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Modifications de la séquence des microARNs : les isomiRs

Chaque miARN possède une séquence de référence, d’environ 22 nt, qui correspond au fragment d’ARN obtenu après transcription et maturation par le microprocesseur et Dicer. Ces séquences de références sont associées à chaque miARN dans les bases de données qui les référencent, telle que la miRBase. Cependant, l’application des technologies de séquençage haut débit sur les petits ARNs a permis de découvrir que la séquence des miARNs peut être variable, et que pour de nombreux miARNs, les séquences avec des variations sont plus abondantes que la séquence de référence [191]. Ces variations de séquence sont dues principalement à:

— des inconsistances lors du processus de maturation du miARN — des modifications post-transcriptionnelles

— des variants génétiques

Les variations de séquences sont particulièrement fréquentes sur les extrémités du miARN, et correspondent à l’ajout de nucléotides, par tailing, ou au retrait de nucléotides, par trimming (ces mécanismes ont été mentionnés précédemment dans les sections I.1.3.detI.3.2).

Les miARNs avec une variation de séquence par rapport à la séquence de référence sont ainsi des isoformes de miARNs, et sont donc appelés isomiRs [203], ou séquences non canoniques.

a) Imprécisions de Dicer et Drosha

Lors de la maturation du miARN, les RNAses Drosha et Dicer effectuent deux découpes successives qui déterminent les extrémités des miARNs. L’évaluation in vitro des sites de découpe de Drosha a permis de révéler des sites alternatifs pour de nombreux miARNs [137]. Les miARNs qui ont des sites alternatifs sont principalement ceux dont le pri-miARN n’a pas de motifs UGU dans la section apicale ou UG dans la section basale, dont la présence permet d’améliorer la précision de découpe du microprocesseur.

Le site de découpe de Dicer peut également être modifié. En particulier, selon la protéine partenaire de Dicer, TRBP ou PACT, la position du site de découpe peut changer d’un ou deux nucléotides [290].

La conséquence majeure de ces découpe alternatives est de décaler la seed du miARN, qui débute généralement au niveau du second nucléotide du miARN, et donc de modifier le spectre d’ARN messagers ciblés par le miARN. La découpe de Drosha définit la seed du bras 5p du pre-miARN, tandis que la découpe de Dicer définit celle du bras 3p (FigureI.14).

Pour certains miARNs paralogues, qui possèdent des séquences de références identiques, quelques variations nucléotidiques dans la séquence du précurseur, mais pas dans celle du

Fig. I.14 – Découpes alternatives de Drosha et Dicer. Image adaptée de [85]

miARN mature, peuvent également influencer les découpe de Dicer et Drosha. Ces différences génèrent ainsi de façon inattendue des miARNs paralogues avec des séquences différentes pouvant avoir des fonctions différentes [28].

Par rapport à une séquence de référence, ces découpes alternatives entraînent le trimming ou le tailing d’un ou plusieurs nucléotides aux extrémités. Dans le cas de tailing, les nucléotides ajoutés correspondent à ceux présents dans la séquence d’origine, au sein du pri-miARN. On parle alors de templated tailing, qui est différent du tailing provoqué par des TNTases, appelé non-templated tailing, ou plus fréquemment non-templated addition (noté NTA).

b) Modifications post-transcriptionnelles

Non-templated addition en 3’ Le NTA est effectué par les protéines TNTases qui ajoutent principalement des Adénines (par la TNTase nommée GLD2) et des Thymines (par les TNTases nommées TUT1, TUT4, et TUT7) à l’extrémité 3’ du miARN [295]. Ces additions sont observées à la fois sur les miARNs matures, et sur les pre-miARNs, notamment pour les pre-miARNs de la famille let-7 qui ont besoin de ce mécanisme pour compléter leurs maturations (voir section I.1.3.d). Les miARNs matures ont leur extrémité 3’ généralement protégée par AGO, mais dans certaines conditions, comme lors d’un TDMD (voir sectionI.4.2), l’extrémité 3’ est exposée et vulnérable à des modifications par les TNTases.

Cette modification, qui n’a pas d’impact sur la seed, permettrait selon certaines observations d’améliorer la stabilité de certains miARNs, en particulier le miR-122 pour lequel les NTA sont fréquents [131,38]. Elles pourraient également améliorer l’affinité de certaines interactions miARN:ARNm [299] par extension des appariements en 3’ du miARN, et ainsi améliorer l’efficacité de la répression de la traduction [252]. Elle permettrait également de promouvoir le TDMD, qui requiert une forte complémentarité en 3’.

Trimming par exoribonucléase Le trimming en 3’ est la modification la plus fréquem-ment observée avec le NTA [191], mais c’est également la modification la moins bien caractérisée chez l’homme. Il semble que la majorité des évènement de trimming sont produits lorsque le miARN est chargé dans AGO et que l’extrémité 3’ n’est plus protégée dans le domaine PAZ. En effet, en utilisant une AGO mutée qui ne possède plus de poche dans son domaine PAZ

3 Régulation de l’expression et de la fonction des MicroARNs 29 pour protéger l’extrémité 3’ du miARN, il a été récemment observé que les isomiRs avec du trimming étaient bien plus abondants qu’avec l’utilisation d’une AGO non mutée [251]. Or la seule condition connue où l’extrémité 3’ est libérée de la poche PAZ d’AGO naturellement est lors d’un TDMD. Pour expliquer la haute fréquence des évènements de trimming, on peut donc postuler que le TDMD est très répandu. Ou alors, on peut émettre l’hypothèse qu’après une certaine limite de temps, l’extrémité 3’ du miARN n’est plus fixée dans la poche d’AGO, ce qui la rend vulnérable aux exoribonucléases et TNTases. Cette dernière hypothèse est d’ailleurs consistante avec les observations récentes du groupe de Bartel, qui indique que l’abondance des isomiRs avec trimming ou tailing est corrélée avec l’âge des miARNs [146].

On peut également mentionner le mécanisme de trimming par exoribonucléases spécifique aux mirtrons, qui entraîne la dégradation des queues d’ARN qui sont associées en 3’ ou 5’ du mirtron [14, 215] (voir section I.1.3.a). Cette dégradation peut alors résulter avec des extrémités alternatives, avec du trimming si l’extrémité est plus courte que sur la séquence de référence, ou du templated tailing si elle est plus longue.

On peut également postuler que les extrémités du pre-miARN, après découpe par Drosha, peuvent être exposées aux exonucléases, comme elles le sont aux TNTases, mais aucun mécanisme n’a été identifié allant dans ce sens.

Edition d’ARN A>I par ADAR Des modifications post-transcriptionnelles internes à la séquence peuvent également être observées, à cause du mécanisme appelé “édition ARN”. L’édition ARN la plus fréquente est la désamination d’une Adénine qui résulte en Inosines (I), notée “A>I”. Cette modification est effectuée par la protéine Adenosine deaminase acting on RNA (ADAR) [133], qui cible les ARNs doubles brins tels que les épingles formées par les pri-miARNs ou les pre-miARNs. Ces modifications peuvent ainsi modifier la seed et donc réguler la fonction d’un miARN.

La fréquence d’édition A>I dépendrait du tissu, et ce mécanisme a été observé principale-ment dans les tissus cérébraux [158]. Comme l’Inosine se lie par complémentarité au C au lieu du T, cette modification peut créer des bourgeonnements, qui modifient la structure du pri- ou pre-miARN, et peut donc aussi gêner la découpe de Dicer ou Drosha et perturber le processus de maturation du miARN. Cette modification est souvent notée A>G à la place de A>I, car les Inosines se lient par complémentarité aux Cytosines, et lors de la préparation des librairies pour le séquençage, les Inosines sont remplacées par des Guanines, qui sont complémentaires aux Cytosines.

Un mécanisme plus rare d’édition “C>U” a également été observé dans des cellules T-regs, dans lesquelles ce mécanisme modifie la séquence du miR-100-5p [209]. Mais le mécanisme responsable de cette modification n’est pas encore identifié.

c) Variations génétiques

Des variants génétiques peuvent être localisés dans la séquence d’un miARN. Ils modifient donc la séquence du miARN, et potentiellement la seed, et peuvent ainsi changer le spectre d’ARN messagers ciblés par le miARN. Ces variants génétiques peuvent également influencer les niveaux de production d’un miARN, soit en perturbant le mécanisme de transcription, soit en déstabilisant la structure du pri- ou du pre-miARN, perturbant ainsi les mécanismes de maturation du miARN [42].

D’après une analyse entre les miARNs référencés dans la miRBase (version 18) et les variants indexés dans la base de donnée dbSNP (version 137), environ 24% des miARNs

matures possèdent au moins un SNP27 dans leur séquence, et 9% des miARNs possèdent un SNP dans leur seed [102]. Toutefois, la majorité de ces variants sont rares, en particulier ceux qui sont localisés dans la seed des miARNs, qui est la région la mieux conservée des miARNs. Certains variants localisés dans des miARNs peuvent entraîner des phénotypes importants tels que la formation d’un kératocône impactant la cornée [118] ou une surdité [195].

Par la suite, on appellera polymiR un isomiR contenant un variant génétique.

d) Résumé

Un résumé des différents isomiRs et des mécanismes responsables de leur formation est représenté sur la FigureI.15.

Fig. I.15 – Résumé des différents isomiRs, des conséquences qui leur sont associées, et des mécanismes responsables de leur formation. La taille de l’isomiR est également comparée à la séquence de référence

Les modifications en 5’ du miARN peuvent être générées soit par une découpe alternative de Drosha ou Dicer, soit par un variant génétique, ou bien par une édition ARN. Ces modifications ont un impact plus important que celles en 3’, car l’extrémité 5’ contient la seed aux positions 2..8, qui peut être modifiée à cause de ces variations de séquences. Et une modification de la seed du miARN va impacter sa fonction en redéfinissant le spectre d’ARN messagers ciblés.

27. en anglais pour Single Nucleotide Polymorphisme, voir l’Appendice Apour plus d’information sur les variants génétiques

3 Régulation de l’expression et de la fonction des MicroARNs 31 Cependant, les modifications en 3’ du miARN sont beaucoup plus fréquentes, car cette extrémité est vulnérable aux mêmes mécanismes que l’extrémité 5’, mais aussi au tailing par TNTases et au trimming par exoribonucléases. Les variations en 3’ ont un impact modéré sur la fonction du miARN. Cependant des appariement supplémentaires en 3’ sont parfois nécessaires, et des modifications sur cette extrémité pourraient ainsi avoir un effet sur certaines interactions.

La fonction des isomiRs n’est pas encore clairement établie, mais certains isomiRs peuvent avoir un effet sur la régulation par les miARNs dans un contexte particulier. Par exemple, le miR-223-3p possède deux isoformes qui régulent l’expression de cibles distinctes dans les neutrophiles murins [50]. De plus, les isomiRs sont potentiellement contrôlés génétiquement, car différents travaux rapportent que certains isomiRs peuvent être différentiellement exprimés selon le sexe, la population étudiée, ou la pathologie analysée [263,181].