
Il est crucial de pouvoir contrôler les sites d’insertion du transgène avant de l’utiliser en clinique, car les situations 3 et 4 peuvent conduire à l’apparition de tumeur. Pour ce faire, différentes méthodes de transduction cellulaire ont été mises en place.
43 C. Les modalités d’administration
Il existe deux méthodes pour transduire les cellules cibles : la méthode in vivo et ex vivo
(Figure 12). Ces méthodes diffèrent principalement par le lieu où se déroule la transduction cellulaire.
Figure 12: Comparaison des stratégies de thérapie génique : in vivo, où les cellules sont directement modifiées dans l’organisme et ex vivo avec des cellules modifiées avant injection
au patient.
1. La thérapie génique ex vivo
Cette méthode est très répandue dans les protocoles de thérapie génique, car elle peut être suivie et contrôlée durant tout le procédé de production. Elle consiste à mobiliser les cellules d’intérêts, à les prélever, à les mettre en contact avec le transgène puis à les réinjecter au patient. Cette méthode permet de s’assurer que seules les cellules cibles (que l’on a isolé au préalable) sont transduites, qu’elles ont bien intégré le transgène dans leur génome et qu’elles l’expriment. Pour ce faire, la méthode est généralement couplée à une
immunosélection des cellules afin d’obtenir une population cellulaire homogène, à une
quantification du nombre de copies de gène intégrées et à un dosage de la protéine thérapeutique.
IN VIVO
Injectionpar voie systémique ou locale Prélèvementdes cellules souches du patients Vecteur thérapeutique EX VIVO
Correction des cellules in vitro
Réinjection des cellules corrigées ADN liposomal
ADN nu Vecteur viral
44 Il existe trois contraintes principales à cette technique :
La difficulté à extraire les cellules cibles.
La différenciation des cellules cibles lors du procédé de fabrication.
Le nombre limité de cellules réimplantables après la correction.
Les cellules utilisées devront donc être choisies en prenant en compte ces contraintes et devront être manipulées en un minimum de temps afin de conserver leurs propriétés. Cette technique pourra être mise en place que si les cellules peuvent être manipulées ex-vivo.
2. La thérapie génique in vivo
Quand les cellules cibles ne peuvent être prélevées, cultivées, réimplantées ou si elles sont
disséminées dans tout l’organisme, la thérapie génique ex vivo ne peut être pratiquée. Dans
ces conditions, les thérapies géniques in vivo ou in situ seront mises en œuvre. Ces
techniques de transduction consistent à injecter le vecteur contenant le transgène
directement dans le corps de l’individu. Il peut être injecté dans la circulation sanguine (in
vivo) ou directement dans le tissu à traiter (in situ).
Les vecteurs utilisés in vivo doivent cibler spécifiquement les cellules que l’on souhaite
corriger et les infecter sans qu’il y ait eu de pré activation de celles-ci au préalable. Cette
méthode possède 2 limites principales: l’accès du vecteur aux cellules cibles (pas toujours accessible dans les organes) et la spécificité du vecteur pour un type cellulaire précis. En effet, un même transgène peut avoir des effets opposés en fonction de sa cible. Prenons le cas d’un gène d’apoptose, il sera bénéfique pour le patient s’il touche les cellules cancéreuses, mais délétère s’il est administré aux cellules saines.
La thérapie génique in situ est soumise au même problème de spécificité que la thérapie
génique in vivo à la différence que le vecteur est directement injecté dans les tissus, à
proximité des cellules cibles. Le fait que le vecteur ne soit pas injecté dans la circulation générale protège les organes à distance de la zone d’injection, mais rend sa diffusion plus difficile ; limitant son action à une petite zone très localisée. Cette méthode nécessite donc plusieurs injections espacées dans l’espace afin de toucher un maximum de cellules et dans le temps en raison du faible taux d’intégration du transgène.
Cette technique semble être un compromis entre les deux précédentes en se rapprochant
de la spécificité de la méthode ex vivo tout en se passant de prélèvement cellulaire. Cette
45 être employée que dans le cas de pathologies très localisées (exemples : tumeur solide non métastatique, maladies oculaires, mucoviscidose).
Tableau III: Résumé des avantages et des limites des méthodes de thérapie génique
Avantages Limites
Thérapie ex vivo
Les cellules traitées sont
isolées et caractérisées.
Contrôles qualité possibles
avant réinjection.
Prélèvement des cellules
souches.
Différenciation des cellules lors du processus.
Une faible proportion des
cellules souches réinjectées
réussissent à s’implanter en
conservant leurs propriétés (ex : les CSH qui doivent réintégrer la moelle osseuse)
Thérapie in vivo
Pas de mobilisation cellulaire. Conservation de la structure de l’organe cible (exemple : neurone).
Peut traiter des cellules
disséminées dans tout
l’organisme.
Vecteur non spécifique à 100%. Accès difficile aux cellules par le vecteur.
Pas de contrôle du site
d’insertion.
Thérapie in situ
Pas de mobilisation cellulaire. Conservation de la structure de l’organe cible.
Action restreinte à une zone précise.
Vecteur non spécifique à 100%.
Pas de contrôle du site
d’insertion.
Action restreinte à une zone précise.
Comme nous venons de le voir, il existe différentes méthodes pour transduire les cellules (Tableau III), mais la technique de transduction ne se limite pas au choix de la méthode. Le choix du vecteur transportant le gène médicament dans la cellule cible est également primordial pour la sécurité du patient.
46 D. Les principaux vecteurs de transduction cellulaire
Un vecteur est une structure capable de transporter le transgène dans les cellules cibles, pour y être exprimé.
Le vecteur de transduction cellulaire idéal doit pouvoir répondre à différents critères (46,47) :
Il doit pouvoir contenir une séquence relativement longue d’ADN ou d’ARN.
Il doit être spécifique aux cellules cibles.
Il doit protéger le transgène des nucléases.
Le transgène doit être intégré dans le génome hôte de toutes les cellules, même
quiescentes.
Il ne doit pas être oncogène, immunogène ou cytotoxique.
Il doit pouvoir exprimer ses effets thérapeutiques dès la première administration.
À ce jour, différentes méthodes de transfert des gènes ont été développées, mais aucune ne répond à 100% à tous les critères. Il est donc important de connaître les différents vecteurs à notre disposition afin de choisir celui qui correspond le mieux à nos attentes.
Cette partie va présenter les principales méthodes de transduction cellulaire qui pourraient être retrouvées lors des essais cliniques (partie III). Elle ne se veut pas exhaustive.