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5.   Discussion 135

5.2   Perspective préclinique 151

5.2.2   Modification dans l'activité monoaminergique centrale de base 157

Bien qu'il aurait été pertinent d'effectuer des expériences nous permettant d'en apprendre davantage sur l'implication des CIDN et/ou des voies bulbo-spinales monoaminergiques dans la réponse comportementale à une douleur tonique dans un contexte de douleur chronique (voir section 5.2.5), nous avons décidé de concentrer davantage nos efforts sur la fonctionnalité des systèmes monoaminergiques au niveau de base (i.e., chez des rats non testés avec le test à la formaline). Ainsi, les activités sérotoninergique et noradrénergique dans le LCR ont été mesurées à D12, D28 et D90 dans le but d'évaluer l'intégrité des systèmes monoaminergiques centraux au niveau de base chez des rats CCI. Ce faisant, nous avons ainsi tenté d'obtenir un portrait général des variations neurochimiques se produisant pendant la progression d'une douleur neuropathique chronique chez ces rats. Puisque, ces mesures reflètent les changements globaux dans le métabolisme de la 5-HT et de la NA au niveau du SNC, nous ne pouvons pas assumer que ceux-ci soient exclusivement dictés par des altérations dans l'influence bulbo-spinale monoaminergique. En gardant en tête le fait que les systèmes monoaminergiques sont de nature complexe, la littérature à leur égard suggère que les projections sérotoninergiques descendantes exercent des influences distinctes pro- et antinociceptive qui dépendent du sous-type réceptoriel (voir section 1.3.2.1), tandis que les projections noradrénergiques descendantes ont une influence majoritairement antinociceptive (voir section 1.3.2.2). Dans notre étude, l'intérêt était davantage porté sur le phénotype comportemental antinociceptif associé à une douleur tonique chez les rats CCI (entre les jours 28 et 168) que sur la dissection précise de l'influence pro- vs antinociceptive sous-jacente spécifique aux systèmes monoaminergiques. Il était donc très intéressant de voir comment l'intégrité basale des systèmes sérotoninergique et noradrénergique au niveau du SNC pouvait être impliquée dans la réponse comportementale associée à une douleur tonique et,

possiblement, dans l'efficacité des projections bulbo-spinales monoaminergiques lors de leur recrutement pendant le test à la formaline.

5.2.2.1 Changements dans les 30 premiers jours

Dans la littérature, l'étude de De la Calle et al. (2002) est la seule ayant évalué le métabolisme sérotoninergique et noradrénergique dans le LCR de rats CCI, et ce, à travers la mesure des concentrations en 5-HIAA et MHPG (Tableau 6). Dans cette étude, les auteurs ne s'intéressaient pas au développement de la douleur chronique spécifiquement, mais bien à l'effet antinociceptif de la transplantation de cellules neuroblastiques dans un modèle de douleur neuropathique sub-chronique. Malgré tout, une augmentation des concentrations de MHPG a été observée chez les rats CCI 2 jours seulement après l'induction de la douleur neuropathique (vs sham). Par contre, au même moment, une différence significative a été observée entre les groupes expérimentaux dans les niveaux de 5-HIAA. Cette dernière observation est à considérer avec précaution puisque la différence semble majoritairement influencée par l'augmentation en 5-HIAA chez les animaux sham, tandis qu'aucun changement n'est noté chez les rats CCI. Par contre, ces résultats sont difficiles à interpréter puisque l'étude s'est seulement intéressée aux changements rapides pouvant se produire immédiatement après l'induction de la douleur neuropathique. Par le fait même, ces modifications pourraient être davantage reliées à la procédure chirurgicale plutôt qu'aux processus neurophysiologiques impliqués dans l'installation ou la progression d'une douleur.

De façon très intéressante, l'étude de Satoh et al. (1996) a mesuré les concentrations de 5-HT et de NA directement dans la corne dorsale de la moelle lombaire pendant les 30 premiers jours dans un modèle CCI (Tableau 6). Ainsi, des augmentations significatives chez les rats CCI (vs sham) ont été observées dans les concentrations spinales de 5-HT du jour 1 jusqu'au jour 14 post-chirurgie, tandis qu'une telle augmentation était également présente entre le jour 4 et le jour 30 post-chirurgie en ce qui concerne les niveaux de NA. Ces observations appuient donc nos propres résultats démontrant qu'une élévation de l'activité centrale sérotoninergique et noradrénergique serait présente au moins 12 jours après l'induction de la douleur neuropathique. Par contre, contrairement à ce qui est observé dans notre étude, l'augmentation des concentrations spinales de NA dans l'étude de Satoh et al. (1996) semble persister plus longtemps (i.e., jusqu'à 30 jours), suggérant potentiellement

la présence d'un tonus spinal local. De plus, les mêmes auteurs mettent également en évidence des augmentations significatives des concentrations spinales en glycine et en GABA à travers la totalité des 30 jours post-chirurgie chez les rats CCI (vs sham). Dans son ensemble, cette étude importante démontre donc que la douleur neuropathique chez les rats (modèle CCI) mènerait à l'augmentation soutenue du tonus sérotoninergique et noradrénergique bulbo-spinale dans les semaines suivant l'apparition de la douleur. Ces projections bulbo-spinales monoaminergiques pourraient à leurs tours activer les interneurones spinaux inhibiteurs glycinergiques et/ou GABAergiques afin de produire le phénotype comportemental antinociceptif associé au test à la formaline ayant été observé chez les rats CCI dans notre étude. De plus, considérant la présence de projections bulbo- spinales glycinergiques et GABAergiques (voir section 1.3.2.4), il est à supposer que l'effet exercé par ces projections pourrait également se conjuguer à l'influence combinée des projections bulbo-spinales monoaminergiques. En revanche, puisque nous ne nous sommes pas directement intéressés à ces systèmes dans notre étude, il est impossible de se prononcer sur l'implication des projections bulbo-spinales glycinergiques et GABAergiques dans ce contexte. Plus récemment, dans un modèle différent de douleur neuropathique (i.e., modèle de neuropathie diabétique), Morgado et al. (2011) observent aussi une augmentation des concentrations de 5-HT et de NA dans la corne dorsale de la moelle lombaire, 28 jours après l'induction de la douleur (vs sham) (Tableau 6), appuyant donc l'hypothèse que des modifications dans l'activité des projections bulbo-spinales monoaminergiques se produisent effectivement en contexte de douleur neuropathique chronique.

D'un autre côté, nous avons été surpris d'observer une diminution des concentrations centrales en 5-HIAA (aux jours 12 à 28) concomitante à l'augmentation des concentrations en 5-HT (seulement au jour 12). Par contre, comme il a déjà été rapporté par Rojo et al. (2012), la diminution des 5-HTT au niveau spinal, ayant été mise en évidence après l'induction d'une douleur neuropathique, pourrait potentiellement expliquer cette observation contre-intuitive. En effet, la diminution de la recapture de la 5-HT par les 5- HTT présents à la membrane neuronale présynaptique pourrait justifier l'élévation de la 5- HT dans le LCR, ainsi que la diminution de son métabolite (le 5-HIAA) dans le même

compartiment, considérant que ce dernier est normalement dégradé à l'intérieur des neurones (Muller and Jacobs, 2009).

Les changements neurophysiologiques dans les multiples structures impliquées dans le traitement du message nociceptif, signalés antérieurement dans d'autres études, peuvent certainement nous aider à mieux comprendre les modifications observées dans l'activité centrale monoaminergiques chez les rats CCI. Brièvement, Alba-Delgado et al. (2013) ont observé des modifications dans l'activité noradrénergique (augmentation des potentiels d'actions, ainsi que de l'expression de la TH et des NAT, dans le A6) à partir du jour 28 chez des rats CCI, suggérant l'élévation du tonus bulbo-spinal noradrénergique dans ces conditions. D'autre part, dans un modèle SNL, Leong et al. (2011) observent une perte neuronale de 25% dans le RVM 10 jours seulement après l'induction de la douleur neuropathique, confirmant ainsi la présence de changements dans les effets complexes du tonus bulbo-spinal sérotoninergique sur l'influx nociceptif ascendant. Quoi qu'il en soit, des études plus poussées au sujet des mécanismes cellulaires responsables des changements neurophysiologiques dans l'activité des projections bulbo-spinales monoaminergiques dans les modèles de douleur neuropathique sont toujours nécessaires afin de mieux comprendre les résultats obtenus à travers le temps dans notre étude.

À la lumière de la littérature et de nos résultats, nous émettons donc l'hypothèse que le recrutement (à l'aide d'une douleur tonique) des mécanismes descendants de modulation de la douleur chez les rats CCI mène à une réponse inhibitrice nette du message nociceptif (i.e., un phénotype comportemental antinociceptif) dans le premier mois post-CCI (article 2, Figure 3), et ce, potentiellement à travers une hyperactivation transitoire des voies bulbo-spinales monoaminergiques (article 2, Figure 4).

5.2.2.2 Changements au-delà de 30 jours

Comme on le remarque, les études s'étant intéressées à la fonctionnalité des mécanismes descendants de modulation de la douleur et aux systèmes de neurotransmission sous-jacents dans des modèles de douleur chronique chez le rongeur se sont seulement limitées aux changements se produisant dans les jours suivants l'initiation de la douleur. En effet, aucune étude n'a tenté d'explorer les changements potentiels pouvant s'opérer plus tardivement dans l'installation et la progression d'un état de douleur. C'est exactement cette lacune dans la littérature que nous avons tenté d'adresser en prolongeant notre paradigme

expérimental sur une période de 3 mois (90 jours) et 6 mois (168 jours). Ainsi, comme c'est également le cas pour les rats CCI au jour 28, les concentrations en 5-HT et en NA dans le LCR des rats CCI au jour 90 sont comparables aux niveaux mesurés chez les animaux sham (article 2, Figure 4). Malheureusement, pour des raisons logistiques (i.e., longueur du protocole expérimental) nous n'avons pas été en mesure d'obtenir les concentrations basales des neurotransmetteurs dans le LCR au jour 168 post-CCI.

Ainsi, considérant ces résultats à long terme, nous avançons l'hypothèse que la diminution subséquente observée dans le phénotype comportemental antinociceptif au test à la formaline au jour 168 (article 2, Figure 3) pourrait être liée à une réduction (ou un épuisement) de la fonctionnalité des voies bulbo-spinales monoaminergiques, ou à une désensibilisation de leur effet modulateur sur les neurones spinaux.

5.2.3 Implication potentielle des voies monoaminergiques bulbo-spinales dans la réponse